À plus de 10 000 dollars la tonne, le prix du cuivre a triplé en deux ans. Cette hausse est largement liée à la demande asiatique, mais l'appétit croissant des financiers n'arrange rien.
Ils sont 12 apôtres de la finance. « Ring Dealers » de catégorie 1. Au coeur de la City, derrière la façade néoclassique du 56, Leadenhall Street, seuls ces traders de choc, issus de banques renommées, sont autorisés à occuper les banquettes rouges du « Ring », la corbeille de la Bourse londonienne des métaux, le London Metal Exchange (LME). Une centaine d'autres, debout, s'agitent, calepins en main, plusieurs téléphones à l'oreille, afin de recevoir les positions d'investisseurs et industriels, les informant des prix en temps réel.
Ceux du cuivre, de l'aluminium, du zinc, de l'étain, du plomb ou de l'acier, qui s'affichent chaque soir à l'heure du thé, servent de référence planétaire. Même si contrats à termes et options se négocient aussi à New York et Shanghaï, le LME est le premier marché mondial pour métaux de base non ferreux. Le « métal du diable » a été propulsé, sur fond de flambée du pétrole, à un record de 10 000 dollars la tonne jeudi dernier. Indispensable dans le bâtiment et les câbles, la star des métaux de base est portée par les économies émergentes, Chine en tête. Elle en consomme 40 %, soit 45 milliards de dollars par an.
« Nous avons un bureau à Singapour et le plus important de ce qui se déroule ici est indéniablement dirigé par l'Asie », souligne Martin Abbott, PDG du LME. Le rôle du LME reste de proposer une couverture aux risques inhérents au négoce de métaux. Un rôle immuable depuis sa fondation, il y a plus de quatre siècles, sous Élisabeth I. Les échanges portent sur des contrats à terme de trois mois, particularité héritée de l'époque où les navires marchands mettaient trois mois pour revenir d'Extrême-Orient ou du sud de l'Amérique. Le LME assurait un prix fixe le temps du voyage. Une parade à la volatilité. Si beaucoup passent par téléphone ou par voix électronique, une partie des transactions se font encore à l'ancienne, en une tonitruante criée. De 11 h 45 à 17 heures, en deux sessions, chaque métal est négocié 4 fois, lors de son « ring » : 5 rituelles minutes dédiées à sa cotation.
Dès qu'un symbole, propre à chaque métal, surgit sous les terminaux qui surplombent la corbeille, les visages s'animent, les mains s'agitent. Quand vient le cuivre, annoncé par un cercle soutenu par une croix, le brouhaha gagne en intensité. Suspendus à des fils, des micros enregistrent tout commentaire. Des caméras, tout geste. Un précis langage des signes s'impose, sous l'oeil de vigiles en noir, les « market operators », habilités à verbaliser en cas d'écart. Main tendue et pouce dressé signifient une enchère, pouce et index en cercle, une offre. Signes et exclamations, telles « tom » (pour tomorrow) ou « cash », atteignent un paroxysme les dernières secondes. Si l'aluminium ou l'étain remportent aussi un beau succès, la salle se vide quand le cobalt ou le mobydenum pointent leur nez. À l'étage, derrière une vitre avec vue sur le Ring, quelques visiteurs assistent à cette folklorique agitation.
Rien n'empêche la spéculation
« Quelle spéculation! », laisse échapper le futur chef d'agence d'une banque française, en périple initiatique à la City. Plus que la « spéculation » pointée du doigt par Nicolas Sarkozy au G20, c'est une impérieuse demande industrielle, assortie d'un déficit mondial de 400 000 tonnes anticipé par l'International Copper Study dès 2011, qui explique la flambée du cuivre. « Ces dernières années, qui ont vu l'industrie des hautes technologies se développer, les investissements ne sont plus allés vers l'industrie minière, considérée comme une vieille industrie, rappelle Martin Abbott. D'où le déséquilibre entre l'offre et la demande. »
Face aux aléas du marché, les contrats à terme du LME ou du Comex permettent avant tout de se couvrir. Mais rien n'empêche la spéculation. Aux États-Unis, selon la Commodity Futures Trading Commission, les spéculateurs ont accru leurs positions acheteuses sur le métal rouge fin décembre, pariant sur une hausse des prix. « Ils détiennent 40 000 contrats, un seuil sans précédent », relève Eugen Weinberg, analyste matières premières de Commerzbank. Par ailleurs, plusieurs banques ont acheté d'importantes quantités de cuivre, dans des stocks agréés par le LME, pour lancer, sous peu, sans doute aux États-Unis, des produits d'investissement financier (de type ETF ou ETC) adossés à du cuivre physique, histoire de répliquer son envolée.
Pour Pierre Martin, analyste matières premières chez DWS : « Si l'envolée des prix des matières premières s'accentuait encore, autoriser de tels produits financiers serait mettre de l'huile sur le feu, car autoriser un produit qui augmente la rareté aurait un impact sur les prix... » Le LME assure de son côté disposer de moyens pour lutter contre la spéculation. En cas de position dominante, il peut imposer une restitution du métal au marché. Il y a quelques jours, JPMorgan aurait ainsi revendu la moitié des énormes quantités de cuivre acquises ces derniers mois. Cela n'a pas empêché le métal rouge de s'envoler historiquement, preuve que la spéculation ne mène pas seule le bal.
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