Le Figaro, no. 20757
S'il est une chose qui progresse encore plus vite que le PIB en Chine
ces temps-ci, c'est le niveau d'activité policière. Depuis deux mois, depuis que les révoltes populaires bousculent le monde arabe, une vague de répression sans précédent depuis vingt ans s'est abattue sur tout le pays. Des douzaines d'avocats, d'intellectuels, de militants des droits de l'homme ont disparu, sont assignés à résidence ou harcelés. La plus spectaculaire est l'arrestation de l'artiste Ai Weiwei, dont on est sans nouvelles depuis près d'un mois, et qui suscite une vague de protestations internationales que Pékin avait peut-être sous-estimée. Le dialogue sino-américain sur les droits de l'homme, qui se tient depuis hier à Pékin, ne manque pas de sujets concrets.
L'ampleur de ce raidissement a de quoi étonner, de la part d'une Chine
par ailleurs si soucieuse de son image et qui engage des moyens considérables pour projeter son « soft power ». Mais, aujourd'hui, les logiques intérieures ont pris totalement le dessus. Il y a bien sûr « l'effet jasmin », qui a créé une réelle angoisse chez les dirigeants communistes. La seule violence de leur réaction en atteste. Le ministère de la Sécurité publique a « pris la main », balayant tous les arguments de modération des diplomates ou éléments « libéraux ». On a choisi l'option « risque zéro », en étouffant à la base la moindre voix dissonante. Soit « tuer le poulet pour effrayer le singe », selon le fameux adage. L'autre explication « conjoncturelle », c'est le Congrès politique de 2012 et le changement d'équipe au pouvoir. Les luttes de clans sont féroces et il y a toujours moins de risques à durcir la pression qu'à la relâcher.
De ce point de vue-là, malgré une apparente et nouvelle assurance, la Chine
fait figure de « pays de la grande inquiétude ». Au sentiment de fragilité - que ce soit pour la propriété, la santé, la sécurité alimentaire - ressenti par la population répond une sourde angoisse du régime pour la stabilité et la pérennité du système. La Chine
est certes loin d'être au bord de l'explosion. Mais les facteurs d'instabilité sont là. Les couches défavorisées souffrent de l'inflation et la récente grève musclée des routiers sur le port de Shanghaï est une nouvelle alarme. La classe moyenne, véritable base sociale du régime, a elle aussi parfois des états d'âme. Si elle sait indéniablement gré au pouvoir d'avoir assuré ordre et croissance économique, elle se plaint de la flambée immobilière qui barre l'accès au logement. Et, sans avoir de réelles revendications politiques, supporte de moins en moins les « mensonges » officiels et les atteintes à sa liberté d'expression.
Si Pékin nie à Washington le droit de parler de « spirale négative » sur les droits de l'homme, la grande majorité des milieux intellectuels chinois déplorent un retour en arrière. En privé, professeurs d'université, avocats, artistes s'avouent « désabusés ». Quand elles durent, comme c'est le cas depuis 2008, disent-ils, les périodes d'exception ont une tendance naturelle à devenir la règle. Des universitaires parlent d'un climat de « peur généralisée », où plus personne n'ose émettre la moindre critique. La grogne des étudiants de l'université de Pékin contre l'augmentation des tickets de cantine a même été vue comme subversive. Ceux qui professent des idées « trop originales » se voient proposer des entretiens de recadrage. Comment, dans ces conditions, « libérer la pensée », selon l'expression consacrée ?
D'un point de vue mondial, l'enjeu se situe autour d'une « guerre des modèles ». De l'Afrique à l'Asie centrale, Pékin s'évertue à pointer les « maladies » chroniques des démocraties occidentales, en exaltant les vertus, notamment économiques, de son modèle autoritaire. Récemment, les autorités russes ont ainsi confié étudier le modèle chinois de contrôle de l'Internet pour « peaufiner » le leur.
PHOTO - Paramilitary police march past the Monument to the People's Heroes on Tiananmen Square, closed off to the general public, during ramped up security for China's annual parliamentary session on March 3, 2011. The opening session of the Chinese People's Political Consultative Conference (CPPCC), the parliamentary advisory body, was underway two days ahead of the National People's Congress where thousands of delegates place their rubber stamp of approval on the policies of the ruling Communist Party. FP PHOTO / Frederic J. BROWN.
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