lundi 25 avril 2011

REPORTAGE - Guam, forteresse américaine en Asie - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20752 - Le Figaro, vendredi, 22 avril 2011, p. 2

Nul endroit mieux que cette île de l'archipel des Mariannes ne symbolise la présence américaine en Asie-Pacifique. Les défis posés par l'émergence chinoise ne sont pas étrangers à sa montée en puissance.

Sur les plaques minéralogiques des voitures de l'île ou sur les tee-shirts prisés par les touristes, on peut lire : « C'est ici que le jour américain commence. » Une affirmation à prendre au premier degré. Guam est le territoire américain le plus occidental, à sept heures de vol de Hawaï, mais un jour plus tôt. Cette « forteresse américaine avancée en Asie-Pacifique », comme le titre une étude de l'US Army War College, va devenir la grande base des États-Unis dans la région.

C'est de Guam, pendant la Deuxième Guerre mondiale, qu'un bon millier de bombardiers B-29 sont allés déverser leurs bombes sur l'archipel nippon. À l'époque, plus de 500 000 GI étaient stationnés au bord de ces lagons, prêts à monter à l'assaut d'Okinawa ou Iwo Jima. C'est aussi de cette même Micronésie, de l'« île soeur » de Tinian, qu'ont décollé les avions emportant les bombes atomiques qui allaient dévaster Hiroshima et Nagasaki. C'est encore de Guam et des îles voisines que des centaines de B-52 sont partis larguer leurs mortelles cargaisons sur le Vietnam.

L'histoire de Guam est étonnante. Sur les hauteurs de quelques criques où les galions venaient mouiller pour refaire vivres et eau, on trouve encore les vestiges de quelques fortins espagnols. Découverte par Magellan en 1521, l'île resta pendant plus de trois siècles et demi sous tutelle hispanique, avant que quelques coups de canons ne la fassent passer sous domination américaine en 1898. Pendant un demi-siècle, Guam reste essentiellement un point avancé de ravitaillement en charbon pour l'US Navy. L'histoire y débarque de nouveau avec les troupes japonaises qui s'emparent de l'île en 1941. Guam se singularisera, en étant le seul morceau de territoire américain occupé, pendant deux ans et demi.

Aujourd'hui, on ne parle plus que de la « superbase » dont l'Amérique va bientôt disposer au coeur de cette si stratégique Asie-Pacifique. Le général John Doucette, commandant de la base aérienne d'Andersen, dans le nord de l'île, montre la carte accrochée au mur. « Si on trace un cercle depuis Guam, dit cet ancien pilote de chasse aussi carré qu'affable, on peut voir que toutes les zones sensibles sont à moins de six heures de vol. » Cette île de l'archipel des Mariannes est merveilleusement située sur la lisière maritime de l'Asie. À égale distance du Japon et des Philippines, soit moins de trois heures de vol. Et, bien sûr, à distance fort intéressante de la Chine et de la Corée du Nord.

Le document donnant le feu vert à la montée en puissance militaire de Guam a été paraphé l'été dernier et les premiers contrats signés en octobre 2010. L'objectif officiel est d'avoir terminé l'opération en 2014. Les premiers marines doivent arriver du Japon en 2012. L'entreprise est placée sous la houlette de l'US Navy, John Jackson en est le grand ordonnateur. « Le processus va être long, mais le train a déjà quitté la gare. Le rythme dépendra des financements du Congrès et de l'avancement des infrastructures de l'île », reconnaît cet ancien colonel des marines, au verbe aussi net que sa chemise hawaïenne est flottante. En fait, l'affaire devrait se prolonger sur une dizaine d'années supplémentaires. L'homme gère un projet chiffré à plus de 10 milliards de dollars. « Et ce sera plus, avec les dépenses que les unités militaires devront assurer sur leurs implantations », précise-t-il. Le Japon financera le transfert à hauteur de 6 milliards de dollars.

Aujourd'hui, ce « territoire non incorporé » des États-Unis abrite quelque 7 500 militaires américains, auxquels il faut ajouter 8 500 membres de leurs familles. Des chiffres qui, dans le futur, devraient passer à près de 18 000 militaires et plus 19 000 proches. Le principal et plus symbolique mouvement concerne le transfert de 8 500 marines d'Okinawa; 10 000 d'entre eux y resteront tout de même stationnés. Les remous suscités au Japon par la présence massive des soldats américains, à Okinawa essentiellement, ont précipité le mouvement sur Guam. Il s'agit de « réduire l'empreinte américaine » dans l'archipel nippon. Ces marines disposeront d'une base flambant neuve à Finegayan, et d'un site dédié pour leurs navires dans le port militaire.

« On est chez nous, c'est inestimable »

La Navy prévoit aussi de gros travaux dans Apra Harbour. Depuis 2004, le port abrite cinq submersibles, trois sous-marins nucléaires d'attaque et deux autres sous-marins nucléaires stratégiques transformés pour lancer des missiles de croisière Tomahawk. « Nous sommes ici en soutien de la Flotte du Pacifique et plus d'une centaine de bâtiments passent annuellement, explique le commandant Richard Wood, patron la base navale. Nous allons construire un nouveau quai permettant d'accueillir pour de longues durées nos porte-avions. Ils pourront y faire de la maintenance pointue ici, y compris sur leur propulsion nucléaire. » Des opérations sensibles plus faciles à effectuer ici qu'au Japon. Cette absence de contraintes est l'un des grands atouts de Guam. « Ici, au moins, on est chez nous, c'est inestimable », confie un officier.

