lundi 21 février 2011

George Soros : « La menace d'une guerre des monnaies se renforce »


Les Echos, no. 20874 - Entretien du lundi, lundi, 21 février 2011, p. 8

Peut-on établir un lien direct entre la flambée des prix alimentaires et les insurrections populaires en Tunisie et en Egypte ?

Je pense que le lien n'est pas aussi important que l'on voudrait le faire croire. En réalité, on a assisté à une authentique révolution à l'ancienne, où le peuple s'est lassé d'un gouvernement corrompu et réclame désormais un profond changement. Le mouvement a démarré en Tunisie, s'est étendu à l'Egypte et pourrait gagner l'ensemble du monde arabe. Les deux événements tunisiens : l'auto-immolation d'un étudiant chômeur et la publication par WikiLeaks d'un télégramme diplomatique américain dévoilant la corruption du régime, ont joué le rôle de déclencheur du mouvement de révolte spontané, qui a ensuite gagné l'Egypte. Bien sûr, la flambée des prix alimentaires a été un élément de l'insatisfaction générale, mais ce n'est pas ce qui a provoqué en soi les mouvements populaires.

Comment jugez-vous la gestion de la crise égyptienne par l'administration américaine jusqu'ici ?

Barack Obama s'est comporté de manière certainement plus avisée que la précédente administration ne l'aurait été. Le retrait pacifique de Hosni Moubarak est une grande victoire pour son administration. Une telle révolution est la conséquence naturelle d'un réel libéralisme satisfaisant les attentes du peuple égyptien. Cela va également changer le paysage au Moyen-Orient et, si la transition se déroule correctement, cela pourrait promouvoir l'influence américaine dans la région. En effet, les gouvernements ennemis des pays occidentaux sont bien plus susceptibles de faire l'objet d'un soulèvement que les pays alliés de l'Ouest. Mais j'ai peur que l'administration Obama, sujette à l'influence de certains lobbies, ne réagisse pas toujours assez vite. Face à un mouvement révolutionnaire, il faut intervenir rapidement, sinon la situation devient vite hors de contrôle.

Pensez-vous que la pression à la hausse sur les prix alimentaires va continuer pendant plusieurs années ?

Oui, certainement. Car le lien entre le réchauffement climatique et la pénurie des denrées alimentaires est encore totalement sous-estimé. C'est un facteur crucial et structurel. C'est le début d'un cycle où le réchauffement climatique va jouer un rôle majeur dans la production alimentaire. Bien sûr, il y a d'autres facteurs. Il y a un élément de spéculation dans un contexte où les matières premières sont devenues une réelle classe d'actifs. La hausse des prix alimentaires est aussi le résultat de l'accélération de la croissance économique des pays émergents, où l'augmentation de la demande des denrées alimentaires va s'accroître, notamment en Chine et en Inde. Mais il y a aussi des bouleversements liés au changement climatique. Et rien n'a été fait dans ce domaine.

Que peut faire le G20 dans ce domaine, où les propositions françaises semblent encore se heurter au scepticisme de Washington ?

En matière de lutte contre le réchauffement climatique, il n'y a aucun accord au sein du G20. Pourtant il ne suffit plus d'en discuter. Les Etats-Unis sont aujourd'hui encore largement à la traîne sur le sujet. Il n'y a malheureusement aucune raison de mettre le réchauffement climatique au centre de l'agenda du G20, car Barack Obama ne pourra simplement pas présenter de réforme au Congrès. La victoire des républicains à la Chambre des représentants est en ce sens un nouveau revers, le mouvement du Tea Party étant opposé à la prise en compte du changement climatique dans tout projet de réforme.

Quelles sont les chances d'avancement de l'autre grande priorité de la présidence française du G20 concernant la réforme du système monétaire international ?

Depuis le G20 de Londres, des divergences ont émergé entre les principaux pays. Et il faudra beaucoup d'efforts pour les réduire. Néanmoins, les négociations sur les droits de tirage spéciaux (DTS) ont la possibilité d'aboutir à un rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine. Pékin veut en effet renforcer l'usage des DTS, mais cela implique d'accroître la convertibilité du compte de capital de la Chine, qui est aujourd'hui très limitée, afin que le renminbi devienne une monnaie éligible. De son côté, Washington veut que le renminbi soit davantage flexible. Il y a donc les éléments d'un compromis international sur la monnaie. Mais cela prendra du temps et demandera beaucoup de travail. Sachant que le président Nicolas Sarkozy a toujours été un avocat de longue date des DTS, je ne vois pas de meilleur leader pour faire avancer cette réforme.

Cela veut-il dire que l'on s'achemine nécessairement vers une réduction du rôle du dollar comme monnaie de réserve ?

Non. Car les DTS ne sont pas une monnaie, mais une combinaison de devises. Cela peut devenir une unité de compte. Quand je parle d'un usage élargi, cela n'implique pas nécessairement des émissions annuelles de nouveaux DTS additionnels. Toutefois, on peut par exemple envisager la création d'obligations à long terme libellées en DTS. Cela mérite d'être exploré et pourrait donner une nouvelle impulsion au G20. En revanche, le ballon d'essai d'un retour à la référence de l'étalon or lancé par le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, ne me semble pas très crédible aujourd'hui.

La menace d'une guerre des monnaies est-elle en recul ?

