Hu Xingdou, professeur d'économie à l'Institut des technologies de Pékin, considéré comme un intellectuel libéral, tient sur son blog une chronique intitulée " Sinologie ", qu'il décrit comme l'étude des problèmes chinois.
Comment décryptez-vous ce durcissement du régime ces derniers mois ?
C'est le signe qu'on est, en Chine, dans une époque de résistance aux réformes : avec le développement économique, l'apparition d'un nombre croissant de problèmes économiques et sociaux, de plus en plus de gens s'opposent aux réformes. Sur le plan politique, il y a un courant d'admiration envers Mao qui se développe. Il va contre les valeurs de la civilisation moderne. La justice aussi connaît un recul. Les députés locaux se sont vus privés du droit d'ouvrir des bureaux. Les organes juridiques ont reçu pour mission de protéger en priorité les intérêts du Parti communiste.
Malgré tout, je pense, moi, que tout cela est temporaire. L'économie de marché continuera de progresser, et avec elle, l'Etat de droit et la démocratie qui y sont liés.
Quel regard portez-vous sur les courants néomaoïstes qui sont notamment très virulents sur l'Internet en Chine ?
Il y a dans la société chinoise aujourd'hui un courant d'admiration envers Mao qui se développe. Ce courant s'oppose à la civilisation moderne, il est nostalgique de l'époque du culte de la personnalité et du culte des héros. Il y a toutes sortes d'organisations, comme le Parti communiste du maoïsme ou encore le Parti (communiste) des ouvriers. Et le site Internet Utopia. Il est difficile de dire à quel point ces organisations sont réelles. Mais il est vrai qu'elles attirent toute une partie des gens de la base, comme les ouvriers ou les ruraux, qui sont mécontents de ce qu'a apporté le développement économique.
Parmi les dirigeants chinois, beaucoup ne se décrivent pas comme néomaoïstes. Mais on peut reconnaître cette tendance chez ceux qui soutiennent systématiquement la Corée du Nord, par exemple, et qui diabolisent les Etats-Unis. Ils utilisent aussi une façon de faire qui rappelle Mao, celle des yundong, les " mouvements anti " telle ou telle chose.
Cela rejoint un courant nationaliste, très conservateur, qui fait de la Chine une " nation supérieure ". C'est une manière d'exploiter le patriotisme. En réalité, les problèmes sociaux, les abus, les crimes étaient bien plus nombreux sous Mao qu'aujourd'hui, mais à l'époque, le contrôle de l'information était très strict. Beaucoup de gens n'étaient pas au courant et continuent à ne pas vraiment l'être. Ces militants se servent de l'époque idéalisée de Mao pour contrer la période de réformes.
Quels sont les dangers de cette résurgence des idées maoïstes ?
Ce qui est dangereux dans ces mouvements, c'est qu'ils soutiennent la dictature et le fascisme. Ils ne tolèrent aucune divergence de point de vue. Or, si les réformes politiques n'avancent pas en Chine, les problèmes sociaux vont augmenter, et les néomaoïstes auront davantage d'occasions de critiquer la politique d'ouverture. Et la Chine risque bien de retourner à l'époque de Mao. En Iran, sous le chah, la libéralisation économique s'était, peut-être, faite trop vite, cela a entraîné un coup d'Etat et l'Iran a plongé dans le fondamentalisme.
En l'absence de réformes politiques en Chine, l'ouverture économique favorise les groupes d'intérêt qui abusent de leur pouvoir. Cette dérive risque bien de nuire aux avancées dans le domaine économique.
Je pense que Mao est un cauchemar éternel dans lequel sont plongés les Chinois. Le culte de la personnalité, la lutte des classes, et le culte des héros ont été mis au service d'une conquête du pouvoir. Si on ne critique pas ouvertement Mao, si on ne sort pas de cette culture d'annihilation de la contestation qu'il nous a léguée, on n'entrera jamais dans la modernité.
Propos recueillis par B. Pedroletti
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