Côté air, la base aérienne va seulement accueillir une unité d'hélicoptères des marines. Pour le reste, elle est déjà surdimensionnée. Depuis longtemps. Dans les couloirs du QG, des photos d'archives montrent jusqu'à 155 bombardiers géants parqués sur les pistes à l'époque de la guerre du Vietnam ! « Depuis le milieu des années 1990, l'activité n'a cessé de se renforcer ici, avec la présence continuelle de bombardiers depuis 2004 », explique le général John Doucette. Une demi-douzaine de B-52 toute l'année, mais aussi des F-22 les trois quarts du temps. En septembre dernier, le premier Global Hawk est arrivé sur l'île, qui en héberge deux et à terme quatre. Ces drones stratégiques peuvent voler pendant plus de trente heures à 20 000 mètres, soit deux fois l'altitude d'un avion de ligne, et sur une distance de 20 000 km, la moitié de la circonférence terrestre.

Les Japonais débarquent de nouveau en vagues serrées sur les plages de Guam, sous la forme de bataillons d'« office girls », jeunes employées qui voyagent à trois ou quatre. Elles partent à l'assaut des duty free géants et autres magasins Vuitton. Si la fibre historique les titille, elles peuvent visiter la grotte de Yokoi, ce soldat japonais qui ne voulait pas croire que la guerre était finie et a vécu caché dans la jungle de l'île jusqu'en 1972 ! Mais la grosse affaire, ce sont les mariages. « Au Japon, cela coûte très cher, ici, c'est exotique, explique Gerald Perez, directeur du Guam Visitors Bureau. Cela fait venir 200 000 personnes par an et nous assurons un tiers des mariages japonais à l'étranger. C'est intéressant car ils viennent à dix ou quinze. Et ils dépensent pour les limousines, la chapelle, la musique... »

Les Japonais forment 75 % des touristes, les Coréens viennent ensuite avec 10 %. Les visiteurs chinois sont en ligne de mire, même si les visas restent un problème. Le tourisme est la deuxième activité économique de l'île. L'image « kaki » de l'endroit n'est pas un handicap. Au contraire, pour Gerald Perez, la montée en puissance de Guam lui donne « une dimension encore plus internationale et va développer des infrastructures dont tout le monde va bénéficier ». Même si un immense champ de tir, par exemple, va occuper un site paradisiaque face à la mer, alors que les militaires possèdent déjà près de 30 % de l'île.

Les ambitions du Pentagone à Guam suscitent bien quelques remous. Des opposants, minoritaires, s'inquiètent du poids sur les infrastructures, si les budgets ne suivent pas, et des atteintes à l'environnement. Des rapports de plusieurs agences fédérales leur ont donné des munitions. Des chiffres ont fait peur. On parle d'une augmentation rapide et déstabilisante de 45 % de la population, avec l'arrivée de 79 000 personnes. « En fait, ces projections étaient exagérées, assure John Jackson, cela devrait tourner autour de 40 000 résidents supplémentaires. » Ici, on espère beaucoup que Barack Obama, avec son « tropisme Pacifique », puisqu'il est né à Hawaï et a grandi en Indonésie, plaidera pour Guam. Certains voudraient aussi renforcer l'identité « chamorro », l'ethnie originelle et principale, qui constitue 40 % de la population. Le gouverneur sortant Felix Camacho a proposé que l'île soit rebaptisée « Guahan ». L'antimilitarisme n'est cependant pas de mise sur l'île. Elle est régulièrement en tête des 54 États et territoires américains pour le recrutement de soldats. Et, dans les conflits récents, a eu quatre fois plus de morts au combat que le continent.

© 2011 Le Figaro. Tous droits réservés.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il faut m'expliquer quelques chose:
Pourquoi que a chaque fois qu'un pays du Sud (Chine, Inde, Brasille etc.) devient riche que l'Occident doit se sentir menace au point d'amasser ses troupes aux portes des ces pays?
Finalement les pays occidentaux ne veulent pas le développement des pays pauvres?
Alors pourquoi se plaindre de l’immigration? Puisque ces gens ne peuvent pas prospérer et vivre en paix dans leurs pays, il faut qu’ils viennent partager les pains que les volent lâchement, non?

Anonyme a dit…

Il faut m'expliquer quelques chose:
Pourquoi est ce que à chaque fois qu'un pays du Sud (Chine, Inde, Brasille etc.) se développe et devient riche que l'Occident doit se sentir menacé au point d'amasser ses troupes aux portes des ces pays?
Finalement les pays occidentaux ne veulent pas le développement des pays pauvres?
Alors pourquoi se plaindre de l’immigration? Puisque ces gens ne peuvent pas prospérer et vivre en paix dans leurs pays, il faut bien qu’ils viennent partager les pains qu’on les volent lâchement, non?

Anonyme a dit…

Explication: le mâle Alpha ne partage pas ... Chez certains animaux complexes (bonobo,homme) le mâle dominant ne doit pas toujours son statut à sa seule force physique mais aussi à des méthodes indirectes telles que l'habileté à constituer des alliances politiques.(Cf wikipedia)