mercredi 21 avril 2010

SPÉCIALE MAGAZINE - Comment Pékin s'impose sur les 5 continents




Courrier international, no. 1014 - Editorial, jeudi, 8 avril 2010, p. 8

Voici les titres des articles qui composent cette spéciale du Courrier International sur le Soft Power de la Chine :
ÉDITORIAL - Comme Tokyo voici deux décennies
Pékin rêve d'être un géant
Confucius, une belle enseigne très politique
Imposer le point de vue chinois sur le monde
Le cinéma, nouvel opium du peuple
La culture pop "made in China" arrive
Comment la Chine dope ses exportations
Le jour où les Chinois domineront la science
Les regards se tournent vers l'Extrême-Orient
Un modèle à suivre pour les Arabes
Chávez préfère Pékin au FMI
Le mandarin, la langue de demain
"WENMING" : CIVILISATION
Comment Pékin s'impose à la planète
BO XILAI - Une sorte de phénomène Obama

ÉDITORIAL - Comme Tokyo voici deux décennies

(Paris) - Il y a vingt ans tout juste, le Japon avait le vent en poupe. Devenu la deuxième économie du monde, Tokyo s'interrogeait sur son avenir de grande puissance culturelle, voire politique. Aujourd'hui, la Chine fait de même, après trente ans d'une croissance prodigieuse qui l'a menée à dépasser la France, l'Allemagne, puis le Japon.

Les deux pays asiatiques partagent quelques forces et faiblesses. Tous deux ont le nationalisme chevillé au corps et leurs dirigeants considèrent pareillement l'économie comme "la poursuite de la politique par d'autres moyens". Mais les deux pays manquent de pétrole et plus généralement de matières premières.

Cela dit, les différences - à deux décennies de distance - sautent aussi aux yeux. Le Japon avait contre lui le vieillissement de sa population et un taux de natalité faible. La Chine, malgré sa politique antinataliste, dispose d'une immense masse de travailleurs, ruraux pour la plupart, qui font tourner l'usine monde et s'exportent partout sur la planète. En revanche, le Japon bénéficie d'un cadre institutionnel stable et d'un consensus de la population et des élites autour d'un système politique ouvert et d'un empereur, sorte de commandeur quasi invisible. En Chine, si le Parti réussit à maintenir son hégémonie, il a abandonné toute prétention idéologique. Or cette idéologie servait de ciment, et désormais les déséquilibres sont de plus en plus visibles : entre riches et pauvres, entre provinces côtières et provinces de l'intérieur, etc. Au sein même du Parti, on assistera d'ici à 2012 à quelques sérieuses bagarres, avec notamment la percée de Bo Xilai, dirigeant populiste et populaire (voir l'article : Chine â?¢ Une sorte de phénomène Obama). Bref, comme par le passé, des soubresauts politiques ou des implosions sont possibles.

En 1990, certains leaders nippons faisaient preuve d'arrogance (souvenez-vous entre autres du best-seller "Le Japon qui peut dire non"). En 2010, la Chine elle aussi fait preuve de mépris pour les Européens, et même d'ubris, explique le sinologue Jean-Luc Domenach dans Ouest-France. L'ubris, ou hybris, c'est cette démesure qui conduit souvent les héros de la mythologie grecque à leur propre perte. En attendant cet hypothétique retour de bâton, notre monde est voué à devenir de plus en plus chinois et il nous faut savoir le décrypter.

Pékin rêve d'être un géant

Nanfang Zhoumo

(Canton) - Qu'est-ce qu'une puissance culturelle ? Cette question est désormais à l'ordre du jour. Cela n'a rien d'étonnant. Les statistiques et la presse laissent à penser que nous sommes devenus une grande puissance économique, militaire et politique. Dans les affaires internationales, nous avons maintenant notre mot à dire, et même un poids décisif. Dans ces conditions, si la culture ne suit pas, si l'on n'accède pas dans le même temps au rang de puissance culturelle, ce sera comme être brusquement privé d'alcool quand l'on commence à être grisé. Le désagrément est d'autant plus fort que jadis la Chine était un grand pays culturel digne de ce nom. Nous devons donc retrouver ce statut. Reste à savoir si nous en sommes capables et comment y parvenir.

En premier lieu, la Chine peut-elle devenir une puissance culturelle mondiale ? Si l'on estime que ce sont la valeur de la production, les bénéfices dégagés, le montant des exportations et les parts de marché de l'industrie culturelle ou encore la contribution au PIB, alors les Etats-Unis figurent dans le peloton de tête des grands pays culturels. Malheureusement, l'Amérique est souvent considérée comme un pays "sans culture", non seulement par les Chinois mais aussi par les Européens. Si l'on se fonde sur le critère du passé, les grands pays culturels ne manquent pas. Sans parler de la Chine, qui en fait bien sûr partie, il convient de citer l'Inde, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, la Russie et aussi l'Italie. Pourquoi donc ? Parce que tous ces pays ont eu des figures culturelles marquantes, reconnues comme telles dans le monde entier. Tolstoï, Shakespeare ou encore Goethe, Beethoven, Kant et Hegel, dont les seuls noms permettent de classer incontestablement l'Allemagne parmi les grands pays culturels. Dans ce domaine, les Etats-Unis font pâle figure. Quelle grande personnalité culturelle peuvent-ils mettre en avant ? Pas Mickey quand même !

Une influence qui dépasse les frontières

Pourquoi ces grands noms confèrent-ils à leur pays d'origine un statut de puissance culturelle ? C'est que l'influence de ces personnages dépasse les frontières. Que l'on songe à Confucius, à Sakyamuni (Bouddha), à Rousseau, à Voltaire, à Marx ou à Engels ! En fait, qui dit puissance culturelle dit pays ayant une influence internationale. Ainsi, à une certaine époque, les caractères chinois ont été utilisés par plusieurs pays d'Asie, tandis qu'en Europe c'était le français qui était à l'honneur. La Chine et la France ont naturellement été au cours de cette période de grands pays de culture. Une puissance culturelle exerce une forte influence, une influence qui dépasse les frontières. Un pays qui abolit les frontières est un grand pays; celui qui n'y parvient pas doit se limiter au karaoké et s'amuser tout seul dans son coin. Un pays de culture a du charisme. Or qui dit charisme dit attractivité, et qui dit attractivité dit influence. Une influence ne se dicte pas. En son temps, Confucius a-t-il eu besoin de parcourir les océans pour diffuser sa doctrine ? Le Bouddha Sakyamuni ne s'est guère éloigné de plus de 500 kilomètres de son lieu de naissance pour prodiguer son enseignement. Pourtant, leur influence à tous deux s'est répandue aux quatre coins de la planète jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu'ils possédaient un charisme irrésistible. C'est dans le charisme d'une culture que se trouve la définition d'une puissance culturelle.

Une culture a du charisme à trois conditions. Il faut que ces pays ou ces peuples aient une identité propre, que leur esprit soit profond et qu'il se manifeste sous des couleurs flamboyantes. Cet aspect éclatant n'implique pas forcément la beauté et la perfection, mais il exclut la banalité, les clichés et autres poncifs. Il faut qu'il frappe les yeux et les oreilles. Il doit aussi susciter admiration et engouement. Quand ces trois conditions sont réunies, un pays ou un peuple peuvent alors présenter des qualités et des caractéristiques fascinantes. Ce fut le cas sous les dynasties Wei (220-265) et Jin (265-420), ou encore à l'âge d'or de la dynastie Tang (618-907). Elles ont exercé un fort pouvoir de fascination et par conséquent une grande influence. Leur profondeur a inspiré le respect, leur forme éclatante a été appréciée. Mais pouvoir, comme l'Italie de la Renaissance, fonder les humanités et être précurseur des styles est une admirable contribution à la culture humaine. Le monde peut alors reconnaître en vous une puissance culturelle. Vus sous cet angle, les Etats-Unis peuvent nourrir des espoirs, car ils ont l'"esprit américain". Celui-ci s'incarne dans la Déclaration d'indépendance et dans un mode de vie typique. Ils se distinguent aussi par la forme, avec les grandes productions hollywoodiennes. Certes, ranger ces productions dans les classiques pourrait en faire tiquer certains. Mais la culture évolue avec l'époque. Qui sait si dans l'histoire de la culture humaine ces films ne seront pas placés au même niveau que les poèmes d'Homère ou ceux des poètes des dynasties Tang et Song ?

Pouvoir résister au verdict de l'histoire

Voyons maintenant comment l'on peut parvenir au statut de puissance culturelle. Il est évident que pour cela l'argent ne sert à rien, on ne serait qu'un "pays orfèvre". Se donner en grand spectacle n'est pas non plus la solution. On ne serait alors qu'un "pays des arts". Aller rechercher ce qui a été volé par d'autres [allusion au pillage des Occidentaux] ou enfoui sous la terre, ce n'est pas non plus la solution. Nous serions alors considérés comme un simple "pays de patrimoine". Ce n'est pas ainsi que l'on devient une grande puissance culturelle. Pour y parvenir, il faut être en mesure de pouvoir influencer autrui, le monde, et même le cours de l'histoire humaine. Il faut aussi disposer de produits et de savoir-faire qui résistent au verdict de l'Histoire. Il faut susciter chez autrui une admiration sincère et un désir d'imitation. En d'autres termes, il faut que l'esprit de la Chine incarne une civilisation moderne.

