Les Français champions du monde du pessimisme ! C'est à mon sens le résultat de cette pensée politiquement correcte qui théorise soit notre déclin absolu, la disparition de la France dans l'Histoire, soit un réflexe occidentalo-centré qui véhicule, sur papier glacé, l'illusion de la France dans le monde.
Cette schizophrénie nous étreint. Dans un cas, la peur du monde qui change, face à l'irruption de pays émergents sur le devant de la scène internationale, produit une angoisse déraisonnée qui trouble notre analyse. Dans l'autre, la tête enterrée, nous continuons à pérorer, pensant qu'au pire la France, au mieux l'Europe peuvent conserver la position dominante acquise au moment de la révolution industrielle. Puisque le temps est à l'indignation, voici la mienne. Je ne supporte plus ces chevaliers de l'Apocalypse, souvent issus de l'élite, qui enferment notre destin collectif dans une funeste alternative : subir ou mourir.
Je suis à la tête d'un groupe industriel numéro un mondial de l'énergie nucléaire, numéro un en Europe et aux Etats-Unis, en plein développement en Chine et en Inde. De cette expérience, j'ai acquis une conviction forte : priorité à l'industrie.
Soyons lucides. Les décennies à venir continueront d'être celles de la mondialisation mais aussi d'un phénomène neuf, la déglobalisation. Les économies des pays émergents et du monde occidental sont de plus en plus imbriquées, mais le cheminement de ces nouvelles puissances passera aussi par la réponse à leurs besoins internes. La division internationale du travail et de l'intelligence en sera profondément modifiée. Si nous ne réagissons pas dès à présent, nous subirons un appauvrissement collectif durable. Dans ces circonstances, l'indignation ou le fatalisme produiront les mêmes effets.
Je suis partisane d'une troisième voie, celle du pragmatisme. A force de dire que l'époque est à l'incertitude, nous avons perdu toutes nos certitudes. Pourtant, les chiffres l'attestent : sur les 500 plus grandes entreprises mondiales identifiées par le magazine Fortune en 2010, 39 sont françaises ! Ouvrir le débat sur la politique industrielle française nécessite quelques préalables. D'abord, puisqu'il touche la vie de plusieurs millions de personnes, il doit avoir lieu en toute transparence et ne peut se réduire aux intérêts de quelques grands clercs. Ensuite, le temps de l'industrie, particulièrement celui du nucléaire, est celui du temps long. Les changements de cap au gré du vent, les arrangements au petit pied, les querelles de personnes ne sont pas à la hauteur des enjeux. La marque " France " a besoin d'une stratégie solide et durable.
D'ici vingt ans, 250 nouvelles centrales nucléaires seront lancées dans le monde. L'industrie française devra se battre pour tenir son rang de numéro un mondial. L'énergie nucléaire est donc une grande cause nationale. Au coeur de ce secteur, Areva est un formidable atout. Après dix ans de travail, nous avons constitué un groupe intégré, de l'extraction du minerai à la construction de centrales. Après dix ans d'efforts et d'innovation, nous proposons une offre diversifiée dans le nucléaire et les renouvelables adaptée aux besoins de chaque client.
Dans mon esprit, Areva, constitué à plus de 80 % de capitaux publics, est un morceau de France. Chacun en est propriétaire, ses orientations, sa stratégie, ses dirigeants ne peuvent pas être choisis sous le manteau. Ce n'est pas un secret : je suis candidate à un nouveau mandat à la tête de ce groupe. Et je suis prête à débattre de ce qu'il faut faire pour le nucléaire français parce que je souhaite apporter dans le même temps ma pierre au renouveau de l'industrie française.
Dans ce monde où il faut avant tout compter sur ses propres forces, il est urgent de réindustrialiser la France. Et d'abord dans nos têtes. Le mot " industrie " a été banni de notre vocabulaire depuis plus de vingt ans : la douloureuse fermeture des industries primaires, la financiarisation à outrance de l'économie, la nécessaire conversion écologique ont amené nos élites, nos entrepreneurs, nos concitoyens à se détourner de ce modèle de développement, assimilé certes à une histoire " glorieuse ", mais dépassée. Et pourtant, l'innovation a changé radicalement ce secteur.
A la sollicitation de la seule force des hommes, se sont substituées des technologies plus sûres et plus valorisantes. Ce changement a été peu perçu et l'industrie peine, à l'exception notable du secteur de l'énergie, à attirer les jeunes ingénieurs. Une autre preuve ? Le déficit d'investissement en France dans l'industrie est chiffré à 100 milliards d'euros. Mais l'industrie ne peut se nourrir de discours, elle doit s'appuyer sur la force de l'exemple.
Il y a dix ans, le nucléaire était perçu comme ringard et sans avenir. Nous avons refusé la résignation et avons parié sur nos chances. Ainsi, en 2000, notre usine de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) semblait condamnée : l'unique client, EDF, après l'équipement du parc français ne passait plus que des commandes sporadiques. J'ai refusé la décision de fermeture qui m'était proposée et fait le pari de transformer un arsenal en usine globale.
Dix ans plus tard, elle est toujours là mais plus grande, avec deux fois plus de salariés et un chiffre d'affaires multiplié par dix. On y voit des gros composants industriels destinés aux Etats-Unis, à la Finlande, la Chine ou à EDF, qui à travers cette internationalisation a pu garder son fournisseur national près de chez lui.
Chez Areva, le contre-pied de cette tendance au déclin industriel français s'est traduit par 26 000 recrutements en trois ans, une recherche et développement puissante (10 % de notre chiffre d'affaires) et 70 % de nos investissements en France alors même que nos marchés sont majoritairement à l'exportation.
Je suis convaincue qu'avec une ferme volonté, des choix solides, une ambition partagée, nous pouvons redresser la tête : il n'y a pas de fatalité au " déclin français " en matière industrielle. Il n'y a pas de fatalité au déclin français.
Anne Lauvergeon
Présidente du directoire d'Areva
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