jeudi 2 juin 2011

Miroslav Radman : Il a découvert le secret de la longévité

Le Point, no. 2020 - Société, jeudi 2 juin 2011, p. 58,59,60,61,62

Graal. Prolonger notre existence de cent ans, c'est le défi de Miroslav Radman, l'un des plus grands généticiens de la planète.

«Ce matin, en vous levant, vous ne saviez pas que vous alliez vivre six heures de plus », nous lance d'entrée de jeu Miroslav Radman. Devant nos mines interloquées, le chercheur en génétique moléculaire enchaîne : « Sans que l'on sache pourquoi ni comment, l'espérance de vie de l'espèce humaine rallonge de six heures par jour. Et l'on peut accélérer le processus ! » Tignasse en bataille et faux air de Pedro Almodovar, le professeur Radman est l'un des plus grands spécialistes de l'ADN. Dans son laboratoire parisien à la faculté de médecine de l'université René-Descartes à Paris, les microscopes électroniques sont alignés comme des batteries de canons sur le pont d'un navire. Ce fils de pêcheur croate, né à Split il y a soixante-sept ans, s'est mis en tête de percer le secret de l'immortalité. Pas moins ! Tel un Christophe Colomb de la science, Miroslav Radman explore la chimie du vieillissement en empruntant de nouvelles routes. Et ce qu'il a découvert pourrait bien révolutionner l'humanité.

« J'ai appris à lire à 4 ans, en déchiffrant sur la coque le nom des bateaux qui rentraient au port. Aussitôt, je suis devenu un prince aux yeux de mes tantes illettrées. Je leur lisais les nouvelles dans le journal. »

Courtisé par les plus prestigieuses universités américaines, c'est en France que ce surdoué a jeté l'ancre. Après trente ans de recherche au CNRS puis à l'Inserm, Miroslav Radman est convaincu d'avoir trouvé le chemin vers l'élixir de jouvence.« C'est en décortiquant une étrange bactérie que j'ai acquis la conviction qu'il devenait possible de prolonger la vie humaine, en bonne santé, bien au-delà de ce qui est imaginable aujourd'hui. » Une aventure que le biologiste, devenu lui-même immortel depuis qu'il est entré à l'Académie des sciences, raconte dans un livre vivifiant (1), dont Le Point publie en exclusivité les extraits (lire pages suivantes).

Cette bactérie qui recèlerait, comme une poignée d'autres bestioles microscopiques, l'arme contre le vieillissement, c'est la « bactérie du corned-beef » découverte en 1956 dans des conserves de viande stérilisées à coups de rayons gamma. Une coriace capable de résister à des radiations 10 000 fois supérieures à la dose mortelle chez l'homme. Au point que certains se sont même demandé si Deinococcus radiodurans, c'est son nom scientifique, n'était pas venue de l'espace ! Ayant voyagé sur une météorite, elle aurait été irradiée et totalement desséchée, ce qui expliquerait sa phénoménale résistance à la déshydratation.« En plein désert, brûlée par les rayons du soleil, Deinococcus peut, grâce à une seule goutte de pluie, ressusciter des dizaines, peut-être des centaines d'années plus tard », s'enthousiasme le chercheur dont les yeux pétillants accrochent le regard presque autant que son polo rose fuchsia.

Quel est le secret de la bactérie du corned-beef ?« A partir d'un état de mort clinique, elle ressuscite en s'autoréparant grâce à un jeu de deux copies de son génome. Si vous avez sous la main plusieurs puzzles identiques avec des pièces manquantes, vous pouvez en les utilisant tous en faire un qui soit complet. La difficulté est de remettre en ordre des centaines de fragments d'un génome pulvérisé par la radiation, ce que Deinococcus radiodurans parvient à faire en trois ou quatre heures », explique le biologiste en mimant l'opération de ses mains.

Botte secrète. Les protéines mécanos qui rafistolent le puzzle sont à l'oeuvre dans tous les organismes vivants. Elles devraient donc normalement nous protéger contre la rouille moléculaire provoquée par les radicaux libres. Alors, pourquoi ne font-elles pas le boulot chez nous ?« Le problème est que ces protéines sont aussi victimes de la corrosion et deviennent moins efficaces. » La botte secrète de Deinococcus, c'est un cocktail de molécules qui lui permet de blinder ses enzymes réparatrices contre la rouille moléculaire. « Nous disposons aussi d'une protection antioxydante - sans elle nous serions cramés avant même de pouvoir nous reproduire -, mais en quantité insuffisante pour vivre aussi longtemps que nous le souhaiterions. » Une fois les pièges antiradicaux identifiés, le professeur Radman envisage de tester dès que possible cet élixir chez la souris.«Ce sera le grain de sable qui viendra ralentir, sinon arrêter, le tic-tac de notre horloge biologique. D'ici à une dizaine d'années, nous pourrions disposer d'un "vaccin" qui nous prémunisse individuellement contre le vieillissement et les maladies qui l'accompagnent. »

Depuis deux ans, Miroslav Radman toque à la porte des instances nationales et européennes de la recherche, en expliquant qu'il a besoin de 1 à 3 millions d'euros pour poursuivre ses travaux.« Leur réponse ? Le vieillissement est un processus très complexe, ce que vous dites est trop simple, ça ne peut pas marcher. Les scientifiques qui siègent dans les instances d'évaluation sont des ultraspécialistes, ils ne comprennent pas pourquoi, à 60 ans passés, je veux changer de sujet de recherche alors que je pourrais prospérer dans le domaine qui m'a fait connaître : la réparation de l'ADN. Le système est hostile aux scientifiques qui refusent de creuser dans le même trou ! » C'est pour pallier « l'incompétence des instances d'évaluation reponsables du déficit d'innovation en Europe » que Radman a créé à Split l'Institut méditerranéen pour les sciences de la vie,« une ONG qui cultive la liberté de la recherche ».

