jeudi 4 août 2011

Avec l'agence de notation Dagong, Pékin veut diffuser sa vision financière du monde

Le Monde - Economie, jeudi 4 août 2011, p. 12

Bien plus sévère que ses concurrentes anglo-saxonnes, l'agence de notation financière chinoise Dagong a dégradé, mercredi 3 août, la note de la dette souveraine des Etats-Unis, en écho aux inquiétudes chinoises : elle l'a fait tomber de A+ au simple A; contre AAA pour les agences américaines, même si Standard & Poor's et désormais Moody's ont placé cette note " sous perspective négative ".

Mercredi, l'agence de presse gouvernementale, Chine Nouvelle, a jugé que la levée du plafond d'endettement public américain " ne désamorce pas pour de bon la bombe à retardement de Washington ". Plus diplomate, le gouverneur de la banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan, appelle les Etats-Unis à " garder à l'esprit l'intérêt des autres pays ".

Dagong fait un diagnostic net après l'adoption par le Congrès américain, mardi, du texte évitant à Washington le défaut de paiement : " La croissance de la dette américaine dépasse celle de son économie. " Pour l'agence chinoise, cette posture - bien plus alarmiste que celle de ses soeurs ennemies - est une manière de mettre en avant ses méthodes alternatives, à l'heure où Moody's, Standard & Poor's et Fitch sont critiquées. Surtout si mûrissait l'idée de créer une agence côté européen, pourquoi pas servir de modèle, ou collaborer par la suite.

A écouter le patron de Dagong, Guan Jianzhong, dans son bureau de l'est de Pékin, c'est le système de notation qui, depuis trop longtemps, a la tête à l'envers : " Normalement, c'est celui qui prête qui évalue le risque, mais les Etats-Unis sont les plus endettés de la planète et ont les meilleures notes. Ils ont aussi les agences qui notent tous les Etats. "

Puisque la Chine est devenue le banquier de la planète, avec ses 3 200 milliards de dollars (2 260 milliards d'euros) de réserves de change, et que ses entreprises investissent dans le monde entier, la conclusion s'impose d'elle-même. La responsable de l'activité de notation de dettes souveraines de Dagong, Lu Sinan, reste cependant humble sur l'influence actuelle de l'agence : " Nos rapports n'ont pas encore le pouvoir de changer le marché. "

Dagong a été fondée en 1994 et, parmi les cinq agences de notation exerçant en Chine, elle dispose d'un certain crédit auprès des financiers. Un banquier occidental en Chine explique néanmoins que les investisseurs asiatiques sont relativement peu sensibles au guidage de la notation et culturellement davantage intéressés par l'image de l'entreprise ainsi que par le rendement de sa dette.

Ce n'est que durant l'été 2010 que l'agence s'est lancée sur le fameux marché de l'évaluation de la dette des Etats. Dagong emploie 500 personnes. Mais, avec une vingtaine d'analystes seulement, le bureau chargé de la notation souveraine reste limité. " Nous notions 50 pays en 2010, 67 aujourd'hui, mais, à terme, nous ciblons tous les Etats ", explique Mme Lu.

En ligne de mire, notamment, les pays d'Afrique, " car ils sont importants pour la Chine ". Des institutions financières de Malaisie, de Russie, se sont aussi tournées vers Dagong. D'autres, américaines, " sont curieuses de la méthodologie ".

En dégradant à nouveau la dette américaine, l'agence chinoise poursuit sa distribution de claques, entamée le 11 juillet 2010, lorsqu'elle a publié son premier rapport sur les dettes souveraines. Les Etats-Unis ne partaient alors que de AA, avant de tomber, dès novembre 2010, sur fond d'assouplissement monétaire de la Réserve fédérale (Fed), à un modeste A+. Le Royaume-Uni est tombé au même niveau fin mai.

Chez Dagong, la France est notée AA - et placée en surveillance négative depuis juin. " La dette de la France n'est pas à un niveau inquiétant, rassure He Yi, l'analyste qui suit les finances du pays. Le problème réside dans la faiblesse de la croissance ainsi que dans l'exposition au risque d'autres Etats européens. "

La recette de l'agence de notation conçue en Chine consiste en une pondération inédite des critères d'évaluation. M. Guan explique que Dagong regarde principalement la capacité d'un Etat à contrôler son économie, sa solidité financière et ses réserves de change. La brochure mentionne également " la richesse sociale nouvellement créée ".

De fait, les pays émergents ont la cote auprès d'elle, surtout la Chine. Le dirigisme du Parti communiste, la croissance à 9,5 % et des réserves en augmentation de 1,7 milliard de dollars par jour classent la deuxième économie mondiale parmi les brillants élèves, avec un AA + stable.

Tout dans le discours de Dagong lie sa montée en puissance à celle de la Chine. Elle n'hésite pas à célébrer dans un communiqué le premier anniversaire d'un discours du président Hu Jintao au sommet du G20 de Toronto, en juin 2010, sur la nécessité de réformer le système de notation des finances de la planète. Comme si les deux jouaient dans la même équipe. D'ailleurs, lorsque le régulateur boursier américain lui refuse, en novembre 2010, le statut d'agence de notation officiellement accréditée à Wall Street, arguant de l'impossibilité de la superviser de l'étranger, Dagong dénonce amèrement une " discrimination contre la Chine ".

" Dagong est totalement indépendante de l'Etat au niveau de son actionnariat, rétorque Guan Jianzhong. Il faut cesser de nous suspecter. " Oserait-il, par exemple, contredire le bureau d'audit du gouvernement chinois et écrire que son dernier rapport sous-estime de 375 milliards d'euros la dette accumulée par les autorités locales, comme l'a fait Moody's le 5 juillet ? Le patron de Dagong répond par un nouvel assaut sur ses concurrents : " Moody's n'en sait rien, ils veulent juste déranger la Chine. "

Sa méthodologie inédite, qui, de fait, récompense le dynamisme des pays émergents, reflète une réalité nouvelle, à commencer par le déséquilibre des finances américaines. Mais certains regrettent que Dagong se présente avant tout comme une alternative chinoise. " Ils semblent penser que la séparation entre une agence de notation et un gouvernement est par principe impossible, et donc n'a pas besoin d'être testée, ce qui, au final, doit signifier quelque chose sur leurs propres orientations de notation ", dit un professeur d'une grande université chinoise, sous couvert d'anonymat.

" Les agences de notation américaines n'ont pas eu peur d'attribuer des notes exécrables à des Etats ou des villes des Etats-Unis, bien moins que Dagong, qui, de toute évidence, est largement à la traîne par rapport au marché lorsqu'il s'agit d'évaluer le risque en Chine ", constate-t-il.

Harold Thibault

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1 commentaires:

Canteloup a dit…

D'abord, je tenais à vous féliciter pour cet excellent Blog que j'ai découvert il y a peu de temps.

A propos de cet article je tiens à souligner l'analyse de la banque Natixis sur l'agence chinoise Dagong(http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=58640).

Je cite la conclusion de ce rapport:
"Comparant ces pays à ceux notés AAA par Dagong en ce qui concerne la situation des finances publiques et la croissance potentielle, nous ne pouvons que donner raison à Dagong par rapport aux 3 grandes agences de rating."