Le Figaro, no. 20859 - Le Figaro, vendredi 26 août 2011, p. 19
L'ancien premier ministre, qui préside la Fondation pour la prospective et l'innovation, analyse la stratégie chinoise au sein des grandes organisations multilatérales.
Les difficultés financières de l'Amérique cet été ont donné l'occasion à la Chine de hausser le ton en formulant des conseils au président Obama sur la politique qui devrait être menée dans son pays, trop « dépendant de la dette ». Le premier ministre Wen Jiabao a appelé à des « mesures concrètes et responsables ».
Certains ont semblé surpris. Erreur : la Chine a toute conscience de sa puissance et de son rôle, et, à chaque fois qu'elle sentira l'équilibre mondial multipolaire fragilisé, elle interviendra à sa manière, opérationnelle et mémorielle.
Voilà maintenant cinq ans que la Fondation pour la prospective et l'innovation observe et dialogue avec la Chine à propos de son retour au premier rang des nations du monde. Chaque année, à la fin août, au Futuroscope un colloque international réunit les meilleurs observateurs de la Chine vue d'Europe, d'Amérique, d'Afrique ou d'Inde... Ce 26 août, nos débats porteront sur les stratégies chinoises au sein des grandes organisations multilatérales. Nous devons en effet mieux comprendre la Chine au sein de « la gouvernance mondiale ».
Au forum de Boao, le grand Davos asiatique, les dirigeants chinois ont confronté leurs analyses avec celles des Bric, leurs collègues « émergents ». L'idée centrale est simple : une nouvelle croissance s'invente, principalement, dans les pays émergents, parce que les États-Unis et l'Europe n'ont plus les moyens de la croissance dont ils ont besoin (croissance quantitative) et dont leurs opinions publiques rêvent (croissance qualitative). La dette des pays « riches » est leur grande faiblesse régionale, mais aussi une grave pathologie mondiale.
Naturellement la Chine, comme les autres, assume ses responsabilités internationales selon ce qu'elle juge être ses intérêts nationaux. Mais aussi elle défend des valeurs qui sont le fruit d'une longue histoire, telle que la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un État, le non-recours aux moyens militaires vis-a-vis d'un autre État, la non-prétention à l'exemplarité de son modèle social ou de développement... Autant de valeurs à rebours de ce qu'elle a subi aux siècles passés. Cet attachement à une ligne historique n'exclut en rien, à la chinoise, le souci du pragmatisme. Si la Chine ne soutient pas aux Nations unies les textes qui lui paraissent contraires à ses lignes, elle ne s'y oppose pas systématiquement, comme on l'a vu sur l'Iran ou la Libye au Conseil de sécurité. La Syrie est un autre exemple récent.
Au sein des organisations internationales et face aux grandes questions diplomatiques, la Chine est respectueuse des stratégies collectives, au G20 comme au coeur de l'ONU, elle défend ses positions plus qu'elle ne prend d'initiatives, elle communique avant les sommets plus qu'elle ne plaide la rupture pendant, elle devance par des gestes (sur le yuan par exemple) plus qu'elle ne cède aux pressions internationales. Dans cette dynamique, le dialogue Sarkozy-Hu Jintao est apaisé.
Par son adhésion à l'OMC, par sa prise de responsabilité au FMI et dans de multiples circonstances, la Chine a affirmé son choix du multilatéralisme pour régler les affaires du monde et défendre ses intérêts. La pensée chinoise reste articulée autour de deux priorités : « l'harmonie » qui sur le plan international signifie l'« équilibre multipolaire » et « l'osmose » au sens donné par Henry Kissinger dans son dernier livre On China : « Son expansion a été basée sur l'osmose culturelle, non sur le prosélytisme commercial. »
Cette ligne directrice explique que, face aux désordres, la Chine choisit le camp de l'ordre et que, face aux critiques, la tendance soit celle du repli sur soi. Le souverainisme est une profonde aspiration populaire en Asie, le populisme peut en être, là-bas comme ici, une dérive dangereuse.
L'infrastructure culturelle de ce « pays continent » ne s'est pas si profondément transformée... depuis 1601, date a laquelle Matteo Ricci parvint à la Cité interdite. Mais aujourd'hui, la Chine est à la fois le moteur économique et le banquier du monde. Les pronostics sur ses difficultés politiques, les risques économiques et les tensions sociales ne constituent pas des réponses opérationnelles aux déséquilibres mondiaux actuels.
Car comme l'a écrit l'Américain Alvin Toffler, maintenant « la Chine est en nous ». Nos avenirs seront imbriqués. Nous ne les construirons pas les uns contre les autres. Nous avons besoin de règles communes, c'est notre débat.
Elle a toute conscience de sa puissance et de son rôle, et, à chaque fois qu'elle sentira l'équilibre mondial multipolaire fragilisé, elle interviendra
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