lundi 10 octobre 2011

Karel de Gucht : « Un risque de poussée du protectionnisme »

Les Echos, no. 21034 - International, lundi 10 octobre 2011, p. 8

KAREL DE GUCHT COMMISSAIRE EUROPÉEN AU COMMERCE

Partagez-vous la critique de Barack Obama, qui accuse la Chine de « fausser » les échanges en intervenant sur le yuan ?

Il est vrai que la monnaie chinoise est sous-évaluée. Mais ce n'est ni la première ni la dernière des monnaies à être sous ou surévaluée. Il y a par ailleurs ce projet de loi au Sénat américain qui entend taxer tous les produits en provenance de Chine parce que le yuan est sous-évalué. C'est une vraie bêtise car c'est le type de mesures qui nous mène directement vers une guerre commerciale. Cela ne servirait ni les Etats-Unis ni l'Europe. Ce n'est pas en imposant de telles mesures qu'on relancera le monde, même si je pense que le projet n'ira pas à son terme. Par ailleurs, concernant l'Europe, il faut regarder tous les aspects du problème. Deux tiers de ce que nous importons de Chine est réexporté. Donc si le yuan monte, nos importations deviendront plus onéreuses. Et deux tiers de ces deux tiers sont produits en Chine par nos entreprises.

La Chine, qui a son propre problème de dette, peut-elle contribuer à relancer l'économie mondiale comme en 2008 ?

J'espère qu'elle jouera de nouveau ce rôle. Elle est en mesure de le faire, car la consolidation de sa dette au niveau national et provincial est comparable à celle de l'Allemagne, de l'ordre de 70 % du PIB. De plus, les Chinois savent, en cas de besoin, ponctionner les revenus des citoyens.

Que pensez-vous de cette Chine qui se présente régulièrement comme le chevalier blanc de tel ou tel pays européen en difficulté ?

Il y a beaucoup de marketing. Cela ne me gêne pas qu'ils le fassent, mais ce ne sont pas nos sauveteurs. Ils raisonnent en fonction de leur intérêt propre, ce qui est normal. L'équilibre du pouvoir est en train de changer. Dans les dix ans à venir, 90 % de la croissance mondiale se situera en dehors de l'Union européenne et 30 % uniquement en Chine. Cela a une retombée sur nos relations, c'est évident. Mais il ne faut pas non plus être défaitiste. Sur les dix dernières années, la croissance de notre part de marché en termes de commerce mondial n'a pas baissé - elle est de l'ordre de 2,4 % par an -, tandis que celle des Etats-Unis a considérablement chuté. Nous ne sommes pas un continent perdu !

Où en est votre proposition de limiter l'accès aux marchés publics européens pour assurer plus de réciprocité avec les partenaires commerciaux de l'Union ?

Nous avons, Michel Barnier [commissaire au Marché intérieur et aux Services, NDLR] et moi, l'intention de lancer une proposition législative - un règlement -en décembre. Cette initiative comporte deux volets. Sur le plan multilatéral, nous voulons obtenir de la Chine qu'elle devienne partie à l'accord sur les marchés publics. Sur le plan bilatéral, si un pays tiers ferme ses marchés publics à nos entreprises, la Commission pourra faire de même, à la demande d'un Etat membre. Ce projet n'est pas dirigé contre la Chine, il s'adresse à n'importe quel pays, car nous avons aussi des problèmes avec d'autres comme le Japon, le Brésil ou la Russie.

Craignez-vous, à la faveur de la crise, une vague protectionniste ?

Si la crise de la dette souveraine - et ses retombées dans le secteur bancaire -engendre une deuxième vague de problèmes économiques voire une récession, je crains vraiment une poussée considérable de protectionnisme.

En matière de libre-échange avec l'Egypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, vous voulez « redémarrer les négociations sur une autre base »...

Ou on achète les produits de ces pays, ou l'instabilité à nos frontières continuera. C'est un choix politique. Et je ne peux pas négocier les mains liées...

Propos recueillis par Marie-Christine Corbier

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