Cela implique premièrement qu'il s'agisse bien de civilisation moderne. Nous ne devons pas copier nos ancêtres, ou du moins nous contenter de cela. Si on les imite, il faut moderniser. Deuxièmement, il faut que l'esprit soit celui de la Chine. Copier le monde occidental ne convient pas non plus. On peut s'en inspirer, mais en l'adaptant à la culture chinoise. Pour fonder un esprit chinois dans la culture moderne, il faut s'enraciner dans la tradition tout en se positionnant dans le monde. Ce qui veut dire qu'il nous faut bien gérer les rapports entre tradition et modernité, entre la Chine et le reste du monde. La tâche n'est pas facile, et si l'on veut innover c'est encore moins simple !

Alors, que faire ? Je pense qu'il faut d'abord agir dans le concret (les slogans ne sont d'aucune utilité), qu'il faut ensuite faire preuve d'intelligence (la langue de bois ne sert à rien) et enfin qu'il faut savoir raison garder (on n'a que faire de la grandiloquence). Afficher son mécontentement pour un oui pour un non serait encore plus stupide [allusion au pamphlet nationaliste "La Chine n'est pas contente", paru en 2009]. D'autant plus que l'obtention du titre de puissance culturelle n'est pas théorique. Elle relève de réalisations concrètes. Devenir un "grand pays culturel" ne doit pas être le voeu pieux d'une petite élite, cela doit correspondre à une aspiration partagée par l'ensemble de la population. Si les Chinois vivent de manière digne, la Chine sera respectée. S'ils sont cultivés, la Chine aura une culture. Sur ces postulats de base, nous pourrons donner naissance à des personnages, à une pensée et à des oeuvres potentiellement influents. La pratique populaire est la source de la culture. "Comment fais-tu, eau du canal, pour être aussi limpide ?


Confucius, une belle enseigne très politique

Shidai Zhoubao (The Time Weekly)

(Canton) - Lors de la récente assemblée générale des instituts Confucius, le siège a annoncé que, depuis l'inauguration à Séoul, en novembre 2004, du premier institut Confucius à l'étranger, 282 nouveaux établissements avaient été ouverts dans 88 régions de la planète. Soit une moyenne d'environ 55 par an, un nouvel institut voyant le jour chaque semaine dans le monde ! Beaucoup de personnes vont sans doute se réjouir face à un développement aussi fulgurant, qu'on peut considérer comme le symbole du redressement de la nation chinoise. Qu'autant d'Occidentaux, notamment, se mettent à étudier et à admirer notre civilisation traditionnelle est un fait notable. On peut dire que, le monde entier nous prêtant allégeance, l'idéal de Confucius de voir sa doctrine diffusée partout sous le ciel pourrait bien se réaliser sous peu.

Cependant, en y regardant de plus près, cet enthousiasme paraît quelque peu surfait. Beaucoup d'observateurs objectent en effet que cet essor des instituts favorise certains départements, qui se servent au passage et dilapident la fortune de l'Etat. Il convient tout d'abord de se demander qui paie l'addition pour ces 282 instituts Confucius implantés à l'étranger. L'organisme qui fédère les instituts a son siège à Pékin. Il est placé sous l'autorité de la Direction nationale pour l'enseignement du chinois langue étrangère, une institution qui dépend du ministère de l'Education. Les dépenses engagées par les instituts Confucius à l'étranger sont largement couvertes par l'Etat.

Selon Wang Daqian, secrétaire adjoint de la fondation Confucius [qui promeut les études classiques et qui est distinct des instituts Confucius], "le siège des instituts Confucius est en fait un organisme de service. L'ouverture d'un institut Confucius s'apparente à la création d'une section de chinois dans une université, à laquelle l'organisme apporte son soutien et son aide financière. Outre le financement, il apporte sa contribution sous forme de fourniture de matériel pédagogique et de personnel enseignant." Selon ses responsables, les frais sont partagés avec les institutions étrangères, l'institut apportant en général une subvention unique d'installation. Dans les cas où le financement est difficile à monter, la partie chinoise peut prolonger son aide.

Interrogé par des journalistes, le directeur de l'institut Confucius de Düsseldorf, M. Cord Eberspächer, reconnaît que "les universités coopèrent pour mettre en place des instituts Confucius, car elles peuvent ainsi obtenir des crédits leur permettant notamment d'ouvrir des cours de langue et d'organiser des conférences". Bien que portant le nom de Confucius, ces instituts n'ont pas en fait pour rôle de faire connaître sa pensée. "Au début, en entendant parler d'un engouement pour Confucius, j'étais très content. Mais j'ai découvert par la suite qu'il ne s'agissait que de promouvoir la langue chinoise. Ils n'ont de Confucius que le nom !" rappelle Han Zhaoqi, professeur à l'Ecole normale de Pékin. D'autres universitaires déplorent que, malgré leur envergure, les instituts Confucius ne proposent que des cours de chinois ou des entraînements de tai-chi-chuan. Ils n'apportent donc rien de bien nouveau. Au cours des dernières décennies, les sections de chinois langue étrangère de nos universités ont régulièrement envoyé des enseignants à l'étranger. Dans ce cas, c'étaient toujours les pays hôtes qui prenaient en charge leurs salaires. Mais maintenant, dans les instituts Confucius, c'est bien souvent les Chinois qui paient.

Un enseignement linguistique, pas philosophique

Cette façon de procéder suscite de nombreuses interrogations et révolte quelqu'un comme Xue Yong, universitaire aux Etats-Unis. Il estime que la construction d'un institut Confucius aux Etats-Unis coûte au minimum plusieurs millions de dollars. Pourtant, "les instituts Confucius ne contribuent pas à diffuser l'enseignement de la pensée confucéenne ou à permettre la réalisation d'études à ce sujet. La seule chose qu'ils font, c'est simplement apprendre le chinois aux étrangers, c'est financer l'éducation d'autrui", regrette-t-il. "Alors que les enfants chinois reçoivent à peine 300 yuans [32 euros] par an pour leur éducation, l'argent des contribuables chinois est détourné au profit d'Américains qui bénéficient d'un enseignement dont le coût annuel est estimé à près de 70 000 yuans [7 500 euros] par personne. Leur argent sert donc à subventionner des étrangers. Cela a pour conséquence à long terme de détériorer le système éducatif et de favoriser le recul de la culture en Chine ! On peut donc se demander si en agissant ainsi on diffuse largement la culture chinoise ou si on la brade", ajoute-t-il. Récemment, on a pu voir sur le site du ministère des Finances que l'appel d'offres pour la refonte du site Internet des instituts Confucius atteignait la somme de 35 millions de yuans [3,5 millions d'euros]. Le site le plus cher du monde est né.

Force est de reconnaître que le nationalisme peut constituer une opportunité commerciale pour ceux qui savent en tirer parti. Les propos ronflants invoquant la culture nationale ou la grandeur et la décadence de notre pays sont souvent utilisés pour masquer les profits réalisés sous ce couvert. Ces dernières années, combien de projets d'investissement sans aucune valeur ont détourné à leur profit une masse colossale de capitaux en jouant sur la corde de la sensibilité nationaliste ou autonome, tout cela à fonds perdus ? Dans bien des cas, la carte des valeurs nationales est seulement sortie pour ravir l'argent public sans tenir compte de la rentabilité des projets. Peut-on vraiment confier à ces instituts le soin de représenter 1,3 milliard de Chinois ? Ces dernières années, n'avons-nous pas déjà vu passer assez de projets prônant en apparence de beaux idéaux, mais recherchant au fond uniquement des intérêts commerciaux ?

Imposer le point de vue chinois sur le monde

Courrier international

(Paris) - La Chine mène depuis quelques années une politique de développement de ses médias en langues étrangères en direction de la communauté étrangère en Chine et à l'étranger. Une version anglaise du Huanqiu Shibao, quotidien spécialisé dans l'information internationale, paraît ainsi depuis 2009 sous le nom de Global Times. Sensiblement différente de la publication en chinois, à tonalité volontiers nationaliste, elle en traduit cependant une partie du contenu. C'est le quatrième journal en langue anglaise en Chine. Le China Daily en a été le précurseur. Lancé à Pékin en 1981, il devait contribuer au développement des échanges économiques avec l'étranger. Il a été suivi par le Shanghai Daily en 1999, pour répondre aux besoins d'une communauté étrangère grandissante, et par le Shenzhen Daily, créé en 2001.