Non, elle augmente. La guerre des monnaies est déjà déclarée. Car, en pratique, il y a aujourd'hui deux systèmes monétaires : le système international et celui de la Chine, qui, encore une fois, sépare son compte courant de son compte de capital. Le fait que la Chine ait choisi de laisser son compte de capital fermé lui donne un grand avantage tant qu'elle est la seule à le faire. Le Brésil, la Corée et d'autres pays asiatiques sont aussi tentés par cette tendance. Cela risque d'entraîner la fin du libre mouvement des capitaux et des changes, et une perte pour tout le monde. Ce serait un grave revers. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous allons dans cette direction. La menace de guerres commerciales devient un vrai sujet de préoccupation. Il faut que la Chine se rapproche du système monétaire international à travers l'instrument des DTS. A cet égard, il serait exagéré de considérer le dernier sommet entre Barack Obama et Hu Jintao comme un succès. C'était surtout un constat amiable de désaccord. C'est pourquoi le président Nicolas Sarkozy a encore certainement un rôle constructif à jouer sur ce terrain.

Vous avez récemment brandi le risque d'une « Europe à deux vitesses » après la crise irlandaise. Ce risque subsiste-t-il et comment l'éviter ?

C'est un risque politique très sérieux. Si on institutionnalise une Europe à deux vitesses, cela risque d'entraîner de formidables tensions entre les pays créanciers et les pays débiteurs les plus endettés. On aurait pu éviter ce danger clairement prévisible. A présent, la dette existante est encore considérée comme sacro-sainte. Cela met les pays débiteurs dans une position désavantageuse permanente. Le plan actuel devrait être modifié de deux manières : d'abord, il faudrait permettre la restructuration de la dette existante ; ensuite il faudrait modifier le mécanisme du fonds d'urgence, pour qu'il puisse non seulement fournir des prêts aux gouvernements, mais aussi au système bancaire. De fait, il serait beaucoup plus avantageux d'avoir un plan de sauvetage pour les banques à l'échelle européenne qu'un dispositif pays par pays. En outre, la plupart des pertes des obligations d'Etat seront assumées par les banques centrales et pas seulement par le système bancaire. Ces banques centrales sont très réticentes à faire état de pertes dans leurs bilans, mais cela pourrait être évité en transférant les pertes au fonds d'urgence. Le fardeau des Etats pourrait être largement réduit et le danger d'une Europe à deux vitesses pourrait être évité. Faute de quoi, le fossé pourrait s'aggraver entre pays créanciers et pays débiteurs, et les conséquences politiques pourraient être très dangereuses.

A court terme, le risque principal est surtout lié aux prochaines élections irlandaises. Le peuple irlandais va élire un gouvernement qui rejettera les pertes du système bancaire irlandais. Cela pourrait créer une crise bancaire en Europe à très court terme.

Quel est l'objectif de la conférence de Bretton Woods organisée en avril par l'Institute for New Economic Thinking (Inet) que vous avez créé ?

Son objectif principal sera d'examiner les implications d'une réforme du système monétaire et de la réglementation financière internationale. Jusqu'ici, la globalisation des marchés financiers a été bâtie sur l'idée que les marchés financiers tendent naturellement et de façon autonome vers l'équilibre, corrigant leurs propres excès. Or la crise de 2008 a montré que cette théorie est fausse et que les marchés sont autant susceptibles de produire des bulles spéculatives qu'une forme d'équilibre. Il y a donc un besoin crucial de supervision du système financier international et surtout des banques. A mes yeux, la réforme financière américaine s'est avérée inadéquate et faible en raison de la résistance des intérêts privés. A l'issue de la crise, le système bancaire américain n'a jamais été aussi concentré, avec quatre ou cinq banques qui contrôlent désormais deux tiers du marché du crédit aux Etats-Unis ! Ce phénomène est encore pire en France. En outre, la règle Volcker sur l'interdiction du « proprietary trading » a été largement déviée et le sera encore davantage.

Quelle est votre opinion sur la proposition française de financements innovants et l'idée d'une taxe internationale sur les transactions financières avancée dans le cadre du G20 ?

Je pense qu'une taxe sur les transactions financières est une bonne idée. Nous avons une TVA sur les transactions physiques, pourquoi n'aurions-nous pas une taxe sur les transactions financières ? Après tout, les banques ont entraîné de sérieuses pertes pour les contribuables, pourquoi ne pas les mettre à contribution ? Cela créerait une nouvelle source de revenus sur une base fiscale plus large, ce qui serait cohérent avec les efforts de réduction de l'impôt sur le revenu. Les Américains vont probablement s'y opposer, mais cette idée pourrait être adoptée à l'échelle européenne. Malheureusement, Londres semble vouloir freiner ce projet pour des raisons qui m'échappent, car les Britanniques en seraient les premiers bénéficiaires.

Je suis également en faveur des propositions françaises concernant le renforcement de la transparence dans le secteur minier et pétrolier. Je me réjouis que le président Sarkozy ait endossé l'idée d'une transposition des règles américaines (l'amendement Cardin-Lugar) en ce domaine. Car, en la matière, la réglementation américaine est plus avancée qu'en Europe. L'Europe a besoin de rattraper son retard afin que la régulation du G20 soit efficace.

Propos recueillis par PIERRE DE GASQUET

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1 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce petit M. est un scandale en lui même. Oser venir parler de la guerre des monnaies alors qu'il passe son temps justement à jouer sur les monnaies pour accroître sa richesse ... et mener un travail de sape ultra US dans tous lespays où il passe.