vendredi 30 septembre 2011

Dagong : quand les Chinois nous font la leçon - Julie Desné



Le Point, no. 2037 - Economie, jeudi 29 septembre 2011, p. 100,101,102

Redoutée. L'agence de notation Dagong est plus sévère que ses rivales américaines. Sauf pour la Chine...

Dagong joue les stars. L'agence de notation chinoise, qui n'a pas encore assis sa réputation sur la planète des affaires, fait tout ce qu'elle peut pour acquérir une notoriété en dehors des frontières de la Chine. Ironie du sort, c'est une de ses rivales américaines qui l'a propulsée sur le devant de la scène financière internationale. En dégradant la note souveraine américaine le 5 août, Standard - Poor's conférait un peu de légitimité à la décision de Dagong prise un jour plus tôt d'abaisser la note des Etats-Unis et de les placer sous surveillance négative. Cette récente célébrité n'est pas pour déplaire à Guan Jianzhong.

Dans son vaste bureau de Pékin, le PDG de Dagong enchaîne les interviews. Sur la table basse entourée de confortables canapés en cuir noir trône un marteau de justice d'or et de bois.« Le cadeau d'un ami, cela symbolise l'honnêteté et l'impartialité », précise le dirigeant, en chemisette blanche dans la chaleur pékinoise. Tout un programme pour une agence souvent perçue à l'étranger comme le bras armé du Parti.

Secret. M. Guan a le profil classique des dirigeants d'entreprise de la Chine moderne. Diplômé d'économie, il a d'abord fait ses classes dans l'administration publique. Dans les années 90, il gère un fonds d'investissement dédié à l'aéronautique et placé sous l'égide du ministère de l'Aéronautique de l'époque.« Un des responsables a quitté le fonds en 1994 pour créer Dagong, alors soutenu par huit institutions publiques, dont la banque centrale », se souvient le quinquagénaire, qui à titre personnel suit de près les débuts de cette aventure. Mais, à la fin des années 90, l'Etat dégraisse ses mastodontes et cède ses parts dans les industries les moins stratégiques. Dagong en fait partie et son futur PDG est à l'affût des opportunités.« C'est à ce moment-là que j'ai décidé de prendre le contrôle de la compagnie en rachetant 60 % des parts, les 40 % étant détenus par des investisseurs privés », explique Guan Jianzhong, qui garde jalousement le secret de l'identité de ses partenaires. En tout cas, jure-t-il, il n'y a plus aucune participation publique. Paradoxe très chinois, cela ne l'empêche pas de revendiquer le statut de « conseiller subventionné auprès du gouvernement central » sur sa carte de visite. Un titre plutôt lié à ses activités de recherche sur la notation de crédit. Dagong a notamment créé, en partenariat avec l'Université de finances et d'économie de Tianjin, à l'est de Pékin, une école spécialisée dans ces questions.« Je le dis et je le répète, je n'entretiens pas de relations particulières avec le gouvernement. Quand nous publions nos notes, les médias veulent absolument y voir une prise de position du gouvernement chinois. Alors qu'il n'y en a pas », martèle M. Guan, un peu las d'avoir à se justifier et à convaincre journalistes et financiers, souvent sceptiques.« Les opinions des analystes de Dagong résultent d'un travail de fond. Elles sont pertinentes. Simplement, les conclusions sont quelquefois trop rapides, parfois motivées par des considérations politiques qui les décrédibilisent », soutient au contraire André Loesekrug-Pietri, directeur et fondateur du fonds d'investissement A Capital à Pékin.