L'offensive médiatique concerne aussi la télévision, avec le lancement en août 2009 d'une chaîne en langue arabe. Emanation de la chaîne de télévision centrale CCTV, elle s'ajoute aux versions anglaise, française, espagnole et russe. Ces chaînes sont accessibles soit par Internet, soit par satellite dans le monde entier. Sur la Toile, la plupart des médias officiels, comme Xinhua Wang, de l'agence de presse Xinhua, Renmin Wang, de l'organe du Parti communiste chinois Renmin Ribao, China.com, du gouvernement, ou encore CRI Online, de Radio Chine Internationale, proposent depuis des années des contenus en anglais et en diverses langues étrangères, dont le français.

L'ensemble des opérations médiatiques récentes constitue une politique destinée à proposer au monde extérieur une "perspective chinoise sur l'information". Il s'agit d'"expliquer la Chine au monde", souligne le quotidien pékinois Xin Jingbao. Les autorités chinoises veulent clairement prendre place dans le concert médiatique mondial et y apporter une perspective chinoise, en particulier dans le traitement des informations sensibles pour le pouvoir central. Pékin avait fortement critiqué le traitement des émeutes au Tibet en mars 2008 par les médias occidentaux. Mais la presse chinoise avait été avare en informations et, surtout, les médias occidentaux n'avaient pas été autorisés à s'y rendre. Ayant entendu ces critiques, les autorités chinoises ont changé de méthode. Lors des affrontements meurtriers entre les différentes communautés ethniques au Xinjiang en juillet 2009, la presse officielle chinoise a été dépêchée en masse. Elle a ainsi pu fournir d'abondants articles et reportages qui ont été repris par le reste de la presse chinoise, mais aussi étrangère.

Le cinéma, nouvel opium du peuple

Dongfang Zaobao (Oriental Morning Post)

(Shanghai) - Au cours de l'hiver 2010, les films produits pour les fêtes de fin d'année ont marqué pour le cinéma chinois l'entrée dans une nouvelle ère. De nombreux longs-métrages locaux et étrangers sont sortis coup sur coup, et, devant les cinémas, les queues se sont allongées. On se serait cru de retour dans les années 1980, quand les gens étaient fous de nouvelles expériences artistiques [les premières productions d'après la Révolution culturelle sortaient sur les écrans, de même que les premiers films étrangers]. Alors que, ces dernières années, le marché du cinéma en Chine était morose, on est brusquement revenu à des chiffres d'entrées annuelles atteignant les 6 milliards de yuans [600 millions d'euros].

Cependant, cet enthousiasme masque un problème qui mérite pourtant réflexion. L'embellie du cinéma est intimement liée à la sortie de films "de fin d'année", projetés de décembre à février... Tout en laissant présager le développement et l'élargissement du marché cinématographique chinois, cela montre également que la consommation de produits culturels en Chine est à la fois disproportionnée et uniformisée. La tendance à tout miser sur ce type de films crée une règle tacite : la production cinématographique ne peut pas se passer du marketing. Avant la sortie d'un film, l'on met en branle tout un processus de communication et l'on bombarde les gens de messages.

Le cinéma commercial a détrôné le cinéma d'auteur

Autre conséquence de ce phénomène, les films ont tendance à se vider de leur contenu culturel. Autrement dit, le poids de l'image l'emporte. Avant d'avoir vu un film, on a très envie de le voir, mais après, on l'oublie très vite. Force est de constater qu'un tel phénomène se traduit malheureusement par la disparition complète des films artistiques. Tous les grands réseaux de salles de cinéma obéissent désormais aux lois du capitalisme et ne cherchent qu'à réaliser des bénéfices. Imperceptiblement, le cinéma chinois a complètement éliminé les films à la Xie Jin [1923-2008]. Il n'a plus aucun lien avec notre vie de tous les jours. Les productions de fin d'année parviennent à nous éloigner de la vie quotidienne.

Plus nous manquons de moyens pour éliminer les injustices de la vie quotidienne, plus nous cherchons une manière de ne pas y penser. Le succès des films de fin d'année est la conséquence directe de cette logique. De toute évidence, l'engouement pour ces productions montre que la culture du divertissement est en train d'évoluer subrepticement vers une culture de "l'imbécile heureux". Grâce à des investissements lourds, on multiplie ces films dont la mission consiste à aider le spectateur à oublier la réalité. Cela marque aussi la disparition complète de la capacité de discernement et d'introspection du public chinois cultivé. Le film Bodyguards and Assassins, de Teddy Chen, qui rassemble une pléiade de vedettes, a dû se transformer en thriller pour trouver des débouchés [le film est fondé sur une fiction historique relatant les menaces que fit peser la cour des Qing sur Sun Yat-sen, futur père de la république de Chine, lors de son voyage à Hong Kong en 1906]. Autrement dit, le public n'apprécie que le côté violent et spectaculaire du film, sans penser à l'histoire bouleversante qui a suggéré ces scènes. Cela signifie aussi que nous avons perdu la capacité artistique à réfléchir sérieusement et à expérimenter quelque chose en profondeur. Nous nous sommes enfoncés dans le gouffre de l'esthétisme en nous éloignant de la vie réelle. L'engouement pour les superproductions de fin d'année marque l'entrée dans une ère, où l'on regardera sans voir l'histoire et la réalité. Nous ne voudrons plus que ce qui est amusant; c'est la logique du plaisir idiot. Une telle consommation culturelle encourage une lecture avec zéro réflexion. Nous recherchons sans cesse le plaisir, et l'art, en tant que projet esthétique national, y satisfait déjà pleinement. Il n'est plus indispensable de se demander, si telle ou telle situation est juste, ou si telle ou telle politique est adéquate - et, d'ailleurs, on en perd la capacité. Le phénomène de l'imbécile heureux, en tant que forme culturelle secrètement encouragée par le projet esthétique de l'Etat, démontre que l'absence de réflexion est la meilleure solution pour se détendre dans la vie.

La culture pop "made in China" arrive

Zhongguo Qingnian Bao

(Pékin) - Lors d'une récente conférence, vous avez évoqué deux chansons, révélatrices pour vous de l'évolution historique marquée par la mondialisation et l'émergence de la Chine. Pourriez-vous préciser votre propos ?

Zhang Yiwu Il s'agit d'une part de la chanson You and Me, interprétée par Sarah Brightman et Liu Huan lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, en août 2008, et d'autre part de Qianwan ci de wen [La question que je me suis posée des millions de fois]. C'est le générique d'Un Pékinois à New York, une série télévisée diffusée en 1993 qui raconte l'histoire d'un violoncelliste parti à New York parce que la Chine ne lui offrait aucun espoir d'avenir. Cette chanson, sur fond de nuit new-yorkaise, parle en fait des relations entre Chinois et Occidentaux. "Je t'ai cherchée à des milliers de kilomètres, mais tu n'y as pas fait attention; tu n'es pas comme dans mes rêves; dans mon rêve, tu étais mon unique amour; time and time again, you ask me; tu m'as demandé si je t'aimais... Je me demande si au fond je t'aime vraiment, si je suis capable de te quitter... J'ai changé au point de ne plus être moi-même, mais toi tu es restée la même", dit la chanson. Il s'agissait de la Chine des années 1990.

Aujourd'hui, c'est accompagné de la chanteuse britannique Sarah Brightmann que Liu Huan monte sur scène pour interpréter la chanson You and Me, dont voici un extrait : "Toi et moi, nos coeurs battent à l'unisson, nous habitons le même village planétaire, nous parcourons des milliers et des milliers de kilomètres pour accomplir nos rêves, et nous nous rencontrons à Pékin"... Ce dialogue se fait d'égal à égal. Entre les deux chanteurs il existe... une vraie complicité et de vrais échanges. Les Chinois se tiennent maintenant debout sur cette terre à égalité avec les autres. Une telle évolution indique bien la portée historique de l'émergence de la Chine. Nous avons dit adieu à la tragique histoire de la Chine au xxe siècle et nous pouvons sentir que le développement du pays est en train de se fondre dans le courant de la mondialisation tout en améliorant la face du monde. C'est un phénomène extrêmement important dans l'histoire de la mondialisation.

Dans le film américain 2012, les Chinois sont aussi présentés de façon plus positive. Le monde entier a été ému par l'énergie et l'esprit de solidarité déployés par les Chinois pendant le tremblement de terre du Sichuan [en mai 2008], et par leur force de caractère face à l'adversité. Dans le film, l'humanité est confrontée à une crise majeure, et les Chinois y sont présentés sous un jour favorable. On peut voir dans cette évolution positive un effet du hard power chinois qui a entraîné une nouvelle croissance du soft power. C'est extrêmement important !

Vous mettez l'accent sur le contenu culturel de l'émergence de la Chine. Qu'entendez-vous par là ?

Premièrement, il existe une continuité historique de la civilisation chinoise. Deuxièmement, le parcours suivi à l'époque moderne par les Chinois pour devenir riches et puissants s'accomplit dans le respect de certaines valeurs et jamais au détriment d'autrui. C'est pourquoi, même si, au cours des trente dernières années, nous avons commis de nombreuses erreurs et rencontré bien des difficultés, nos efforts pour nous battre aux côtés des peuples du tiers-monde ont généré le plus précieux des biens spirituels. Troisièmement, en trente ans de réformes et d'ouverture, la Chine a créé un nouveau dispositif de développement rapide à partir duquel elle peut exercer son soft power.

