lundi 7 décembre 2009

Les chantiers navals sud-coréens perdent leur première place mondiale

Le Monde - Economie, mardi, 8 décembre 2009, p. 19

L'année 2009 marque la fin d'une époque pour la construction navale sud-coréenne. Elle a perdu la première place mondiale qu'elle occupait depuis février 2000, au profit de la
Chine. Entre le 1er janvier et le 9 novembre, les chantiers chinois ont reçu 52,3 % des commandes passées, contre 31,8 % pour ceux de Corée du Sud.

Le boom de la construction navale durait depuis 2003. Tandis qu'ils enregistraient, avant 2008, une dizaine de commandes chaque mois, les géants Hyundai Heavy Industries et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) n'en ont reçu aucune en octobre. Samsung Heavy Industries n'en a obtenu que trois. Le revirement de tendance a déjà causé les cessations de paiements de deux petits chantiers, SNC Shipbuilding et C & Heavy Industries.

Le secteur est très affecté par la baisse du commerce mondial. En 2009, celui-ci devrait se contracter de plus de 10 % en raison de la crise économique, un chiffre " sans précédent ", a averti à Séoul, lundi 7 décembre, le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pascal Lamy a estimé que beaucoup restait à faire pour sortir de la crise. " Le processus de nettoyage en est à mi-chemin, a-t-il souligné, mais les progrès sont encore trop lents. "

Les géants du secteur affichent des carnets de commandes pleins pour trois ans mais rien n'indique que ces dernières seront réglées. Les armateurs subissent, eux aussi, une forte baisse de leur activité, ce qui réduit leurs besoins et leurs ressources. Les renégociations se multiplient; les prix des bateaux ont plongé de 30 % en moyenne par rapport au plus haut de 2007.

Le créneau le plus touché est celui des porte-conteneurs (34,6 % de la production sud-coréenne) : un bateau sur dix reste aujourd'hui à quai. Le marché est saturé au point qu'en mars, Pusan (sud), cinquième port mondial pour le trafic de conteneurs, avait subi une baisse d'activité de 40 %. Les " boîtes " vides encombraient ses docks. Or les commandes de porte-conteneurs passées avant la crise devraient multiplier la flotte mondiale par 1,5 d'ici à 2012.

Dans l'urgence, certains armateurs tentent de renégocier les contrats, voire de les annuler. Le numéro trois mondial de l'armement maritime, le français CMA-CGM, en pleine restructuration de sa dette, négocie actuellement le report, voire l'annulation, d'une commande de 49 navires que les chantiers sud-coréens devaient lui livrer d'ici à 2012.

D'autres armateurs modifient leurs commandes pour se faire livrer des vraquiers, plus souples d'utilisation, à la place des porte-conteneurs. Selon plusieurs analystes, plus de la moitié des navires commandés pour 2010 devraient faire l'objet d'un report de livraison.

Pour limiter l'impact de la crise, le gouvernement sud-coréen multiplie les aides au secteur. Le 11 novembre, Séoul a accordé 500 milliards de wons (292 millions d'euros), en plus des 9 500 milliards de wons débloqués en avril. Ces financements doivent améliorer la compétitivité des chantiers sud-coréens face à leurs concurrents chinois, accusés de recevoir d'importantes aides gouvernementales et d'être privilégiés pour les commandes locales.

Séoul attache beaucoup d'importance à cette activité pour plusieurs raisons, historiques notamment. Erigée dès les années 1970 au rang d'" industrie stratégique nationale ", la construction navale a vu son activité progresser rapidement. Des chantiers, dotés des plus grandes cales sèches du monde, ont été construits. Les formations d'ingénieurs et de techniciens pour ce secteur-clé ont été encouragées dans les meilleures universités. Aujourd'hui, ces chantiers produisent des navires à la qualité reconnue. Ils emploient 110 000 personnes et le secteur représente le premier poste d'exportations du pays. En 2008, 10,2 % des ventes de produits sud-coréens à l'étranger étaient des navires, pour un montant de 43,1 milliards de dollars (29 milliards d'euros).

Face aux difficultés, les entreprises du secteur diversifient leur production pour trouver de nouveaux débouchés. Spécialistes de la construction de turbines, ils s'engagent dans le secteur de l'énergie éolienne. Hyundai va en fournir six d'ici à mai 2010 à une centrale américaine du Wisconsin, pour un montant de 15 millions de dollars. DSME s'est fixé comme objectif de détenir 15 % du marché mondial des turbines pour éoliennes d'ici à 2020... Une diversification en attendant d'hypothétiques jours meilleurs sur les chantiers. Outre la Chine, on assiste à l'émergence de la construction indienne et vietnamienne. Et le secteur s'engage dans la production de navires moins polluants, activité dans laquelle les chantiers européens sont en avance.

Philippe Mesmer

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