jeudi 30 avril 2009

PORTRAIT - Kong Jining, l'histoire secrète du petit-fils de Mao - Roger Faligot

Le Point, no. 1503 - Monde, vendredi, 6 juillet 2001, p. 042

Portrait - Le président chinois a nommé Kong Jining, le descendant de Mao, à un poste clé des services d'espionnage. Ceux-là mêmes qui désossaient l'avion américain EP-3. Un signe.

Le nouveau patron du 2e Bureau de l'Armée populaire de libération chinoise est un personnage hors du commun. Ce quadragénaire, le général Kong Jining, n'est autre que le petit-fils du fondateur de la République populaire, Mao Zedong... Et jusqu'à ce jour son histoire était l'un des secrets les mieux gardés de la Cité interdite.

Dans le quartier Huangsi (« Temple jaune »), au nord de Pékin, un corps de bâtiment abrite le QG du département de renseignement militaire, le Qingbaobu. Un service d'espionnage qui vient d'être sérieusement ébranlé. En novembre dernier, en effet, un tribunal a condamné son patron, le général Ji Shengde, à quinze ans de prison. Fils d'un ancien ministre des Affaires étrangères, le général Ji est « tombé » pour une affaire de corruption impliquant la pègre et des hauts dirigeants de l'Etat. En Occident, personne n'est dupe : Ji Shengde est aussi détenteur de secrets sur le financement occulte du Comité de réélection de Bill Clinton en 1996 et sur l'affaire des frégates de Taïwan... Une reprise en main est opérée par le chef d'état-major adjoint de l'APL (Armée populaire de libération), Xiong Guangkai, superviseur de la nébuleuse de l'espionnage militaire, y compris du 3e département chargé des interceptions de type Sigint, responsable du « désossage virtuel » de l'avion espion américain EP-3. Prédécesseur de Ji Shengde à la tête du renseignement, le major-général Xiong est l'une des figures les plus influentes de l'armée chinoise. Il a pu imposer au président Jiang Zemin la nomination très discrète du petit-fils de Mao Zedong à un poste stratégique de l'espionnage.

Le pedigree du général Kong Jining est surprenant. Il est le rejeton d'un des rares enfants de Mao à avoir survécu à la révolution et au désintérêt du « grand timonier » pour sa progéniture. Tout a commencé en 1930, dans la province du Jiangxi, où Mao a créé son soviet. Sa première épouse a été fusillée par les nationalistes. Il s'éprend alors d'une institutrice de 17 ans, He Zizhen, qui devient l'« héroïne de la Longue Marche », ces 9 000 kilomètres à parcourir jusqu'à Yan'an, à partir de 1934, pour y instaurer une base rouge inexpugnable. La jeune femme a donné deux enfants à Mao, abandonnés à des paysans. Durant la Marche, à nouveau enceinte, elle est blessée à la tête. Ce qui ne l'empêche pas de donner une fille au chef de la révolution, en 1936, survivante aujourd'hui sous le nom de Li Min. Hélas, He Zizhen est supplantée auprès de Mao par Jiang Qing, l'intrigante actrice de Shanghai. Un comité spécial du PC autorise Mao à répudier sa deuxième femme. Pis : en 1938, on l'expédie avec sa fille dans l'URSS de Staline. La tragique odyssée de He Zizhen se poursuit dans les asiles psychiatriques du NKVD.

La « bande des quatre »

En 1945, Li Min est renvoyée en Chine, où sa belle-mère, Jiang Qing, assure son éducation et celle de Li Na, la fille qu'elle a eue avec Mao. Au lendemain de la victoire de 1949, quand la République populaire est proclamée, sa mère, He Zizhen, est enfin rapatriée. Jugée schizophrène, on la soumet aux électrochocs à Shanghai. Elle y mourra en 1984 sans que Mao ait cherché à la revoir. Entre-temps, Li Min a poursuivi des études scientifiques qui l'amènent dans les laboratoires où l'on met au point la bombe atomique. Dans ces milieux, elle se trouve un mari, Kong Linghua, fils d'un général d'artillerie de renom. Mariés en 1959, ils ont deux enfants : le futur général Kong Jining et sa petite soeur, Kong Dongmei, qui ont leurs entrées dans la Cité interdite, où ils voient grand-père Mao.

La Révolution culturelle éclate en 1966 : Jining a 6 ans, il endosse l'uniforme des Petits Gardes rouges et apprend les « Citations du président Mao ». Cette tourmente où s'affrontent les clans du Parti pousse la Chine au bord du précipice et fait 20 millions de morts. Sa grand-mère adoptive, Jiang Qing, dirige le mouvement maoïste avec sa « bande des quatre ». Elle utilise ses filles pour influencer des organes importants de l'armée : Li Min se retrouve à la Commission de la science et de la technologie pour la défense nationale (Costind), présidée par Nie Rongzhen, le père de la bombe atomique.

A la direction de l'APL

1976, l'année du Dragon : Mao meurt. La « bande des quatre » est renversée. Comme Qiang Jing, Li Min est arrêtée et elle dénonce sa belle-mère comme « contre-révolutionnaire ». C'est le prix à payer pour réintégrer la nomenklatura sous Deng Xiaoping : en 1984, son mari, Kong Linghua, est chef de propagande de l'Armée populaire. Plus rien ne s'oppose à l'ascension de leur fils vers les cimes de l'APL.

Après l'école des cadets, à 21 ans, Kong Jining se retrouve à Nankin, à l'Institut des langues et des relations internationales de l'APL, le creuset des espions. Baptême du feu : le voici attaché militaire adjoint au Pakistan à la fin des années 80. Il participe au soutien de son pays à la résistance afghane face à l'occupation soviétique. Trois cents conseillers militaires chinois entraînent des moudjahidine en liaison avec les services secrets pakistanais du général Akhtar. A Islamabad, il favorise des programmes sino-pakistanais de fabrication d'armement. Au cours de la décennie suivante, le colonel Kong travaille avec le Groupe d'analyse stratégique du colonel Luo Renshi, ancien attaché militaire à Paris. Puis ce sont des séjours à Londres, où il participe à l'espionnage technologique impulsé sur l'Europe par la Costind. Retour d'Angleterre en 1997 : Kong est attaché à l'état-major de l'APL quand survient la crise interne du renseignement suivie de la chute de son chef.

L'ancien directeur de l'Ecole du renseignement de Nankin, le général Luo Yudong, est nommé patron du renseignement militaire par Jiang Zemin, fin 1999. Mais l'organigramme est incomplet. Le général Xiong Guangkai s'est adjoint Kong Jining pour coordonner le 2e Bureau. Sa mission ? Planifier les missions du général Luo. « Kong s'est retrouvé à un poste nouvellement créé pour assurer une direction bicéphale du renseignement militaire et empêcher les dérapages », confirme un officier supérieur de l'APL. Pendant qu'éclatait la crise de l'avion espion EP-3, la promotion de l'héritier de Mao peut être interprétée comme un signal fort, interne à l'APL, et aussi à l'égard du monde .

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