Vous avez souligné le fait que tous les Chinois sont patriotes, aiment leur nation, y compris les jeunes. Mais ces derniers connaissent très mal la culture traditionnelle. Comment combler ces lacunes ?

De nos jours, les jeunes aiment beaucoup le costume chinois [hanfu, tenue traditionnelle des Hans, antérieurs à la dynastie mandchoue établie en 1644; il est à nouveau à la mode chez certains jeunes, on le porte lors de cérémonies]. Ils ont constaté qu'au Japon il y avait le kimono, et en Corée le hanbok. Mais nous ? Nous avons bien la qipao [robe fendue féminine, d'origine mandchoue, transformée et popularisée à Shanghai au début du xxe siècle], mais ce vêtement est surtout porté aujourd'hui par les serveuses de restaurant. Aussi, il est bien difficile de dire ce qui constitue aujourd'hui le costume national. Et les jeunes sont à la recherche des symboles de leur propre tradition.

Vous voulez dire que la résurgence de la culture traditionnelle est à trouver dans la vie quotidienne ? N'est-ce pas contradictoire avec le désir de s'intégrer dans le courant de mondialisation et de modernisation ?

Ce moment historique est arrivé, même si les jeunes n'ont pas encore tout compris. Ils portent le hanfu à manches larges et grande ceinture, mais avec des baskets aux pieds. Quoi qu'il en soit, on observe un respect et un intérêt plus grands pour la tradition. Au Yunnan, j'ai vu un jeune de la minorité naxie, vendeur de souvenirs touristiques, qui s'adressait à ses clients américains dans un très bon anglais avec l'accent de New York. Il avait appris en regardant intégralement la série Friends et en en répétant les dialogues trois heures par jour. Si chaque Chinois a ainsi la force de se transformer lui-même, quelle difficulté pourrait l'arrêter ? Ce jeune Naxi qui vendait des produits de la culture traditionnelle naxie dans un anglais parfait m'a rendu fier des Chinois.

Construire un soft power, c'est non seulement dire au monde la valeur de la culture traditionnelle chinoise, mais aussi mettre en avant les fruits de la difficile bataille des réformes entamée il y a trente ans. Aujourd'hui, des valeurs universelles portées par la culture chinoise, comme l'unité entre l'homme et la nature, ou l'harmonie dans la différence, ne sont pas encore reconnues en tant que telles. La compétitivité de la culture de masse est loin d'avoir suivi le même rythme que la croissance économique. Il nous faut concilier notre détermination à défendre les valeurs de base avec une certaine flexibilité pour s'adapter à notre temps, concilier la confiance en notre propre culture avec une bonne perception du monde et de nous-mêmes, concilier enfin des valeurs spirituelles élevées avec une culture populaire dynamique.

Dans le monde actuel en plein bouleversement, la culture chinoise a un rôle inestimable à jouer en faveur de la paix et du développement, en particulier avec ses notions traditionnelles de bienveillance (shan) et d'amour du prochain (ren). Il faut nous éveiller à notre propre culture pour en diffuser toute l'énergie, et réaliser le rêve d'une belle Chine, séduisante aux yeux de l'extérieur et harmonieuse sur le plan intérieur. La Chine est un vieux pays, mais promis à un splendide avenir ?

Comment la Chine dope ses exportations

The New York Times

(New York) - Alors que les grandes économies peinent à sortir de la récession, les exportations de la Chine s'envolent. Ce qui témoigne, notamment, de l'habileté avec laquelle ce pays exploite les incohérences des règles commerciales internationales afin de stimuler son économie au détriment des autres Etats.

La Chine a en effet lancé une of­fensive sur deux fronts : elle combat le protectionnisme de ses partenaires et s'efforce de maintenir un yuan faible. Pékin met pour cela à profit une différence fondamentale entre deux grandes institutions : l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Fonds monétaire international (FMI). Car la première peut infliger de lourdes amendes aux pays qui entravent les échanges, alors que le second - qui fait figure de chien de garde de la politique économique mondiale - n'a aucun pouvoir sur des Etats qui, comme la Chine, ne lui empruntent pas d'argent.

Ce pays a dégagé en 2009 un excédent commercial de 198 milliards de dollars [147 milliards d'euros] par rapport au reste du monde. Il achète des dollars et d'autres devises - pour plusieurs centaines de milliards de dollars chaque année - en vendant des yuans, ce qui déprécie sa monnaie et stimule ses exportations. En février, par exemple, ces dernières ont bondi de 46 % par rapport à la même période de 2008 [mais elles devraient baisser en mars]. De manière générale, une monnaie sous-évaluée permet à un pays d'exporter des produits peu coûteux sur les marchés étrangers tout en renchérissant ses importations. Ce qui favorise la constitution d'un excédent commercial et réduit le chômage - tout en aggravant celui de ses partenaires.

Lors du sommet de Pittsburgh en septembre dernier, les dirigeants des pays du G20 - dont le président Obama et son homologue chinois Hu Jintao - sont convenus de se communiquer leurs stratégies économiques respectives avant le mois de novembre suivant. Le but était de coordonner la sortie des plans de relance et d'empêcher que le monde ne passe directement de la récession à l'inflation. Ils ont également décidé que le FMI servirait d'intermédiaire. Mais selon deux sources bien informées, le gouvernement chinois a laissé passer la date butoir, avant de soumettre un vague document comportant essentiellement des données obsolètes. D'après elles, Pékin craignait de fournir des munitions à ceux qui critiquent sa politique monétaire.

Le 11 mars dernier, Barack Obama est revenu à la charge, appelant Pékin à mettre en place "un taux de change plus conforme au marché". Trois jours plus tard, la réponse du Premier ministre Wen Jiabao sonnait comme un défi. Dénonçant les pressions internationales, il s'en est pris à "cette pratique qui consiste à se montrer du doigt entre pays" et a déclaré que le yuan resterait "stable". Pour Washington, le sujet est délicat. Car la Chine est le plus gros acheteur d'obligations du Trésor américain. Et les Etats-Unis, qui connaissent des déficits budgétaires records, ont besoin qu'elle poursuive ces souscriptions pour financer leur dette. Mais le Trésor doit également annoncer, avant le 15 avril, s'il considère ou non que Pékin manipule effectivement la valeur de sa monnaie. Dans l'affirmative, cela ne pourra qu'encourager les membres du Congrès qui veulent imposer des restrictions aux importations chinoises. Face à de telles mesures de rétorsion, Pékin crierait certainement au protectionnisme, et les relations bilatérales déjà tendues entre les deux pays se détérioreraient un peu plus.

Pékin bloque la publication des rapports du FMI

Deux fléaux étroitement associés ont joué un rôle déterminant dans l'effondrement des échanges internationaux dans les années 1930 : le protectionnisme et les dévaluations compétitives. Pour tenter d'éviter que la Grande Dépression ne se reproduise, deux institutions, devenues plus tard l'OMC et le FMI, ont été créées après la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, en 1995, l'OMC a mis en place de puissants tribunaux.

Le dépôt d'une plainte contre un autre pays constitue l'arme suprême en cas de litige commercial. Au cours des sept années qui ont suivi son adhésion à l'OMC en 2001, la Chine n'a porté plainte que trois fois. Mais ensuite, le rythme s'est accéléré. Sur quinze actions engagées en 2009, quatre l'ont été par ce pays : deux contre les Etats-Unis (volailles et pneumatiques) et deux contre l'Union européenne (fixations en acier et volailles). Le FMI, lui, n'a pas de pouvoirs comparables. Il a pour politique de rendre publiques, en temps voulu, ses analyses, d'où ne sont retirées que les données susceptibles de faire réagir les marchés. Ses règlements permettent toutefois à un Etat membre d'empêcher la publication d'un rapport. La Chine a permis la diffusion des études la concernant jusqu'en juin 2007, date à laquelle le conseil d'administration du FMI a décidé que ses rapports devraient s'intéresser davantage aux politiques de change. Depuis, Pékin a discrètement bloqué leur publication, sans fournir d'explications précises. Selon une personne ayant eu accès, l'été dernier, à l'un des plus récents documents, ce dernier concluait que le yuan était "substantiellement sous-évalué", ce qui signifie qu'il s'échangeait à un cours inférieur d'au moins 20 % à sa juste valeur de marché.

Le jour où les Chinois domineront la science

New Scientist

(Londres) - Depuis qu'elle a entamé sa transition économique, en 1978, la Chine est passée du statut de pays en voie de développement au rang de deuxième puissance économique mondiale. Le pays est également sorti de son isolement politique pour devenir un acteur important au sein de la communauté internationale. Sa fulgurante ascension constitue donc l'un des principaux bouleversements mondiaux de ces dernières années. Pourtant, quand il s'agit de science et de technologie, la plupart des gens imaginent encore une Chine arriérée, pleine d'usines fumantes et d'entreprises sidérurgiques.

