Libération - Monde, mercredi 21 septembre 2011, p. 9
«La beauté des monts Geumgang rayonne à 30 kilomètres à la ronde», dit un proverbe coréen. Pas étonnant que ce coin de paradis du côté nord du 38e parallèle ait été choisi par le pays communiste pour la croisière qu'il a lancée en fanfare fin août. Une centaine de journalistes et d'hommes d'affaires venus notamment de Chine et des Etats-Unis ont été invités à inaugurer le circuit et à visiter les installations touristiques pour éventuellement y investir. Une preuve, selon Park Chol-su, le vice-président du groupe d'investissement nord-coréen Taepung, de la nouvelle «ouverture au monde» de son pays. A l'en croire, l'été prochain, près de 4 000 touristes étrangers vogueront sur la mer du Japon à bord du vieux ferry Mangyongbong.
Mais le projet fait grincer des dents les Sud-Coréens. Les «monts de diamant» symbolisaient jusqu'à récemment le rapprochement intercoréen. Dès 1998, un complexe touristique géré en majeure partie par l'opérateur sud-coréen Hyundai Asan accueille des visiteurs du Sud. En dix ans, ils sont 2 millions à avoir profité de cette occasion unique de franchir la zone démilitarisée. D'émouvantes réunions de familles séparées y sont aussi organisées. Jusqu'à ce jour de 2008, où une touriste est abattue par des soldats nord-coréens. Séoul suspend immédiatement les voyages et rapatrie des centaines d'employés. Les magasins, les hôtels et le golf sont laissés à l'abandon. Pendant trois ans, le régime communiste, privé de ce considérable flot de devises, appelle à la reprise des visites organisées. En vain. Le 22 août, il annonce brutalement la saisie des infrastructures sud-coréennes, dont la valeur dépasse les 318 millions d'euros. Hyundai Asan et les autres investisseurs n'ont pas d'autre choix que de faire évacuer les 14 salariés encore présents sur le site.
Le bras de fer s'est à l'évidence durci. Séoul ne tarde pas à dénoncer la «décision unilatérale» et la «perte de crédibilité» de son voisin. Pourtant, le 30 août, le ministre de la Réunification, connu pour sa fermeté envers le Nord, est remplacé par un proche du Président, plus conciliant. Les relations sont particulièrement tendues entre les deux pays depuis le bombardement de l'île de Yeonpyeong l'an dernier et l'attaque du navire sud-coréen Cheonan en mars 2009. Le Sud devrait prochainement appeler les investisseurs du monde entier à boycotter le nouveau projet touristique de Pyongyang.
«De toute façon, sans les touristes sud-coréens, le projet n'est pas viable, prédit Andrei Lankov, spécialiste de la Corée du Nord. Avec cette croisière, Pyongyang entend juste accentuer la pression sur Séoul pour la reprise des circuits intercoréens. Et il est bien probable que le prochain gouvernement, qui sera élu en décembre 2012, cédera à ces revendications.»
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