jeudi 22 septembre 2011

ZAMBIE - Les Chinois au coeur de la campagne présidentielle

Courrier international, no. 1090 - Afrique, jeudi 22 septembre 2011, p. 42

Ce pays d'Afrique australe est loin d'être le plus important partenaire de la Chine sur le continent, mais ses relations avec l'investisseur asiatique se développent rapidement. Les échanges commerciaux sont passés de 100 millions de dollars en 2000 à 1,45 milliard de dollars en 2009. Depuis, elles ont doublé pour atteindre 2,8 milliards de dollars l'an dernier. En juillet, la société chinoise Sinohydro a commencé la construction d'une centrale électrique, un investissement de 2 milliards de dollars, grâce à un financement de la Banque chinoise pour le développement. Le mois dernier, la succursale de la Banque de Chine implantée à Lusaka est devenue la première d'Afrique à proposer des services bancaires en yuans : on peut désormais effectuer des dépôts en "monnaie du peuple" [en chinois, renminbi, autre nom pour yuan] chinoise et même retirer des yuans au guichet. D'après Qi Wang, le directeur adjoint, ces services en yuans sont destinés aux hommes d'affaires zambiens et chinois qui souhaitent importer des marchandises en Zambie et faire des économies sur le change. Le banquier réfute l'idée que le yuan cherche à supplanter le dollar africain comme devise de référence sur le continent, mais se dit convaincu que certains petits entrepreneurs chinois installés en Zambie, en particulier dans la distribution, vont se mettre à utiliser le yuan pour leurs transactions quotidiennes.

Les entreprises chinoises sont naturellement présentes dans la construction, l'agriculture, l'industrie manufacturière et la distribution. Mais la plus grande partie de leurs investissements (90 %) se trouve dans le secteur minier. Quand les investisseurs occidentaux ont cherché à se désengager de la Zambie à cause de l'effondrement du prix des matières premières, les entreprises chinoises, qui étaient riches en liquidités, sont arrivées.

Le prix du cuivre, principal produit d'exportation de la Zambie, atteint aujourd'hui des sommets et les mines tournent à plein régime, engendrant des milliers d'emplois et générant des bénéfices conséquents pour leurs propriétaires chinois. Le Mouvement pour la démocratie multipartiste, le parti au pouvoir, tire profit de cette situation. Il espère que la croissance du pays (7,6 % l'année dernière) et le programme d'investissement dans les infrastructures lui permettront de gagner des voix lors des prochaines élections présidentielle [mardi 20 septembre] et législatives.

Piège des ressources

Cependant, tout le monde ne voit pas d'un si bon oeil la présence chinoise en Zambie. Certains craignent que le traitement de faveur accordé aux entreprises chinoises ne nuise aux recettes fiscales du pays et beaucoup dénoncent les conditions de travail dans les mines et les usines dirigées par les Chinois. Edward Lange, le coordinateur pour la Zambie de Southern Africa Resource Watch, estime ainsi que "l'investissement chinois n'est pas mauvais en soi, mais la manière dont les Chinois travaillent laisse beaucoup à désirer. Les relations entre notre gouvernement et les investisseurs chinois baignent dans le plus grand secret. Ceux-ci semblent presque au-dessus des lois et n'ont pas à payer les mêmes impôts que les autres." Selon lui, certains membres du gouvernement ont bénéficié personnellement des accords passés avec les Chinois. "La société civile a l'impression que notre gouvernement travaille avec les investisseurs chinois pour piller nos ressources nationales à leur profit et non pour servir le peuple zambien."

Un sentiment que l'on retrouve dans toute la Zambie, en particulier chez l'homme de la rue, qui se demande pourquoi il n'a pas de travail alors que des ressortissants chinois peu qualifiés reçoivent un permis de travail pour mélanger du béton et conduire des camions. Michael Sata, le chef du Front patriotique, le principal parti d'opposition du pays, candidat à l'élection présidentielle, exploite ce mécontentement croissant provoqué par la présence chinoise. Il réclame une application plus stricte du droit du travail lié à l'investissement étranger et une réglementation plus contrôlée. Des positions qui lui ont valu la réputation d'anti-Chinois. Given Lubinda, candidat aux élections législatives du même parti, s'insurge : "Personne n'est contre l'investissement chinois, déclare-t-il. M. Sata n'a jamais dit qu'il était contre l'investissement chinois. Lui et le Front patriotique ne sont contre aucune nationalité en particulier. Ils sont contre l'idée d'exploiter les salariés locaux et contre le fait que les étrangers prennent de plus en plus des emplois qui pourraient être occupés par des Zambiens."

Inquiétudes populaires

Pengtao Li, de l'Université normale du Zhejiang, en Chine, estime dans un rapport pour l'Institut sud-africain des affaires internationales, que "les intentions, motivations et stratégies chinoises en Afrique sont régulièrement mal comprises et incorrectement contextualisées". A l'écouter, les préoccupations concernant les conditions de travail dans les entreprises chinoises sont valables mais nombre de problèmes ont pris une ampleur exagérée à cause de malentendus culturels et linguistiques.

Le banquier Qi Wang est bien de cet avis : "Je dirais que la plupart des malentendus se produisent du fait de problèmes de langue, de différences culturelles, et parce que traditionnellement les Chinois n'aiment pas trop les médias. "

John Bwalya, l'ancien secrétaire général du Syndicat national des travailleurs du commerce et de l'industrie, convient que langue représente un obstacle dans les relations entre le personnel zambien et ses patrons chinois et ajoute que l'aversion des Chinois pour le syndicalisme en est un autre. "Les Chinois ne sont pas mauvais dans dans la messure où ils ont créé des emplois dans le pays. Ils travaillent très dur, et c'est peut-être là une partie du problème - les Zambiens ne sont pas habitués à ce genre d'environnement." Toutefois Bwalya, et il n'est pas le seul, s'inquiète de l'impact que les produits chinois peuvent avoir sur le secteur de la distribution zambien.

Malgré tout, il ne fait pas de doute que si le président Rupiah Banda remporte l'élection du 20 septembre, la présence chinoise en Zambie ne fera que croître.

Louise Redvers

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