C'était peut-être encore le cas il y a quelques années, mais ce ne l'est plus aujourd'hui. Sans faire de bruit - mais à une vitesse stupéfiante -, la Chine est en effet devenue la deuxième puissance mondiale en termes de production scientifique. Aujourd'hui devancée uniquement par les Etats-Unis, la Chine devrait les dépasser avant 2020 si elle continue à ce rythme-là. La face du monde en sera alors changée. L'Amérique du Nord et l'Europe devront renoncer à leur domination historique pour s'adapter au nouvel ordre mondial. En Occident, l'essentiel de la re­cherche s'effectue dans des structures où les budgets, le personnel et la production restent relativement constants d'une année sur l'autre. En Europe et en Amérique du Nord, les dépenses de recherche sont supérieures au taux de croissance économique depuis 1945, mais seulement de peu.

En Chine, la situation est différente. D'après les chiffres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), la dépense intérieure brute de recherche et développement (DIRD) de la Chine a augmenté de 18 % par an entre 1995 et 2006. La Chine se place donc troisième en termes de DIRD, juste derrière les Etats-Unis et le Japon, et de­vant tous les pays européens.

Les universités chinoises affichent un rythme de croissance similaire. De seulement 5 millions il y a neuf ans, la population étudiante chinoise serait aujourd'hui passée à 25 millions. La Chine compte désormais 1 700 établissements d'enseignement supérieur, dont une centaine font partie du Projet 211 [qui sélectionne les établissements d'excellence sur le territoire]. Ces écoles d'élite forment quatre cinquièmes des doctorants, deux tiers des étudiants diplômés et un tiers des étudiants non diplômés. Elles abritent 96 % des principaux laboratoires du pays et absorbent 70 % des finan­cements destinés à la recherche.

120 000 articles publiés l'an dernier

Quel est l'impact de ces récentes évolutions ? J'ai récemment rédigé un rapport sur les points forts de la recherche chinoise et sur ses collaborations internationales. Les données de cette étude proviennent de l'agence Thomson Reuters, qui recense les articles scientifiques parus dans 10 500 revues à travers le monde.

En 1998, la Chine avait publié près de 20 000 articles scientifiques. En 2006, ce chiffre se montait à 83 000, soit plus que les grandes nations scientifiques que sont le Japon, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Avec 120 000 articles publiés l'année dernière, la Chine arrivait en deuxième position, derrière les Etats-Unis (350 000 pu­blications). Il suffit de comparer ces chiffres avec ceux des Etats-Unis, où la production scientifique a crû de 30 % au cours des dix dernières années, pour comprendre que la recherche en Chine ne suit pas des règles con­ventionnelles.

La Chine s'est également appliquée à diversifier ses domaines de recherche. En règle générale, les pays industrialisés se concentrent sur les sciences physiques et l'ingénierie, ce que fait précisément la Chine actuellement. Néanmoins, les chercheurs chinois délaissent de plus en plus ce modèle traditionnel pour explorer de nouveaux domaines. La Chine produit 10 % des publications mondiales en ingénierie, en informatique et en sciences de la Terre (sciences minérales comprises). Elle représente également 20 % des publications sur les matériaux et se trouve à la pointe de la recherche dans les composites, les céramiques et les polymères, tout en étant fortement présente dans la cristallographie et l'ingénierie métallurgique. Les conséquences de cette tendance sur le développement industriel de la Chine sont loin d'être négligeables, à l'heure où le pays passe d'une économie in­dustrielle à une économie du savoir, fondée sur les travaux de ses propres instituts de recherche.

La recherche agronomique progresse également, à mesure que la Chine adopte une approche plus scientifique de son vaste marché alimentaire. Enfin, la biologie moléculaire et les domaines connexes, qui faisaient jusqu'alors figure de parents pauvres de la recherche, avec seulement 5 % des ressources, sont subitement devenus des centres d'investissement. Si le développement des sciences biomédicales est aussi fulgurant que le reste de la recherche, la Chine jouera un rôle considérable dans la recherche génétique.

Un avertissement s'impose toutefois : la quantité ne fait pas la qualité. Mesurer la production de littérature scientifique de la Chine est certes utile et instructif, mais cela ne nous dit rien de la qualité de ces travaux. Pour en juger, on peut se référer aux collaborations existant entre la Chine et d'autres pays réputés pour le haut niveau de leur recherche. Là encore, le constat est révélateur. Les chercheurs chinois ne travaillent pas dans l'isolement. Le nombre de collaborations internationales est en progression constante. Près de 9 % des articles publiés par des instituts chinois sont corédigés par des auteurs américains. La corédaction avec des chercheurs japonais et britanniques est elle aussi en augmentation. Les collaborations avec les scientifiques sud-coréens et singapouriens ont presque triplé entre 2004 et 2008, et les partenariats avec l'Australie ont également progressé. Autant de signes qui indiquent peut-être l'émergence d'un réseau scientifique Asie-Pacifique.

Quelles conclusions tirer de ces évolutions ? Tout d'abord, l'émergence de la Chine en tant que grande puissance scientifique ne fait plus aucun doute. Il ne s'agit plus de savoir si ce pays deviendra un jour la première nation scientifique du monde, mais quand. Plus important encore, la multiplication des collaborations régionales montre que les nations d'Asie et du Pacifique ne s'appuient plus sur les partenariats avec les institutions européennes et américaines, traditionnellement à la pointe de la recherche mondiale.

Désormais, pour l'Europe et les Etats-Unis, la question n'est plus de savoir s'ils doivent collaborer avec la Chine, mais d'arriver à convaincre les chercheurs chinois de travailler avec eux.

Les regards se tournent vers l'Extrême-Orient

Die Presse

(Vienne) - Il faut tout un arsenal de superlatifs pour exprimer le développement du Zhongguo, l'empire du Milieu. Cela n'a rien d'étonnant. Après tout, la montée en puissance de l'Asie - et en particulier de la Chine - est le phénomène le plus important et le plus fascinant de notre temps. Cette évolution n'est pourtant rien d'autre qu'un lent retour à la norme historique. La domination économique euro-atlantique va reculer avec l'émergence de l'ère Pacifique. En 1500, la force économique mondiale était clairement divisée entre quatre zones : l'Inde, la Chine, l'Europe de l'Ouest et le reste du monde.

Dans son excellent ouvrage Richesse et pauvreté des nations [éd. Albin Michel, 2000], David S. Landes explique comment l'Europe éclairée n'a cessé de distancer la Chine autocratique ou les théocraties de la péninsule Arabique dans la compétition mondiale. En 1525, l'empereur Jiajing, onzième de la dynastie Ming, a pris une décision lourde de conséquences en faisant brûler tous les vaisseaux de haute mer, faisant entrer le pays dans une ère d'isolement. A cette époque, les Portugais avaient déjà leurs premiers comptoirs en Chine, et les empires européens se préparaient à soumettre la moitié du monde.

La domination de l'Europe et de ses anciennes colonies d'Amérique du Nord prévaut encore aujourd'hui. L'Union européenne (UE) occupe le premier rang des économies mondiales, les Etats-Unis le deuxième, la Chine, le Japon et l'Inde, les places suivantes. Le nivellement de plus en plus rapide de la supériorité technologique de l'Occident et le développement démographique de l'Asie sont les deux facteurs principaux de l'ouverture de l'Asie au monde occidental. Ces considérations ont dû tourner dans la tête des membres de la délégation autrichienne qui s'est rendue en Chine au mois de janvier avec le président Heinz Fischer. Les élites économiques du pays rencontrent en Chine des perspectives de croissance qu'ils ne peuvent plus escompter sur leurs anciens marchés porteurs - tels la Hongrie et la Roumanie -, aujourd'hui secoués par la crise. Les industriels regardent toujours vers l'est, mais il s'agit désormais d'aller de 60° à 100° de longitude plus loin qu'auparavant.

L'Europe doit s'intéresser davantage à la Chine. Les Etats-Unis parlent avec des trémolos dans la voix d'un futur G2, d'une relation particulière informelle avec l'empire du Milieu. Les stratèges américains ne devraient pas s'emballer ainsi : le principal partenaire commercial de la Chine, ce n'est pas les Etats-Unis, c'est l'Europe. Le slogan "Chimerica", une invention du brillant historien de Harvard Niall Ferguson, exprimant que les deux géants économiques (la Chine et l'Amérique) sont voués l'un à l'autre pour le meilleur et pour le pire, est donc absurde. S'il fallait créer un néologisme, il faudrait parler d'"UEchine".

L'UE aura la vie plus facile que les Etats-Unis dans ses relations avec la Chine au cours des décennies à venir. Contrairement aux Etats-Unis, l'Europe n'est pas une puissance du Pacifique. Le chevauchement des zones d'influence américaine et chinoise débouchera obligatoirement sur des conflits. En outre, contrairement aux Américains, les Européens ont vécu dans leur chair les processus de transformation des sociétés postcommunistes, ou les connaissent de très près.

