Le Figaro, no. 20897 - Le Figaro, lundi 10 octobre 2011, p. 18
Tout en saluant la tenue d'une exposition des oeuvres de la femme du dissident chinois Liu Xiaobo, l'essayiste regrette que la France ne lui réserve pas un meilleur accueil. La civilisation chinoise renaît au monde grâce à des artistes audacieux comme Gao Xingjiang, Ai Weiwei, Liu Xia. Loin de comprendre combien ces créateurs sont l'honneur de la Chine, le gouvernement de Pékin les écrase et le gouvernement français les ignore. Gao, Prix Nobel de littérature, vit à Paris, en exil, interdit de séjour dans son propre pays qu'il a si richement évoqué dans La Montagne de l'âme. Ai Weiwei, enlevé par la sécurité chinoise, incarcéré deux mois au secret, vit maintenant en liberté surveillée à Pékin, interdit de parole. Liu Xia, peintre et photographe - figure emblématique de la scène artistique chinoise - a « disparu », depuis janvier 2011 : on suppose qu'elle est incarcérée à son domicile, coupée du monde.
Un écrivain, un sculpteur, une photographe menaceraient-ils la « sécurité » de la Grande Chine ? Telle est l'accusation, évidemment démesurée, du Parti communiste chinois. Ces artistes ont en commun, il est vrai, de s'exprimer dans les marges, de puiser leur inspiration dans le peuple, son histoire, ses souffrances : ils ne sont ni réalistes ni socialistes puisqu'ils ne sont en somme que des artistes.
Le gouvernement chinois, à cet égard, ne nous surprend guère : tout art est subversion dans un régime autoritaire, rien de nouveau sous le soleil rouge. Avec tout de même, dans le cas de Liu Xia, un vice supplémentaire car le régime de Pékin ne lui attribue pour seul crime que d'être l'épouse de Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix. Liu Xia n'a jamais rien écrit ou dit qui touche à la politique ni à la démocratie. Mais elle est mariée avec celui qui a osé recourir au droit de pétition, inscrit dans la Constitution chinoise et demandé qu'un débat s'ouvre sur l'avenir démocratique de la Chine. Coupable à ce titre, elle n'a jamais été autorisée à exposer ses travaux en Chine (on ne connaît ses photos que postées sur Internet), sera parmi nous, pas elle mais ses oeuvres, en France, au Musée de Boulogne-Billancourt, à partir du 19 octobre. Ce sera une première mondiale : nous verrons enfin les tirages originaux, exfiltrés de Chine, de photographies abstraites et symboliques, aussi réputées qu'inconnues jusque-là.
On s'attendrait, le service minimum, que le ministre de la Culture français inaugure cette exposition, s'incline devant la renaissance de l'art en Chine et témoigne de son soutien envers une artiste incarcérée. Sa présence témoignerait de l'honneur de la France, du sien et de la Chine vraiment nouvelle. Mais Frédéric Mitterrand, convié par le député maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet (UMP), ne viendra pas. Serait-il trop occupé à inaugurer quelques chrysanthèmes académiques ? Caché derrière son « emploi du temps trop chargé » on sait bien que le ministre redoute d'offenser Pékin. Les dirigeants chinois ne vont-ils pas mal le prendre ? Ne seront-ils pas tentés de nous acheter une centrale nucléaire en moins dans le cas où le ministre de la Culture obéirait à sa conscience plutôt qu'à des ordres que nul ne lui a donnés, pas plus à Pékin qu'à Paris ? Nicolas Sarkozy, envers la Chine, est plus clair que Frédéric Mitterrand : en avril 2011, inaugurant la nouvelle ambassade de France à Pékin, on l'a entendu souligner combien les relations franco-chinoises étaient amicales et que, bien évidemment, la France défendrait auprès des Chinois nos valeurs démocratiques.
Frédéric Mitterrand et d'autres dignitaires qui lui ressemblent seraient-ils restés à l'heure chiraquienne quand la « diversité culturelle » conduisait nos gouvernements à louer le despotisme oriental ? Mais à la fin des temps, ce qui restera de la Chine, ce seront les créations de Gao, Ai Weiwei et Liu Xia : Liu Xia emprisonnée mais qu'il faut imaginer heureuse car elle apprendra peut-être, toute prison murmure, qu'en France, son oeuvre, enfin, est connue et reconnue. Ceux qui verront cette exposition découvriront que la Chine renaissante vit dans ces photos, bien plus que par les objets indifférenciés que les usines chinoises déversent sur le marché mondial. Liu Xia est l'honneur de la Chine : ceux qui ne le comprennent pas, ne savent pas ce qu'est ni l'honneur, ni la Chine.
PHOTO - A journalist lifts up his camera over the fence to shoot a footage outside the residential compound where Liu Xia, the wife of Nobel Peace Prize winner Liu Xiaobo lives in Beijing, China, Friday, Dec. 10, 2010. China tightened a wide-ranging clampdown on dissidents and blocked some news websites Friday, hours ahead of the awarding of the Nobel Peace Prize to imprisoned democracy activist Liu Xiaobo.
© 2011 Le Figaro. Tous droits réservés.
Hygiene Vs Grooming
Il y a 1 an
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire