vendredi 18 mars 2011

Le retrait annoncé du dalaï-lama accroît l'angoisse des Tibétains en Chine

Le Monde - International, samedi, 19 mars 2011, p. 14

L'immolation d'un jeune moine tibétain par le feu, mercredi 16 mars, dans la préfecture autonome tibétaine et qiang d'Aba (Ngaba en tibétain), une zone de la province chinoise du Sichuan, pourrait raviver les tensions au Tibet. Cet événement intervient à un moment de grande incertitude parmi les quelque 6 millions de Tibétains à propos de la succession du dalaï-lama.

Le souhait exprimé le 10 mars par le chef du gouvernement tibétain en exil de transférer ses prérogatives politiques à un dirigeant élu est actuellement débattu par le parlement en exil à Dharamsala en Inde, et des élections doivent se tenir le 20 mars. Le plus haut représentant du bouddhisme tibétain est vénéré par les Tibétains vivant en Chine malgré la diabolisation dont il est l'objet par le régime communiste.

Agé de 21 ans, Lobsang Phuntsog, du monastère de Kirti, se serait rendu mercredi sur la place du marché de Ngaba, où il se serait aspergé d'essence en criant " longue vie au dalaï-lama ", selon les ONG tibétaines en exil. Des policiers seraient intervenus et l'auraient battu. Des centaines de moines et d'habitants auraient alors manifesté.

Vendredi, International Campaign for Tibet rapportait que Lobsang Phuntsog avait d'abord été ramené au monastère puis à l'hôpital, après des négociations avec les autorités. Il serait mort de ses blessures à 3 heures du matin. L'agence de presse Chine nouvelle cite un porte-parole du gouvernement local accusant les moines d'avoir empêché la police d'emmener la victime à l'hôpital.

La mort du moine a provoqué une manifestation à Dharamsala, ville indienne où le dalaï-lama vit en exil et où 500 personnes se sont rassemblées pour dénoncer la répression chinoise au Tibet. Les organisateurs de cette protestation ont déclaré qu'ils voulaient " rappeler au gouvernement chinois que les vagues sismiques de la Tunisie et du Moyen-Orient avaient atteint le Tibet ".

Le bouche-à-oreille

Le monastère de Kirti fut le lieu d'une répression sanglante en 2008. Une dizaine de manifestants avaient été tués par les forces de l'ordre. Chose rare, des photos avaient circulé. En 2010, un autre moine de Kirti s'était immolé par le feu à Ngaba avant l'anniversaire de 2008. " Les autorités de Ngaba avaient reçu l'instruction de surveiller la situation de très près afin d'éviter tout mouvement de protestation ", a indiqué Stephanie Brigden, la directrice de l'ONG Free Tibet.

Le verrouillage des informations par le gouvernement chinois, la difficulté pour les organisations tibétaines en exil de vérifier leurs informations dans les régions tibétaines en Chine rendent la situation très instable. Selon le tibétologue Robert Barnett, de l'université de Columbia à New York, le départ à la retraite du dalaï-lama a toutes les chances d'être ressenti par de nombreux Tibétains comme un événement " catastrophique ". C'est la raison, selon lui, pour laquelle le dalaï-lama souhaite qu'une décision soit prise dès ces prochains jours au parlement en exil. Mais tout cela " amplifie le risque que les Tibétains à l'intérieur de la Chine, qui n'entendent au sujet du dalaï-lama que des informations limitées, sous forme d'attaques dans les médias chinois, en arrivent à penser que leur dirigeant les abandonne ", écrit-il dans une analyse publiée le 15 mars par BBC News.

Brice Pedroletti

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