Et, même si les diplomates chinois considèrent en privé qu'une future "social-démocratisation" de la Chine relève du fantasme, le modèle européen de l'Etat-providence offre aux têtes pensantes de la Commission centrale de planification de Pékin des références autrement plus intéressantes que le capitalisme du laisser-faire d'inspiration atlantique, qui vient de connaître - avec Lehman Brothers - un fiasco retentissant. A cela s'ajoute que, pour parler des droits de l'homme avec la Chine, des Etats qui se passent d'injections mortelles et de Guantanamo sont tout simplement plus crédibles.

Un modèle à suivre pour les Arabes

Al Hayat

(Londres) - Quiconque surfe sur la Toile, regarde la télévision ou lit les journaux n'aura pas manqué d'être impressionné par les festivités grandioses qui ont marqué le soixantième anniversaire de la République populaire de Chine, le 1er octobre 2009. Dans l'histoire moderne, la naissance d'un Etat aura rarement été célébrée avec un tel faste, une si grande fierté. "La Chine s'est levée !" avait déclaré Mao Tsé-toung en 1949, après avoir enfin vaincu ses opposants nationalistes. Sa formule triomphante a fait le tour du monde. Aujourd'hui, après soixante ans au pouvoir, les dirigeants du Parti communiste chinois pourraient légitimement surenchérir : "La Chine marche la tête haute". Le monde arabe a-t-il des enseignements à tirer de ce "miracle chinois" ? Doit-il s'en ­inspirer ?

Le plus extraordinaire succès de la Chine est peut-être d'avoir limité sa population à 1,3 milliard d'habitants par la politique de l'enfant unique. Seul un Etat fort, capable d'imposer une discipline stricte à ses citoyens, peut mettre en oeuvre des mesures aussi draconiennes. Le contraste avec le monde arabe surpeuplé est frappant. En 1952, quand Gamal Abdel Nasser et son mouvement des officiers libres s'emparèrent du pouvoir, les Egyptiens n'étaient que 18 millions. Aujourd'hui, ils sont 80 millions. Il suffit de visiter Le Caire pour ressentir le poids de la surpopulation. Résultat, l'Egypte doit aujourd'hui importer 50 % des céréales dont elle a besoin. L'Egypte n'est pas le seul pays à souffrir de la surpopulation. C'est le cas aussi de l'Algérie, de la Syrie, du Yémen, et en fait de la quasi-totalité des pays arabes.

Le capitalisme clientéliste étouffe Les talents des arabes

La Chine n'est pas une démocratie au sens où l'entend l'Occident. Elle reste dominée par un système de parti unique. Le président Hu Jintao, le plus haut dirigeant du pays, est secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et commandant en chef des forces armées. Pour autant, la Chine n'est plus un pays communiste à proprement parler. Elle s'est ralliée à l'économie de marché il y a trente ans, à la fin des années 1970, autorisant ses citoyens à travailler où bon leur semble, à se rendre à l'étranger, à acheter des biens immobiliers, à créer des entreprises, à faire du commerce, à gagner de l'argent par tous les moyens - et à le dépenser comme ils l'entendent. Pour la première fois, en 2009, le marché automobile chinois a dépassé celui des Etats-Unis. On dit souvent que cette nation moderne n'a pas d'idéologie. De fait, si elle a une idéologie, c'est le nationalisme. A cet égard, le monde arabe est-il comparable avec la Chine ? Comme elle, de nombreux pays arabes connaissent un régime de parti unique. Mais les talents et les énergies des Arabes ont-ils été libérés ? Loin de là. Ils sont trop souvent étouffés par des réglementations tatillonnes, par des bureaucrates incompétents ou corrompus et par un capitalisme clientéliste qui permet aux proches du pouvoir de s'enrichir tandis que les autres survivent tant bien que mal. La Chine moderne se targue d'avoir arraché quelque 400 millions de gens à la pauvreté en l'espace d'une génération. Le PCC peut à juste titre s'en prévaloir devant son peuple : c'est sa principale source de légitimité.

Après la mort de Mao, en 1976, Deng Xiaoping a libéré l'extraordinaire potentiel de la Chine en mettant fin à l'économie dirigée. Dans un article publié par l'International Herald Tribune, Zhang Weiwei - qui fut l'interprète de Deng Xiaoping au milieu des années 1980 - affirme que la priorité donnée par la Chine à l'éradication de la pauvreté explique son extraordinaire succès. De tous les droits de l'homme, fait-il valoir, le droit à la prospérité est le plus important, il doit passer avant les droits civils et politiques sur lesquels l'Occident tend à se focaliser. Comment le monde arabe soutient-il la comparaison dans ce domaine ? Trop souvent, les dirigeants arabes n'ont que mépris pour les droits civils et politiques de leurs concitoyens mais, hélas, ils ne se sont pas pour autant souciés d'éradiquer la pauvreté. Bien qu'autoritaire, voire dictatorial, le Parti communiste a gouverné la Chine de manière compétente, saine et efficace. Un gigantesque plan de relance a été mis en place afin de surmonter l'actuelle crise économique et financière mondiale. Tandis que de nombreux pays s'enfonçaient dans la crise, la Chine affichait une croissance de 8,5 % en 2009 - après avoir enregistré une moyenne de 10 % par an au cours des deux dernières décennies.

Une redistribution des cartes au niveau géopolitique

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les réserves de devises étrangères de la Chine sont les plus importantes de la planète. Ses grandes entreprises cherchent à accéder aux matières premières et aux sources d'énergie du monde entier, notamment au Venezuela, au Brésil, en Russie, au Kazakhstan, en Iran, en Irak, en Angola et au Nigeria. En outre, la Chine a depuis longtemps développé son enseignement supérieur et devient un acteur majeur de la révolution des technologies de l'information. A la pointe de la recherche sur les énergies renouvelables, en particulier l'énergie solaire, elle est aujourd'hui le plus grand producteur mondial de panneaux solaires.

La Chine devrait prochainement ravir au Japon la place de deuxième économie de la planète derrière les Etats-Unis. Elle est déjà bien partie pour dépasser le Japon en tant que premier producteur automobile. Une société chinoise, BYD, numéro un mondial des véhicules électriques, prévoit de lancer cette année des berlines entièrement électriques aux Etats-Unis. En passant des moteurs à combustion interne aux véhicules à énergies alternatives, la Chine tente un grand coup : sauter une génération technologique. Sur le plan économique, la Chine pourrait bel et bien dépasser les Etats-Unis d'ici dix ans. Avec la crise actuelle, le centre de gravité de la puissance économique s'est d'ores et déjà déplacé de l'Occident vers l'Asie. Du point de vue géopolitique, on assiste à une redistribution des cartes.

Certes, tout n'est pas rose dans cet immense pays. Certains doutent que la croissance chinoise ne s'inscrive dans la durée et craignent qu'avec la contraction des marchés d'exportation, le pays ne se retrouve avec une dangereuse surcapacité de production d'acier, de ciment et de produits chimiques. Des millions d'ouvriers intermittents ont perdu leur emploi et ont dû retourner à la campagne. L'appareil du Parti communiste n'est absolument pas exempt de corruption ni de trafic d'influence. Les émeutes des Ouïgours du Xinjiang, province la plus occidentale du pays, ont terni l'image d'harmonie culturelle que les autorités chinoises voulaient avoir aux yeux du monde. Les Ouïgours, groupe ethnique turcophone, se plaignent amèrement de ne pas profiter des ressources de leur province et d'avoir été réduits depuis les dernières décennies au rang de citoyens de seconde zone sur leur propre territoire à cause de la forte immigration de Hans. Malgré ces ombres au tableau, le monde arabe a beaucoup à retenir de la remarquable expérience chinoise, et notamment la priorité accordée à ­l'éradication de la pauvreté. Mais ce n'est pas le seul aspect du miracle chinois qui mérite l'admiration. La discipline, l'éducation, le travail, l'unité, la fierté d'appartenir à une vieille civilisation, l'adoption enthousiaste des technologies mo­dernes, la bonne gouvernance et surtout le nationalisme : voilà des vertus et des valeurs que les Arabes feraient bien d'adopter.

Chávez préfère Pékin au FMI

The Wall Street Journal

(New York) - DE CARACAS

La Chine est devenue une source de capitaux très courtisée par le Venezuela en ces temps de récession, d'autant qu'elle représente un substitut opportun au FMI, que le président Chávez continue à éviter. Hugo Chávez, un socialiste qui entretient depuis longtemps des liens étroits avec la Chine, a annoncé fin février que le Venezuela avait déjà dépensé la majeure partie des 8 milliards de dollars [5,9 milliards d'euros] prêtés récemment par Pékin et qu'il était si satisfait de l'arrangement qu'il lui avait demandé une rallonge. "La Chine a versé 8 milliards de dollars et nous envisageons de faire grimper la somme à presque 20 milliards, a-t-il précisé. Nous avons fait une proposition, et elle est étudiée en ce moment même."

