vendredi 30 septembre 2011

La Chine s'incruste dans la «zone d'influence» russe - Emmanuel Grynszpan


Le Temps - International, vendredi 30 septembre 2011

La Biélorussie, en froid avec Moscou et l'Union européenne, ainsi que l'Ukraine font l'objet des attentions de Pékin. Moscou n'a pas encore réagi publiquement face à cette nouvelle compétition directe.

Pékin exploite astucieusement les échecs diplomatiques russes, mais aussi les scrupules et les difficultés financières de l'Union européenne, pour placer ses pions en Europe de l'Est. La semaine dernière, le numéro deux du Parti communiste chinois, Wu Bangguo, était en tournée en Biélorussie. Pour sa première visite, il a accordé au satellite de Moscou un prêt de 1 milliard de dollars à taux sacrifiés et assorti d'une subvention de 11 millions de dollars destinés à des projets infrastructurels communs entre les deux Etats.

Un cadeau tombé du ciel pour le président autocrate Alexandre Loukachenko, complètement brouillé avec l'Occident et dont les rapports sont à peine moins tendus avec Moscou. La Biélorussie traverse une grave crise financière et économique depuis six mois. La Banque centrale a été contrainte de dévaluer le rouble biélorusse de 70% par rapport au dollar, et les rayons des magasins n'ont jamais été aussi clairsemés.

Le président Loukachenko, dont la propension à emprisonner ses opposants n'a fait que s'accentuer au cours de ses quatorze années de règne, a chanté les louanges de son invité: «A chaque instant, la Chine est prête à épauler amicalement la Biélorussie. Les milliards prêtés à taux d'ami et les investissements directs aident efficacement à la modernisation de notre économie. [...] Nous sommes reconnaissants pour le soutien moral et matériel colossal.»

Des propos qui tranchent avec ceux adressés aux Européens (l'homme fort de Minsk a traité cette année José Manuel Barroso de «bouc») ou au tandem Medvedev-Poutine, qu'il n'a cessé d'accuser de «vouloir mettre la Biélorussie à genoux». De fait, la diplomatie européenne, qui ne souhaite pas voir la Biélorussie retourner dans l'orbite russe, a néanmoins coupé les ponts depuis la féroce répression qui a suivi la présidentielle de décembre 2010. Moscou (comme Pékin) est indifférent à la détérioration des droits de l'homme, mais veut en revanche forcer Minsk à procéder à d'importantes privatisations en échange d'un prêt.

Pékin ne dévoile pas publiquement les contreparties pour ses «prêts à taux d'ami», ce qui arrange un Loukachenko tenant par-dessus tout à montrer qu'il reste maître chez lui. La Chine a en fait les mêmes intentions que la Russie, c'est-à-dire attraper un large morceau des privatisations d'actifs industriels. Wu Bangguo a d'ailleurs signé un accord «de coopération financière sur la privatisation et les investissements chinois en Biélorussie en 2011-2013». Pékin et Moscou sont en concurrence directe pour les raffineries, les entreprises agroalimentaires et les constructeurs de machines biélorusses. Mais surtout, comme l'explique Joël Ruet, économiste à Siences Po Paris, «la Biélorussie est un acteur charnière de l'oligopole mondial de la potasse, [l'engrais de base] dont la Chine manque le plus». Or Alexandre Loukachenko tient à tirer le maximum de la privatisation de Belaruskali, l'unique producteur de potasse, que vont donc s'arracher Chinois, Russes et Indiens.

L'Ukraine a aussi fait l'objet des attentions de Pékin. Le chef d'Etat chinois, Hu Jintao, a visité Kiev en juin dernier pour signer un accord de «partenariat stratégique», statut réservé jusque-là dans l'ex-URSS à la Russie et au Kazakhstan. «L'Ukraine intéresse Pékin pour ses vastes et fertiles terres agricoles. La Chine s'inquiète pour sa sécurité alimentaire nationale, car elle est très dépendante. Il s'agit du même modèle que pour les ressources minérales et énergétiques en Afrique», explique Joël Ruet, qui liste aussi «l'assemblage automobile chinois comme cheval de Troie pour le marché européen». Il s'agit aussi pour Pékin de récupérer des technologies stratégiques (nucléaire, aéronautique, armement), que l'Ukraine a su garder voire améliorer depuis la fin de l'Union soviétique.

Moscou n'a pas encore réagi publiquement face à cette nouvelle compétition directe dans sa «zone d'influence». Le Kremlin a très peur de fâcher son voisin, dont la puissance militaire et économique croît chaque jour. Dmitri Medvedev s'est juste contenté cet été de taquiner Pékin en lui disputant le rôle d'intermédiaire unique auprès de Kim Jong-il. Mais la Corée du Nord ne pèse pas lourd face aux enjeux économiques de l'Ukraine et de la Biélorussie.

PHOTO - Chinese President Hu Jintao (4th L) toasts with members of the Ukrainian delegation during a signing ceremony in Kiev June 20, 2011. China and Ukraine signed deals worth $3.5 billion on Monday during Chinese President Hu Jintao's visit to the former Soviet republic, Ukrainian President Viktor Yanukovich said.

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