mercredi 9 février 2011

Hyundai, machine de guerre coréenne - Philippe Escande


Les Echos, no. 20866 - Compétences, mercredi, 9 février 2011, p. 11

Le constructeur est devenu un des géants mondiaux

C'est semble-t-il à une erreur de traduction de missionnaires européens que l'on doit cette curieuse appellation de « pays du Matin calme » pour la Corée. Le calme est en effet tout relatif dans cette péninsule déchirée et hyper-active, zone de fracture géopolitique et économique prise en tenaille entre la Chine et le Japon. Etonnant modèle sud-coréen ! Il semble rassembler tout ce que l'on reproche traditionnellement aux systèmes français, japonais, indiens, voire chinois. Une démocratie certes, mais qui contrôle toute l'économie, se mêle de la gestion et de la stratégie des entreprises, dont les relations sociales sont exécrables, les patrons corrompus et le comportement protectionniste notoire.

Ce modèle qui a permis de faire sortir de terre le dragon coréen dans les années 1990, on le croyait terrassé par la grande crise asiatique de 1998. Le voilà qui donne désormais des leçons à la terre entière. Son électricien Kepco arrache des centrales nucléaires au français Areva, Samsung est devenu le leader mondial de la high-tech, devant Sony ou Hewlett-Packard et son constructeur automobile Hyundai a dépassé en 2010 Ford comme quatrième constructeur automobile mondial. Pas mal pour un petit pays de moins de 50 millions d'habitants, sans ressources naturelles et vivant sous la menace perpétuelle d'une guerre avec son frère du Nord. Petite démonstration en trois temps avec le cas Hyundai.

1 Le grand ménage de 1998

Né en 1947, le conglomérat Hyundai, bâti sur le modèle des puissants keiretsus japonais rassemblait sous un même toit de la construction navale, du génie civil, du militaire, de l'électronique, puis en 1967 de l'automobile. Suivant le schéma traditionnel, hérité des japonais : fabrication sous licence américaine (Ford), puis évolution vers des modèles propres, se démarquant de plus en plus des concurrents. Avec évidemment un argument massue, le prix, qui lui permet de débarquer aux Etats-Unis dès 1987.

La crise asiatique de 1997-1998 a cueilli ce petit monde confortable des chaebols, les conglomérats sauce coréenne. En sapant leur assise financière, elle a mis à nu la fragilité de ces grandes cathédrales industrielles ayant massivement financé leur expansion tous azimuts sur l'endettement et sur les subventions étatiques. Dans ce pays pas très calme, la réponse a été violente. La moitié des trente premiers conglomérats du pays s'est retrouvée en faillite. La plus spectaculaire a été celle de Daewoo, le deuxième chaebol du pays derrière Hyundai. Sur les cinq constructeurs automobiles de la péninsule, quatre ont sombré. Daewoo Motors sera vendu à General Motors, SsangYong au chinois SAIC, Samsung Motors à Renault et Kia à Hyundai. Moins mal en point et plus gros de tous, ce dernier s'est séparé de sa maison mère en 1998 et se retrouve désormais dans un paysage singulièrement éclairci.

2 Une base arrière solide

Il se vend chaque année près de 1 million et demi de voitures en Corée du Sud. Hyundai représente près de la moitié du marché (45 % en 2010) et sa filiale Kia un tiers (33 % en 2010). Avec presque 80 % du marché, cela laisse peu de place aux trois autres constructeurs et quasiment rien aux étrangers. Dans aucun autre pays du monde un constructeur majeur ne dispose d'une telle puissance domestique, même au Japon. Cette base arrière lui permet de contrôler ses prix et de rentabiliser son site géant d'Ulsan, la plus grande usine automobile du monde. Sur 5 millions de mètres carrés, elle permet de produire jusqu'à 2 millions de voitures par an. Berceau du chaebol Hyundai, qui accueille aussi ses chantiers navals (les premiers au monde), elle possède un port où peuvent accoster les plus gros navires. Les deux tiers de la production sont exportés. C'est dans cet équivalent du Detroit américain des années 1930 que bat le coeur du constructeur et qu'est née sa culture très centralisatrice. Une base arrière d'autant plus appréciable que la chute du cours de la monnaie locale, le won, a énormément avantagé la production, notamment en 2009. Les analystes estiment que plus des deux tiers de l'avantage coût de Hyundai sur ses concurrents à cette époque serait imputable à la faiblesse du won. Celui-ci est remonté depuis, mais, entre-temps, le groupe à ouvert des usines sur tous les continents (y compris en Europe et en Turquie). Et, bien sûr, en Chine qui devient son premier marché.

