mercredi 16 mars 2011

ANALYSE - Le Brésil et la Chine, rivaux et partenaires - Jean-Pierre Langellier


Le Monde - Analyses, mercredi, 16 mars 2011, p. 22

Parmi les quatre fameux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), deux d'entre eux, le Brésil et la Chine, ont des relations économiques et financières florissantes, à la fois complémentaires et asymétriques. Mutuellement dépendants, ces deux géants deviennent autant rivaux que partenaires. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La Chine est le premier fournisseur et client du Brésil, dont elle alimente 14 % des échanges. En 2010, le Brésil a augmenté de 60 %, en valeur, ses achats en Chine et de 46 % ses ventes. La balance commerciale est favorable au Brésil, d'environ 5 milliards de dollars. La Chine est le premier acheteur de minerai de fer, de soja et de pétrole (+ 125 % en 2010) brésiliens.

La Chine ne se contente pas d'acheter au Brésil. Elle y est devenue le premier investisseur direct étranger. L'an dernier, ses entreprises d'Etat ont engagé 17 milliards de dollars (12 milliards d'euros) dans des acquisitions totales ou partielles, notamment dans l'énergie, comme l'achat de 40 % de Repsol Brésil par le premier raffineur chinois Sinopec. La Chine lorgne aussi sur les terres agricoles, dans un pays immense qui n'exploite qu'un huitième de ses surfaces cultivables.

Le courant d'échanges Chine-Brésil n'est pas un long fleuve tranquille. D'abord parce sa charge est déséquilibrée : le Brésil fournit à la Chine presque exclusivement des produits de base, alors que cette dernière lui vend des biens manufacturés. Le Brésil demande une correction de cette relation « néocoloniale ». En investissant massivement au Brésil, la Chine commence à y créer de la richesse et de l'emploi.

Ensuite, parce que le Brésil subit, comme tout le monde, les effets de la sous-évaluation du yuan, conjuguée, dans son cas, à une surévaluation de sa propre monnaie, le real, par rapport au dollar auquel la monnaie chinoise est attelée. La valeur du yuan sera au menu du voyage à Pékin de Dilma Rousseff, à la mi-avril, sa première visite officielle en dehors de l'Amérique du Sud. Mais Brasilia ne souhaite pas en faire un cheval de bataille antichinois.

Pourtant, les produits chinois inondent le Brésil. Cette vague déferlante frappe violemment l'industrie locale, non seulement dans l'électronique, le textile, la chaussure ou les jouets, mais aussi dans les machines et les équipements lourds. En 2004, la Chine n'occupait que 2 % de ce marché, elle en possède aujourd'hui 40 %.

Une récente enquête du patronat brésilien recense les dégâts. Une entreprise brésilienne sur quatre souffre de la concurrence chinoise. Près de la moitié d'entre elles ont cédé des marchés aux firmes chinoises au Brésil même, et deux sur trois à l'international. La métallurgie et le textile sont les zones les plus sinistrées.

« Tout cela se passe sous notre barbe », pestait déjà l'ex-président Lula. Sa dauphine multiplie les réunions de cabinet consacrées au « problème chinois ». Mais le Brésil ne peut transformer la Chine en bouc émissaire de ses propres faiblesses. S'il aimerait lui vendre davantage de produits à forte valeur ajoutée, c'est plus facile à dire qu'à faire. Au-delà du taux de change qui pénalise ses exportations, le Brésil souffre, face à la Chine, d'une série de handicaps, qui, en s'additionnant, génèrent ce qu'on appelle communément « le coût Brésil » : des voies routières insuffisantes ou mal entretenues, des ports et des aéroports saturés, une législation du travail protectrice mais rigide, une fiscalité lourde et complexe, une corruption endémique.

L'ambassadeur chinois à Brasilia, Qiu Xiaoqi, conseille aux industriels brésiliens de « renforcer leur compétitivité ». Et pour le patron de la chambre de commerce Brésil-Chine, Tang Wei, « les prix brésiliens ne sont concurrentiels dans aucune partiedu monde ». Pékin se plaint de payer au prix fort les matières premières brésiliennes, en premier lieu le minerai de fer produit par Vale, numéro un mondial du secteur, et parle d'abus de « position dominante ».

Luo Bing Sheng, l'un des patrons chinois du secteur, annonçait récemment que son industrie voulait produire plus au Brésil pour négocier en meilleure posture les prix du minerai. Soucieuse de moins dépendre de son fournisseur, la Chine a déjà légèrement réduit le volume de ses achats, et elle développe son implantation ailleurs, notamment en Afrique.

Le Brésil se plaint aussi. Il déplore qu'au nom de la protection d'intérêts prétendument stratégiques la Chine limite, par exemple, la capacité de production de son avionneur Embraer. Il dénonce des pratiques commerciales déloyales, comme la « triangulation » qui permet à la Chine de vendre en Amérique du Sud des produits affublés de faux certificats d'origine.

Au-delà du commerce, Brasilia souhaite nouer avec Pékin un partenariat global et une coopération bilatérale à long terme dignes de deux colosses émergents. En attendant, le Brésil refuse d'honorer la promesse de Lula, en 2004, de concéder à la Chine le statut d'une « économie de marché » qui lui permettrait d'échapper aux mesures antidumping auxquelles recourt son partenaire. Pékin juge cet atermoiement « lamentable ». Sur l'échiquier planétaire, les futures parties seront serrées entre ces deux nouveaux grands.

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