Chercher là où les autres ne cherchent pas, c'est ce qui intéresse par-dessus tout Miroslav Radman. Une habitude qui remonte à son adolescence quand, embarqué comme rameur sur le bateau de son père, il partait pêcher dans les zones où les autres n'allaient pas. Plus tard, c'est ainsi qu'il remontera dans ses filets ses trois découvertes qui figurent aujourd'hui dans les manuels de biologie.« Le dirigisme étouffe la science, ce n'est pas aux politiques, ni aux industriels, de fixer un cap aux chercheurs, s'énerve celui qui a grandi dans l'ex-Yougoslavie de Tito.Chaque grande découverte est une surprise aussi pour son découvreur. C'est en partant vers l'Inde que Christophe Colomb a découvert l'Amérique. »

Nouveau défi. Mais, au fait, à quoi nous servirait de vivre cent cinquante ou cent quatre-vingts ans ?« Cela nous permettrait d'exploiter le fantastique potentiel de notre cerveau ! L'homme a surdéveloppé ses capacités cérébrales, au point qu'aujourd'hui nous mourons avant d'avoir fait fructifier, avec sagesse, tout ce que nous avons appris. La courte durée de vie de l'espèce humaine freine son évolution culturelle. »

En attendant de mettre au point son élixir de jouvence, le chercheur planche sur un test qui permettrait, à partir de quelques gouttes de sang, de prédire le destin biologique de chaque individu.« En connaissant le stade de vieillissement de nos cellules et de chacune de nos protéines, on pourrait essayer de mettre en oeuvre un programme de prévention personnalisé qui ralentisse la corrosion de l'organisme. » Un nouveau défi qui, pour Miroslav Radman, n'a rien d'insurmontable. « Quand, à 1 mille de la côte, mon père lançait la ligne de pêche par-dessus la barque, je devais maintenir l'embarcation exactement au même endroit, malgré les variations infinies des vitesses et des directions du vent et des courants. La complexité de cette tâche n'a jamais trouvé d'équivalent plus tard, même dans mes recherches scientifiques ! »

1. « Au-delà de nos limites biologiques», de Miroslav Radman, avec Daniel Carton (Plon, 168 p., 18,90 E).

Christophe Labbé et Olivia Recasens

Le club des immortels
Ses admirateurs l'appellent « Conan la bactérie », en hommage à son époustouflante robustesse. Exposée aux rayons ultraviolets du soleil, complètement déshydratée,Deinococcus radiodurans peut ressusciter à la première petite goutte de pluie. Tout aussi coriace, le rotifère bdelloïde, un animal microscopique aquatique, résiste aux radiations les plus extrêmes. Leur secret ? Un kit de survie incluant un jeu de copies du génome, des protéines blindées et un mécanisme performant de réparation de l'ADN.

La palourde, championne du monde 410 ans, record de longévité animale.

La bactérie qui ne meurt jamais
« Deinococcus radiodurans » est quasi immortelle parce qu'elle arrive à s'autoréparer. Voici la manière dont elle s'y prend pour rafistoler son ADN. 1. Elle possède un jeu de copies dont elle se sert comme d'un stock de pièces détachées. 2. Après irradiation, les chromosomes de la bactérie sont brisés en fragments d'ADN. Les extrémités de chaque fragment se transforment en extrémités simple brin. 3.Chaque segment s'acoquine avec sa séquence complémentaire qu'il pioche dans un fragment intact provenant d'une autre copie du génome conservée par la bactérie. Le fragment d'ADN abîmé s'insère dans le fragment double brin intact. 4. Tous les morceaux sont utilisés comme modèles et amorces pour initier la synthèse d'ADN. 5. Les segments simple brin ainsi synthétisés se dissocient. 6. Puis s'assemblent et forment des fragments d'ADN double brin. 7.Le chromosome circulaire de la cellule se reconstitue. La synthèse des protéines est à nouveau opérationnelle : la cellule « cliniquement morte » refonctionne.

Trajectoire d'un surdoué
1944 Naissance à Split, en Croatie.
1966 Diplômé de la faculté des sciences de Zagreb.
1969-1973 Post-doctorant au CNRS et à Harvard.
1981 Professeur associé à l'université d'Orsay.
1990 Directeur de recherche au CNRS.
1992 Grand prix de l'Académie des sciences.
1996 Prend la nationalité française.
1998 Professeur à la faculté de médecine Necker et directeur de recherche àl'Inserm.
2000 Grand prix de la National Academy of Sciences (Etats-Unis) et de l'Académie des sciences.
2002 Entre à l'Académie des sciences.
2003 Grand prix Inserm de la recherche médicale.


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