3 Objectif Toyota

La déconfiture des concurrents locaux de Hyundai n'a pas résolu tous les problèmes de l'entreprise. Au début des années 2000, elle traversait même une mauvaise passe. Ses voitures sortaient en rang serré de l'usine d'Ulsan, mais à l'étranger son image pâlissait à grande vitesse. Les premiers succès de son modèle Excel aux Etats-Unis ont été sans suite et, à la fin des années 1990, les ventes s'étaient effondrées de moitié du fait de la mauvaise qualité des produits.

Le passage de témoin, du fondateur à son fils, Chung Mong-koo, sera l'occasion d'un changement de stratégie. Celui-ci décrète la primauté de la qualité sur le volume. Toyota est érigé en « benchmark » absolu du niveau à atteindre. Les méthodes américaines de type « six sygma » sont introduites dans le centre de conception. Une obsession de la qualité qui s'accompagne d'une politique produit extrêmement agressive. Une gamme très large, qui se renouvelle très vite. Ces dernières années, la firme a renouvelé tous ses modèles aux Etats-Unis en à peine quatre ans.

Cette vitesse de réaction et de mise sur le marché porte la marque de fabrique du coréen. Les changements de dernière minute ne sont pas rares. Une rapidité rendue possible, selon certains concurrents, par la réutilisation d'éléments très proches de ceux des concurrents. Comme les japonais à leur époque et les chinois désormais, les coréens s'astreignent à une veille technologique extrêmement poussée. Enfin, du côté de la politique commerciale, la firme a fait preuve ces dernières années d'une agressivité spectaculaire : extension des garanties à cinq et dix ans, engagement de reprise en cas de chômage aux Etats-Unis. Ce travail porte ses fruits. En Amérique, l'image de l'entreprise a très fortement progressé dans les classements qualité. Le positionnement de sa filiale Kia, plus jeune et sportif ,est un atout précieux.

Mais Chung Mong-koo, patron tout-puissant, dont la peine de prison pour détournement de fonds a été commuée en « service à la communauté » accompagné d'un très gros chèque, n'est pas un tendre. Cette révolution interne avec mises sous tension et fixation d'objectifs extrêmement ambitieux s'est accompagnée de grands coups de balai dans le management, notamment aux Etats-Unis. Les relations sociales restent extrêmement dures dans l'entreprise, notamment en Corée. Occupations, violences, arrestations, les mouvements coréens feraient passer leurs équivalents français pour des discussions de salon. On estime que, en vingt ans, Hyundai a perdu près de 10 milliards de dollars du fait des grèves. C'est la face sombre du miracle coréen. Le pays du Matin « frais » (vraie traduction) a besoin de calme s'il veut prospérer longtemps en tête de l'aristocratie mondiale de l'industrie.


Les chiffres clefs Points forts Points faibles

- Chiffre d'affaires (2010) : 25 milliards d'euros (+ 15,4 %).- Résultat net : 3,5 milliards d'euros (+ 77 %).- Ventes : 3,6 millions de véhicules + 2,1 millions pour Kia (+ 24 %).- Effectif : 75.000 personnes.- Rapidité et flexibilité.- Agressivité marketing.- Leader dans les émergents et en Chine.- Marques complémentaires.- Politique sociale.- Plus suiveur qu'innovateur.

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