Le bien-être des collaborateurs est facteur de performance économique à terme. Réorganiser le travail et repenser les méthodes de management constituent deux piliers dans une stratégie de prévention et de gestion des risques du stress au travail.
Cafétéria agréable, salle de sport, conciergerie, massages, ticket psy, crèche ou garderie... Sommées d'améliorer les conditions de travail de leurs équipes, de plus en plus d'entreprises multiplient les efforts. Néanmoins, si ces initiatives font du bien aux employés, les experts s'accordent pour reconnaître que ce catalogue de bonnes intentions peine à s'attaquer au stress en profondeur, ou à réduire l'absentéisme et les cas de burn-out. "Tout ce qui représente un "plus" du point de vue de la convivialité et de la détente s'avère louable, mais c'est insuffisant, souligne Jean-Claude Delgènes, directeur de Technologia, cabinet spécialisé en prévention des risques professionnels. Certaines propositions sont pertinentes et parfois plébiscitées par les salariés eux-mêmes, à condition qu'elles ne servent pas de substitution à une vraie réflexion."
"Ces mesures sont périphériques, ce n'est souvent que du pur enrobage", considère pour sa part Bénédicte Haubold, fondatrice du cabinet Artélie Conseil, et auteure du livre Les Risques psychosociaux. Analyser et prévenir les risques humains (Eyrolles). "Il faut s'attaquer au travail lui-même, le rendre source d'épanouissement", estime quant à lui Patrick Légeron, psychiatre, directeur du cabinet Stimulus, auteur, avec Philippe Nasse, du Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail.
Donner du sens au travail
Sommes-nous aujourd'hui sortis du déni des risques psychosociaux ? "Disons que nous sommes au début de la prise de conscience", tempère Bénédicte Haubold. Depuis 2006, la jurisprudence - renforcée par des arrêts de février 2010 - oblige l'employeur à fournir aux collaborateurs un environnement exempt de risques, y compris psychosociaux. Résultat : même si c'est surtout par crainte d'un risque pénal, d'un risque d'image ou d'un risque business, certaines entreprises s'engagent dans des réformes de fond. Selon Patrick Légeron, "pour procurer du bien-être, le travail doit avoir un sens. Expliquer à un télé-opérateur comment dire bonjour ou merci appauvrit son travail. Il faut responsabiliser l'individu".
C'est ce que fait le groupe agro-alimentaire Brioche Pasquier (3 000 salariés) depuis une trentaine d'années. "Nous sommes convaincus qu'il est plus facile de gérer de petites unités, plutôt que de grandes entités avec les problèmes d'anonymat qui en découlent, explique Pascal Pasquier, son PDG. Nous affectons à chacun de nos sites une responsabilité sur un métier, sur un produit ou sur un client. Chaque projet est porté par des équipes qui y sont confrontées quotidiennement. Nous avons fait le choix d'un management fondé sur la responsabilisation des directions à travers la décentralisation. Le rôle du siège est d'accompagner les sites dans cette stratégie, en préservant la cohérence et la cohésion."
Lier performance et rémunération
La méthode qu'applique Brioche Pasquier est celle de l'Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor), créé en 1975 par Henri Savall, économiste et professeur de sciences de gestion, qui étudie notamment les points sensibles sur lesquels les travailleurs se plaignent d'insatisfaction. Il détaille... "Nous en avons identifié six : mauvaises conditions (physiques) de travail, mauvaise organisation (manque d'intérêt, peu de responsabilités, d'autonomie, de capacité d'initiative...), piètre gestion du temps, absence de communication (de coordination, de concertation), absence de formation intégrée et problème de mise en oeuvre stratégique." En outre, l'Iseor a mesuré la rentabilité de l'investissement en bien-être humain (voir ci-contre). "Nous démontrons que l'investissement en développement qualitatif du potentiel humain se révèle beaucoup plus rentable que n'importe quel investissement technologique, d'où notre slogan : "Occupez-vous de vos collaborateurs, ils s'occuperont des machines et des clients"", poursuit-il.
