jeudi 16 avril 2009

OPINION - Le nombril chinois - Kerdellant Christine

L'Express, no. 3015 - ÉCONOMIE, jeudi, 16 avril 2009, p. 86

En janvier, pour la première fois de leur histoire, les rois de la bicyclette ont acheté plus de voitures que les empereurs du pick-up : 10,7 millions de véhicules vendus en Chine, contre 10 millions aux Etats-Unis, en rythme annuel. Au moment où les indices de reprise se multiplient dans l'empire du Milieu - l'immobilier repart, le prix de l'acier remonte, les prêts bancaires explosent - certains espèrent déjà que les Chinois, tirant la croissance mondiale, vont nous sortir de la crise.

Nous n'en sommes pas là. Pékin ne va pas détrôner New York de sitôt. La Chine a dû fermer cet hiver des usines par centaines et renvoyer 20 millions de migrants dans les villages : la théorie du découplage (l'insensibilité de l'Asie à la crise des subprimes) a fait long feu. Cependant, le pays va connaître, grâce à son plan de relance, une embellie avant l'été ; sa croissance devrait atteindre 6,5 % cette année, et il en fait profiter l'Indonésie, la Malaisie ou la Mongolie. Pékin joue aussi les banquiers pour les pays producteurs de pétrole en difficulté : en signant des accords avec le Venezuela ou le Brésil, il sécurise ses réserves et diversifie son approvisionnement. Ses fonds souverains interviennent en Europe ou aux Etats-Unis : après avoir perdu des millions chez Morgan Stanley et Blackstone, la China Investment Corporation envisage d'investir dans les groupes français du luxe, LVMH ou PPR. Et, quand les Chinois, craignant pour leurs placements en dollars, militent en faveur de la création d'une nouvelle monnaie de réserve, ils sont écoutés. Bref, sous l'effet de la crise, nous assistons au basculement du centre de gravité du monde vers l'Asie, comme a émergé de la crise des années 1930 la suprématie de l'Amérique.

La Chine ne serait donc plus le vendeur d'espadrilles, le voleur d'emplois, le bouc émissaire universel ? Voire. Les Américains viennent de découvrir que l'homme qui a fait sauter la planète, celui qui a inventé la formule qui a tué Wall Street (la fameuse « copule gaussienne » mesurant la corrélation des risques au sein d'un portefeuille de subprimes), était un mathématicien... chinois. Son nom : David X. Li, employé de JP Morgan Chase. Mais les traders de Wall Street ne le lyncheront pas : il est déjà rentré en Chine, où bat le coeur du Nouveau Monde.

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