Une agence prochinoise. De fait, même en Chine, la réputation de Dagong doit encore s'affirmer. Prompte à dégrader les Etats-Unis, l'agence, qui emploie 500 personnes en Chine, dont 250 analystes, n'a pas bronché quand le Bureau national d'audit a révélé, dans un rapport inédit rendu public fin juin, que les collectivités locales chinoises avaient accumulé 1 160 milliards d'euros de dette fin 2010, à la faveur du plan de relance adopté pendant la précédente crise financière. De même, le ministère des Chemins de fer a conservé son triple A après l'accident ferroviaire meurtrier du 23 juillet, qui avait profondément ébranlé l'opinion publique chinoise. La catastrophe n'a pas ému les analystes de Dagong. Guan Jianzhong ne voit là aucune contradiction majeure.« On ne note pas de la même façon selon que l'on s'adresse aux investisseurs internationaux ou nationaux. La note de la dette souveraine chinoise, c'est une chose. Celle d'un ministère, c'est autre chose. Il s'agit là d'une institution très particulière en Chine, mi-agence gouvernementale, mi-entreprise », justifie le dirigeant. « Le risque reste très élevé pour le ministère des Chemins de fer et les conclusions de Dagong à ce sujet sont très surprenantes », proteste cependant un analyste chinois basé à Shanghai.

Au-delà du marché domestique, Dagong nourrit en tout cas de grandes ambitions à l'international. Sans aucun bureau à l'étranger, l'agence note déjà 67 pays et en vise 150 dès l'an prochain. La France est gratifiée dans son tableau d'un AA- et placée sous surveillance négative, même si les analystes de Dagong n'ont jamais mis les pieds dans l'Hexagone. Le chemin vers la globalisation semble être long pour l'agence chinoise, qui a déjà essuyé de premiers revers hors de ses frontières. En novembre 2010, la Securities and Exchange Commission (SEC) refusait même de lui accorder le statut d'agence de notation. Le gendarme des marchés outre-Atlantique estimait n'avoir aucun moyen de contrôle des pratiques de l'agence basée à Pékin.« Ces raisons ne sont qu'un prétexte », affirme M. Guan. Pour lui, « les vraies inquiétudes américaines portent sur le fait que si nous avions libre accès à leur marché, de nombreuses multinationales basées aux Etats-Unis risqueraient de perdre leur triple A et les dollars cesseraient d'affluer vers l'économie américaine ». L'agence officielle Xinhua n'hésitait pas à qualifier début août d'« hideuse vérité » les commentaires de Dagong à propos de la dette de Washington.

Ambitions internationales.« A l'international, Dagong ne peut s'imposer que par une vaste opération de communication », résume un investisseur étranger. Pas étonnant si Guan Jianzhong a fait de la refonte internationale du système de notation sa nouvelle croisade. Avec la controverse née de l'électrochoc créé par Standard - Poor's sur les marchés début août, il espère trouver un écho en Occident. Selon lui, il est nécessaire de créer une agence de notation internationale qui pourrait s'appuyer sur les conclusions d'agences locales, mais aussi de changer les méthodes de notation et l'environnement réglementaire.« Dagong doit absolument être associé à ce travail de refondation. C'est là vraiment notre objectif. Si la réforme s'enlise, nous envisagerons de nous développer en propre, mais ce n'est pas du tout ce que nous souhaitons », résume le dirigeant de l'agence. A travers cette profession de foi, il s'agit surtout pour Dagong de convaincre le reste du monde de son indépendance et de la pertinence de ses commentaires. Face à des rivaux qui ont un siècle d'expérience.

PHOTO - Guan Jianzhong, président de l'agence de notation Dagong, dans ses bureaux de Pékin.

Le club des trois
Il existe une centaine d'agences de notation dansle monde. Mais 90 % du marché reposent dans les mains des Big three, dont Dagong conteste aujourd'hui l'imperium :

Standard - Poor's (créée en 1860). Elle vient de sortir du giron de l'éditeur McGraw-Hill (2,9 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2010).

Moody's (1909). C'est la seule à être cotée en Bourse. Warren Buffett en possède 13 % (2 milliards).

Fitch (1913). Fimalac, le holding de Marc de Lacharrière, en possède 60 % (660 millions).


Le jour où la France a perdu son triple A...
Dagong note les Etats depuis juin 2010. Bien plus sévèrement que les Big three. A l'occasion de cette première notation, la France a perdu son AAA. L'agence chinoise l'a alors noté AA - (un an plus tard, elle mettait cette note sous « observation négative », mauvais signe...). Dans la première liste, seuls la Norvège, l'Australie, le Danemark, le Luxembourg, la Suisse, Singapour et la Nouvelle-Zélande étaient notés AAA. Ni les Etats-Unis ni l'Allemagne n'avaient la triple couronne.

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