Le Temps - Suisse, jeudi 9 juin 2011
L'exposition suisse sur le célèbre physicien ne sera pas montrée dans la ville chinoise, car les autorités locales voulaient qu'y soient fondus des éléments sur le grand penseur chinois, petit à petit remis au goût du jour alors que le pays se cherche de nouvelles valeurs sociales
Après Pékin, Guangzhou et Hongkong ces jours, Shanghai devait accueillir l'exposition sur Einstein, mise sur pied par le Musée historique de Berne où elle avait été visible entre juin 2005 et octobre 2006, attirant alors 350?000 visiteurs. Mais il n'en sera rien, selon le South China Morning Post: les responsables du Musée des sciences et technologies de Shanghai ont demandé que l'événement, soutenu par Présence Suisse et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) dans le cadre des 60 ans des relations diplomatiques sino-helvétiques, soit fondu avec une exposition sur Confucius. Ce que les organisateurs suisses ont refusé: «Ce que nous proposons est un produit fini, à succès, explique Jakob Messerli, directeur du Musée historique suisse. Faire une exposition différente aurait imposé techniquement de grosses modifications.»
Pourquoi vouloir lier Confucius à Einstein? Les responsables du musée chinois n'ont pas donné d'explications. Selon une source proche du dossier, l'intérêt pour le personnage d'Einstein est très grand, aussi auprès des Chinois. L'occasion aurait ainsi été belle de profiter de l'événement pour faire parler aussi du grand penseur que fut Confucius. «L'on sent une volonté, en Chine, de vouloir réintroduire des grandes figures pour promouvoir la culture nationale», confirme Nicolas Zufferey, sinologue à l'Université de Genève. «Durant l'époque communiste, et surtout depuis la révolution culturelle entre 1966 et 1976, il était très mal vu de faire référence aux anciens grands penseurs chinois, commente Gérald Béroud, directeur du site indépendant SinOptic à Lausanne. Mais dès la fin des années 70, les choses se rétablissent peu à peu. Et récemment, comme ils ne pouvaient plus tabler uniquement sur l'idéologie communiste et socialiste pour souder la population, les dirigeants ont dû retrouver d'autres valeurs communes, notamment chez Confucius, qui prônait la maîtrise de soi et le respect de la hiérarchie. Le pouvoir voit ainsi, en citant le penseur, une manière de redonner une orientation à la société, en profonds et rapides bouleversements depuis peu.»
Toujours selon le South China Morning Post, dix jours avant la présentation de l'exposition à Pékin, les responsables du musée de la capitale auraient demandé qu'en soient ôtés les éléments faisant référence à la Première Guerre mondiale, très présente en toile de fond de la vie du célèbre physicien à cette époque. Sollicité pour confirmer cette information, le DFAE, tout en regrettant l'annulation de Shanghai, n'a pas souhaité se prononcer sur ce point hier. L'exposition pékinoise s'est tenue sans modification, attirant 200?000 visiteurs en quatre mois.
«Les dirigeants chinois ont toujours eu pour habitude de contrôler de près la lecture faite de l'histoire, notamment celle de la Grande Guerre», analyse brièvement Nicolas Zufferey, qui précise ne pas connaître le contenu de l'exposition.
Désormais, «les partenaires suisses sont ouverts à d'autres possibilités de la présenter, à Shanghai ou ailleurs en Chine», conclut un porte-parole du DFAE dans un courriel.
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