L'arrangement consiste à échanger du pétrole contre des crédits. Il bénéficie au Venezuela, qui place l'argent dans un fonds utilisé principalement pour financer des projets d'infrastructures pourvoyeuses d'emplois à un moment où l'économie du pays, fondée sur le pétrole, subit l'impact de la baisse du prix du brut. Le PIB du Venezuela a chuté de 3,3 % en 2009. Le contrat profite également à la Chine, qui possède un confortable matelas de dollars grâce à l'énorme quantité d'obligations d'Etat américaines qu'elle détient mais a de plus en plus besoin de pétrole pour alimenter sa vigoureuse croissance économique.

Après les records atteints par le prix de l'or noir mi-2008, la Chine a accéléré la modification de ses raffineries d'Etat pour pouvoir transformer davantage de brut lourd, vendu moins cher, comme celui que produit le Venezuela. Les représentants de la Banque chinoise d'import-export et de la Banque chinoise de développement n'ont pu donner aucune information sur cette opération. Ces deux banques sont impliquées dans quatre accords de type "crédit contre pétrole" signés par la Chine depuis le début de l'année dernière (avec la Russie, le ­Brésil, le Kazakhstan et le Venezuela). Hugo Chávez profite également du prêt de la Chine pour faire un pied de nez au FMI et autres prêteurs internationaux basés à Washington, qu'il accuse d'avoir imposé un "néolibéralisme sauvage" à l'Amérique latine et à d'autres régions du monde en échange de prêts à bas taux d'intérêt. "Lorsque le Venezuela recevait de l'argent du FMI, le FMI venait chez nous, imposait ses règles et ses conditions, et allait parfois même jusqu'à démanteler nos lois, a déclaré le président vénézuélien. En revanche, avec la Chine, nous sommes sur un pied d'égalité." Alors que d'autres pays d'Amérique latine ont sollicité l'aide du FMI au cours des dix dernières années, Chávez ne l'a jamais fait en onze ans de pouvoir, même lorsque l'économie vénézuélienne allait très mal. Les prêts du FMI sont souvent accordés à condition que les gouvernements bénéficiaires entreprennent des réformes macroéconomiques, comme la privatisation des entreprises publiques non rentables, la réduction des dépenses publiques et le respect d'objectifs budgétaires stricts. Or, pour Boris Segura, économiste à la Royal Bank of Scotland, il est peu probable que le président vénézuélien et le FMI parviennent à s'entendre un jour sur les termes d'un prêt. Toujours selon lui, le contrat passé avec la Chine est avantageux à la fois pour Hugo Chávez et pour Pékin, parce qu'il satisfait le besoin de la Chine en ressources naturelles et n'est lié à aucun programme politique.

En 2007, Hugo Chávez avait claqué la porte du FMI, mettant en cause sa politique de privatisations et de contrôle budgétaire. Il l'accusait d'être responsable de la pauvreté qui continue à sévir dans son pays et dans toute la région. Mais le Venezuela fait théoriquement toujours partie du FMI parce qu'un retrait officiel aurait entraîné une restructuration de sa dette souveraine et l'aurait obligé à rembourser intégralement les obligataires. Maintenant qu'il s'est arrangé avec la Chine, il est peu probable que le président vénézuélien renvoie le Venezuela dans les bras du FMI. Deux des prédécesseurs de Hugo Chávez, Carlos Andrés Pérez et Rafael Caldera, avaient juré pendant leur campagne présidentielle qu'ils ne composeraient pas avec le FMI, mais, une fois arrivés au pouvoir, ils avaient fait volte-face lorsqu'ils s'étaient retrouvés confrontés à des difficultés économiques.

L'accord avec les Chinois apporte au Venezuela un bénéfice supplémentaire : l'augmentation des livraisons de pétrole à la Chine. Cela pourrait aider Hugo Chávez à réduire ses ventes aux Etats-Unis, qui est actuellement le principal acheteur de brut vénézuélien. Le Venezuela dit fournir environ 400 000 barils de pétrole par jour à la Chine et espère passer bientôt à 1 million de barils par jour. Cependant, les informations relatives à la Chine pour 2009 montrent que les importations de brut et de fioul vénézuéliens étaient légèrement inférieures à 200 000 barils par jour. Selon des estimations indépendantes, le Venezuela produirait à l'heure actuelle environ 2,3 millions de barils de brut par jour.

Le mandarin, la langue de demain

Le Soir d'Algérie

(Alger) - Ils ont du courage à revendre et une grande envie de réussir. Retraités, cadres d'entreprise, journalistes ou étudiants, ces écoliers d'un genre nouveau jonglent avec leur emploi du temps pour dégager quelques heures par semaine afin d'apprendre le chinois, devenu incontournable en Algérie tant les sociétés asiatiques sont nombreuses. Flairant le bon filon, des écoles de formation privées ont ajouté à leur offre l'apprentissage du mandarin, au même titre que le français, l'anglais ou l'espagnol. Et les cours ne dé­semplissent pas...

A l'Universal School, rue Hassiba-Ben-Bouali, quatre séances hebdomadaires ont été aménagées pour ac­cueillir les nouveaux inscrits. Le coût de la formation est de 4 000 dinars [environ 40 euros] pour vingt-quatre heu­res de cours, à raison de deux séances de deux heures par semaine. Ali Yun, 67 ans, retraité et diplômé de l'Université des langues et des cultures de Pékin, est chargé des cours. "Je suis originaire d'une province proche de Shanghai, déclare le professeur. Je suis arrivé en Algérie en 2002." Ali Yun parle couramment français, anglais et russe.

Face à lui, une dizaine d'élèves sont sagement assis derrière leur pupitre. Ils sont très attentifs et l'ambiance est studieuse. Après avoir distribué des polycopiés, Ali Yun commence son cours. Pour tous ces inconditionnels, le chinois n'est pas du tout un casse-tête ! Comme au bon vieux temps des classes de primaire, la méthode employée consiste à faire répéter mot à mot les différents termes. La leçon du jour porte sur la famille. On dit : "yéyé" pour grand-père, "shushu" pour oncle. Oncle maternel ? Là, ça se complique un peu : "jiufu jiujiu"...

Yacine, 20 ans, prépare un diplôme en tourisme et hôtellerie. "Je veux travailler comme interprète entre les fournisseurs algériens et les entreprises chinoises de bâtiment, explique-t-il. C'est un excellent ­créneau." Meriem, 19 ans, étudiante en journalisme, a un autre objectif. "Mon rêve est de devenir reporter dans le domaine du documentaire. Je voudrais parler un maximum de langues pour me débrouiller lors de mes voyages", explique-t-elle. Les plus âgés ne sont pas les moins motivés. "Une offre d'embauche s'est présentée à moi : alors, je me suis jeté à l'eau", déclare Abdelmajid, 66 ans. Fodil, journaliste et chercheur, ne cache pas son enthousiasme. "Je suis convaincu que la Chine sera un jour le centre du monde, assure-t-il. Le seul pays capable de relever des défis économiques, technologiques..."

"WENMING" : CIVILISATION

Courrier international

(Paris) - Séparément, les caractères wen et ming signifient respectivement "culture" et "lumière". Le terme wenming, qui signifie "civilisation", n'est donc pas une traduction du concept occidental. Il se réfère à une ambition des anciens sages chinois, qui, en tant que centre civilisationnel, rêvaient d'éclairer les périphéries dès l'âge préconfucéen. Plus tard, on qualifiera cette attitude de sino-centrisme. Elle est pourtant comparable à son pendant, l'universalisme français.

Ce rêve a longtemps semblé bien enterré. L'intrusion des Occidentaux en Chine a transformé l'empire du Milieu en périphérie et éclipsé la vieille civilisation. Celle-ci a essayé, pendant près de deux siècles, en imitant l'Occident, de briller à nouveau, mais en vain. A en croire certains médias, il semblerait que la culture chinoise, émettrice de civilisation, soit revenue sur le devant de la scène grâce à sa grande puissance économique, à son solide parti-Etat et à des instituts Confucius présents dans le monde entier.

Pourtant, les difficultés ne manquent pas. La première est sans doute la résistance de l'Occident, avec ses intérêts, ses valeurs, ses systèmes et ses vieux réflexes. La deuxième est une contradiction venant de l'intérieur. Tandis que les gouvernants, les nouveaux conquérants, cherchent à s'imposer dans un monde globalisé, les gouvernés, démunis et éveillés, ne boudent ni les modes ni les valeurs occidentales. La troisième difficulté n'en est pas moins anodine : quels sont les messages de cette ancienne-nouvelle civilisation ? La tradition confucéenne ? Elle a longtemps été bannie par le pouvoir en place dès son origine. Le communisme ? Il est occidental et n'est plus à la mode dans nos sociétés. Un syncrétisme capitalo-communo-confucianiste ? Il n'a pas encore vu le jour.

