mardi 15 mars 2011

Les micro-attentes des blogueurs chinois - Brice Pedroletti


Le Monde - Dernière heure, samedi, 12 mars 2011, p. 27

Rabat-joie, la saison parlementaire chinoise, avec ses exaspérantes mesures de sécurité, ses discours lénifiants et son spectacle vaguement folklorique des représentants des minorités ethniques en habits d'apparat ? Vous n'y êtes pas : jamais l'Assemblée nationale du peuple (l'ANP), et la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), qui tiennent leur session annuelle dans le grand hall du peuple à Pékin, n'avaient passionné tant de monde... sur Weibo, le site micro-blogging chinois.

Comme Twitter, qui est bloqué en Chine, Weibo fonctionne par messages d'une centaine de caractères - plus précisément, 140 idéogrammes. Lancé par le portail Sina en 2009, le service a explosé, avec près de 100 millions d'usagers.

Après de timides débuts lors de l'édition 2010 des deux assemblées, le Twitter chinois couvre cette année l'événement en véritable pro : les sujets relatifs au congrès arrivent chaque jour en tête des thèmes les plus débattus sur Weibo. Et l'opérateur a pris soin de guider les internautes : la rubrique « micro-attentes » propose ainsi aux citoyens de s'exprimer sur tout ce qui entrave leur quête du minsheng, ou le « bien-être », ce nouvel objectif national que le prochain plan quinquennal, sur lequel les députés doivent se prononcer lundi 14 mars, est censé promouvoir : on y trouve le prix du logement, l'emploi, les salaires, les embouteillages, la retraite et les difficultés d'inscription à l'école maternelle. « Cet intérêt des gens pour le congrès via Weibo est un phénomène nouveau. Ça a pris une telle ampleur que cela dépasse l'espace privé et personnel du blog : on est bien à l'échelle d'un espace public, ce qui en fait une étape intéressante dans la construction d'une société civile », explique Liu Chang, professeur en sciences de l'information à l'université chinoise des médias à Pékin.

Qu'un délégué émette une proposition incongrue lors des débats, ou sur son propre Weibo (169 députés de l'ANP et 212 membres de la CCPPC en ont ouvert un, mais ils sont quelques dizaines à les alimenter), et les internautes se mobilisent. Mercredi, 400 000 d'entre eux s'en sont pris aux déclarations de Wang Ping, directrice du Musée de l'art des minorités à Pékin et membre de la CCPPC.

Celle-ci souhaite décourager les enfants des campagnes d'entrer à l'université : la famille s'endette, l'enfant ne rentre pas au village, et c'est une tragédie. Le sang des internautes, dont la conscience sociale n'est plus à prouver, n'a fait qu'un tour : ils ont éreinté la malheureuse déléguée. « Et les enfants des cadres qui partent à l'étranger et ne veulent plus être Chinois, c'est pas une plus grande tragédie, ça ? », a raillé le micro-blogueur Liyanx.

Le fossé entre riches et pauvres est un thème favori des micro-débats. Et la composition des deux assemblées fait doucement scandale : depuis que le parti a pris soin de coopter les élites chinoises, l'ANP a accueilli parmi ses rangs les plus grands patrons chinois, comme Zeng Qinghou, le patron de Wahaha, première fortune de Chine, ou encore Wang Jianlin, PDG du groupe Wanda.

N'y a-t-il pas plus de milliardaires qu'au Congrès américain, ont fait remarquer les commentateurs, en épluchant la liste Hurun des chinois les plus riches ? La CCPPC est remplie de célébrités. « Vive le Congrès Renminbi, rempli de riches, de célébrités, et de cadres du parti ! », a plaisanté qingqingboyuan. Attention, la liberté de ton a des limites : alors que les députés sont censés examiner le budget et le voter, les fonds alloués au maintien de la « stabilité », c'est-à-dire destinés aux forces de sécurité et à la justice, ont dépassé pour la première fois cette année le budget militaire. Les discussions sur le sujet ont disparu de Weibo, et une recherche avec l'expression « budget de stabilité » donne la mention : « Il n'y a pas de résultats correspondant aux lois et aux règles en vigueur. »

Certains macro-sujets suscitent toutefois des micro-discussions : c'est le cas de la politique de l'enfant unique. Dans son rapport présenté samedi 5 mars à l'assemblée, le premier ministre Wen Jiabao a pour la première fois mentionné une « amélioration progressive » du planning familial. Un signal : certains députés ont renouvelé l'appel à un assouplissement de la politique de l'enfant unique. Sina a aussitôt lancé un sondage le 7 mars sur Weibo : 83 % des participants se sont prononcés en faveur d'un desserrement des règles du planning familial.

La micro-démocratie va-t-elle changer la Chine ? « Ça n'a rien à voir avec la démocratie, même si Weibo exerce une certaine pression de l'opinion publique. Le pouvoir en a d'ailleurs un peu peur, mais il écoute l'avis des gens seulement quand ça l'arrange », estime le politologue Zhang Ming, de l'université du peuple à Pékin.

Il faut dire que les deux assemblées n'ont pas de pouvoirs réels : la plupart des lois sont votées par un comité permanent de l'ANP dépendant du parti. La CCPPC, conçue comme une haute chambre consultative, n'est « ni plus ni moins qu'un salon de thé », estime Li Datong, célèbre directeur de presse limogé il y a quelques années pour avoir dénoncé la censure. Elle donne l'illusion de débats libres. Les députés sont des « marionnettes », poursuit-il, qui ne comptent pas dans les processus de décision : « Le jour où l'on a de vrais députés, alors Weibo pourra être utile pour communiquer entre les électeurs et les députés ! »

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