Comme Brioche Pasquier - et plus de 1 200 entreprises dans 35 pays -, le groupe Gifa, société de véhicules de secours qui compte 250 collaborateurs, applique lui aussi la méthode de gestion socio-économique de l'Iseor, dont la pierre angulaire est le lien direct entre performance économique et performance sociale. Concrètement ? "Les collaborateurs visent trois batteries d'objectifs : les objectifs individuels (dont 50 % des bénéfices leur sont reversés), les objectifs semi-collectifs (dont l'employé touche 30 % des bénéfices), et les objectifs collectifs (20 % des bénéfices pour chacun). Ceux qui ont bien performé ne sont pas pénalisés. On sort du blabla, et la performance économique se retrouve directement dans leur portefeuille !", résume Jean Caghassi, PDG de Gifa, avant de conclure : "Je vois dans ce mode de gestion socio-économique une marque de reconnaissance."
Faire preuve de reconnaissance
Le mot est lâché. "La fiche de paie est la première forme de reconnaissance, note Jean-Claude Delgènes. En France, le salaire médian est assez faible, mais surtout, au-delà de la rémunération, il y a souvent un réel problème de respect. Les individus sont avant tout des êtres de chair et de sang qui ont besoin d'être valorisés." Cette valorisation passe, notamment, par la prise en compte de ce que vivent les employés au quotidien. "Dès le premier trimestre 2009, alors que les collaborateurs de nos agences subissaient un stress dû au nombre accru d'incivilités de la part de la clientèle, nous avons mis en place une équipe totalement disponible afin d'intervenir dans l'heure suivant de telles situations anxiogènes, raconte Olivier de Marignan, directeur général de Banque populaire Loire et Lyonnais. Par ailleurs, nous réorganisons le travail en suivant quatre axes, qui répondent aux besoins des collaborateurs." Ces quatre axes ? "Le premier est un plus grand espace de liberté : la banque y gagne en pertinence économique et les équipes en plaisir à travailler. Le deuxième est le besoin d'un cadre cohérent donc rassurant : les équipes ont besoin de se sentir correctement pilotées, selon des directives claires. Le troisième est le besoin d'exercer un métier d'avenir : face aux mutations du secteur, aux évolutions du marché, nous investissons fortement et de façon visible dans le coeur de notre métier. Enfin, chacun a besoin d'un environnement professionnel stable et sécurisé, ce qui passe notamment par le dialogue social. Au final, les collaborateurs ont conscience qu'ils travaillent plus qu'avant, mais ils se disent plus heureux professionnellement", soutient Olivier de Marignan.
Repenser le management
De façon plus large, chaque réforme mise en oeuvre au sein des entreprises devrait l'être également chez les sous-traitants. Comme le proposent Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, auteurs du Rapport sur le bien-être et l'efficacité au travail. 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail. C'est le cas pour Danone, explique la directrice générale des ressources humaines, Muriel Pénicaud : "Notre programme intitulé "Respect", c'est-à-dire la charte Danone des droits sociaux fondamentaux, s'applique à nos fournisseurs et sous-traitants : ceux-ci ont des obligations vis-à-vis de leurs salariés. Nous n'avons pas de responsabilités d'employeur, mais leurs conditions d'emploi et de développement nous importent pour soutenir un écosystème solide économiquement et socialement."
Si la prise de conscience et la majorité des projets initiés dans les sociétés hexagonales sont saluées, ces projets doivent s'accompagner d'un nouveau mode de management.
Responsabiliser les salariés
"Pour reprendre les mots de Xavier Huillard, PDG de Vinci, "le bon modèle de développement, c'est quand le projet économique et le projet social se font la courte échelle et se nourrissent l'un l'autre". Cet équilibre favorise le bien-être et l'efficacité dans l'entreprise, relève Xavier Planchon, DRH de Vinci Park. Nous cherchons la cohérence entre les valeurs de l'entreprise - confiance, respect, solidarité - et les organisations et modes de management. Cela passe par le fait de confier rapidement des responsabilités aux collaborateurs, par l'accompagnement des leaders pour qu'ils ne soient pas que des "techniciens du management" mais de vrais professionnels des relations humaines." Et d'ajouter : "Nous entraînons nos équipes en les mettant en situation, face à des cas concrets : que décider dans le cadre d'un rachat, d'une implantation dans une nouvelle ville ? Alors que les jeunes diplômés sont souvent formés aux techniques de management, chez nous ils découvrent que manager, c'est avant tout gérer des relations humaines."
"Repenser l'enseignement du management est urgent, surtout dans les grandes écoles, relève Olivier Tirmarche, consultant associé au sein du cabinet le Carré Conseil, cela permettra de former des dirigeants capables d'intégrer dans la performance sociale dans la performance économique."
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