Comment Pékin s'impose à la planète

Newsweek

(New York) - A l'époque où le président Obama vivait en Indonésie, à la fin des années 1960, la Chine représentait, au nord de l'archipel, une présence menaçante où les cadres communistes complotaient afin d'exporter leur révolution dans le reste de l'Asie. La Jakarta que visitera le président américain au mois de juin a adopté une attitude totalement différente vis-à-vis de la République populaire. Les entreprises locales concluent des marchés en yuans, la monnaie chinoise, plutôt qu'en dollars. Si Jakarta se retrouve dans une situation financière difficile, comme cela lui est arrivé en 1997, elle pourra désormais solliciter de l'aide auprès d'un fonds de réserve régional de 120 milliards de dollars [88,5 milliards d'euros], une version asiatique du Fonds monétaire international (FMI) lancée fin mars, financée en partie par les énormes réserves de devises étrangères détenues par la Chine. Les questions économiques et politiques essentielles qui se posent à l'Asie ne se résolvent plus à l'occasion de visites comme celle que doit y effectuer Obama - c'est-à-dire entre un pays asiatique particulier et les Etats-Unis -, mais lors de sommets qui ne réunissent que la Chine, le Japon, la Corée du Sud et les pays du Sud-Est asiatique. "La Chine a joué un rôle moteur dans cette réorientation d'une vision de la région Asie-Pacifique centrée avant tout sur les Etats-Unis et le Japon vers une vision de la région Asie orientale dont la Chine occupe le centre", observe Martin Jacques, auteur de When China Rules the World [Quand la Chine domine le monde, Penguin Press, 2009 ; inédit en français].

C'est légitime. Chacun comprend que la Chine doit avoir son mot à dire sur ce qui se passe dans son voisinage. Mais ce que la plupart des gens n'ont pas encore remarqué, c'est que Pékin veut également édicter - ou à tout le moins contribuer à mettre en place - de nouvelles règles de conduite pour le monde. "La Chine veut désormais être installée en tête de table", souligne Cheng Li, directeur de recherches au John L. Thornton China Center de la Brookings Institution. "Ses dirigeants estiment qu'ils doivent figurer parmi les prin­cipaux architectes des institutions mondiales." On oublie trop souvent que les grands organismes internationaux tels que le FMI ou la Banque mondiale n'ont été créés que par une poignée de pays, sous les auspices des Etats-Unis. Aussi, un oeil sur les intérêts nationaux chinois et l'autre sur les critiques intérieures accusant le régime de "dorloter" l'Occident, Pékin a entrepris d'accentuer sa pression pour remodeler les systèmes internationaux afin de les rendre plus favorables à la Chine. Les Chinois sont beaucoup plus disposés à participer à des regroupements qu'ils ont contribué à mettre en place, comme l'Organisation de coopération de Shanghai, une sorte d'OTAN d'Asie centrale dans laquelle la Chine (comme l'indique clairement l'intitulé de l'organisation) occupe la première place. Considérée avec beaucoup de condescendance lors de sa création, en 1996, elle est devenue un des piliers de la sécurité régionale.

De la même façon, les efforts déployés par Pékin pour faire du yuan un concurrent du dollar enregistrent aujourd'hui de timides mais incontestables progrès. Au cours des derniers mois, la Chine a signé des accords d'échange de monnaie d'un montant de 100 milliards de dollars avec six pays, parmi lesquels l'Argentine, l'Indonésie et la Corée du Sud. Le yuan est devenu une devise commerciale officielle entre les pays d'Asie du Sud-Est et deux provinces chinoises [le Yunnan et le Guangxi] frontalières de ceux-ci. "Le yuan servira prochainement de monnaie d'échange avec l'Inde, le Pakistan, la Russie, le Japon et la Corée du Sud", pronostique Gu Xiaosong, directeur de l'Institut d'études asiatiques de Nanning [capitale de la province du Guangxi]. Ces pays pourront à terme utiliser la monnaie chinoise pour conclure des marchés entre eux. Et, dans une initiative plus discrète mais tout aussi importante sur la voie de la transformation du yuan en une devise internationale librement convertible, Pékin a émis à Hong Kong, vers la fin de l'année dernière, sa première offre d'obligations internationales.

Faire du yuan une monnaie d'échange

Pékin contribue de manière tout aussi discrète à refaçonner Internet. On a pu voir récemment la presse faire ses gros titres de la prise de bec entre Pékin et Google, qui, à la suite du piratage de ses réseaux à partir d'ordinateurs chinois, a annoncé qu'il refusait désormais de se plier aux dispositifs de censure locaux. Mais, par ailleurs, les Chinois travaillent d'arrache-pied à la mise au point de la prochaine génération de normes Internet - ce que l'on appelle l'IPv6 (Internet Protocol version 6). On estime que la version actuelle, IPv4, devrait avoir épuisé dès l'année prochaine le nombre d'adresses IP utilisables. Pékin est impatient de voir arriver ce moment, car la grande majorité des adresses - il en existait 1,4 milliard en août 2007 - sont allées à des entreprises ou à des particuliers américains, alors que la Chine n'en a obtenu que 125 millions - soit cinquante fois moins par tête d'habitant. L'IPv6 permettra la mise en place de plusieurs milliers de milliards de nouvelles adresses utilisables aussi bien pour des sites Internet que pour des dispositifs domotiques intelligents ou des applications militaires - et Pékin entend bien obtenir sa part. La Chine pourrait également bénéficier d'une nouvelle occasion de renforcer son contrôle de la Toile. Contrairement à l'architecture actuelle, l'IPv6 permet de lier les adresses à des ordinateurs ou à des appareils mobiles spécifiques, ce qui augmentera la capacité du régime à surveiller ses internautes.

Toutes ces initiatives sont motivées par un étrange mélange d'assurance, de fierté et d'insécurité. D'un côté la Chine, qui sait que ses capacités technologiques s'améliorent de façon spectaculaire, entrevoit la possibilité de dépasser l'Occident dans certains domaines. "On a toujours eu, en Chine et dans beaucoup d'autres pays émergents, le sentiment que l'Occident était l'endroit où il fallait être - et puis, brusquement, cela n'est plus vrai", remarque Ruchir Sharma, responsable des marchés émergents chez Morgan Stanley Investment Management. De nombreux scientifiques et chercheurs chinois rentrent au pays pour y mener des recherches originales dans des laboratoires généreusement financés. D'un autre côté, les Chinois craignent, s'ils ne prennent pas part à la définition des nouvelles normes, que celles-ci soient manipulées par leurs adversaires. Le régime a par exemple tenté d'empêcher les ordinateurs gouvernementaux de fonctionner sous logiciels Microsoft, en grande partie parce que les Chinois soupçonnent ces logiciels de comporter une "porte dérobée" permettant au gouvernement américain de lancer des cyberattaques contre la Chine.

Participer à la définition des normes technologiques

En réalité, si la Chine ne cherche pas nécessairement à dominer le monde, tous ses actes visent à promouvoir les intérêts chinois. Les programmes spatiaux de Pékin sont tenus hautement secrets, mais ils ont connu ces dernières années une forte accélération avec le premier test réussi d'une arme antisatellite en 2007, suivi cette année par le lancement d'un missile sol-air exoatmosphérique (dont certains experts occidentaux estiment qu'il pourrait être un nouveau tueur de satellites). Début mars, la Chine a confirmé son intention de lancer en octobre prochain une seconde sonde lunaire automatique, et d'effectuer en 2011 le lancement d'un module spatial qui procéderait au premier exercice d'arrimage chinois, les deux projets préludant à un premier alunissage en 2013. Alors que les Etats-Unis opèrent des coupes claires dans le budget de la NASA, la Chine est le seul pays à réaliser des investissements majeurs dans l'exploration spatiale. Pourquoi cette volonté d'aller sur la Lune ? Il est clair que Pékin attend plus de gains matériels de ses aventures spatiales que n'en ont obtenu les Américains. Certains scientifiques chinois pensent que c'est dans l'espace que l'on trouvera de nouvelles sources d'énergie potentielles comme l'hélium 3, ainsi que des gisements inexploités de minerais rares dont est gourmande la production industrielle terrestre ; Ye Zili, de la Société chinoise de science spatiale, aurait déclaré que lorsque les Chinois atteindront la Lune ils ne se contenteront pas de "ramasser une poignée de cailloux" - une petite pique faisant allusion aux missions américaines du passé. La réglementation concernant l'exploitation des ressources spatiales n'a pas encore été établie. Au moment où elle le sera, la Chine veut que ses intérêts soient représentés. Le même principe explique l'élan qui s'est emparé du pays pour dépasser le reste du monde : faire en sorte que la Chine ait son mot à dire dans la définition des futures normes et règles mondiales. La Chine sait qu'elle peut plus facilement progresser sur l'échelle économique, dans des technologies nouvelles et encore en développement, que dans les industries traditionnelles, et c'est ce qui explique pourquoi le pays, premier pollueur mondial, est également devenu celui qui soutient le plus activement les technologies vertes. Grâce à des subventions publiques massives, le pays est désormais leader mondial en matière de matériel de production d'énergie solaire et éolienne, et devrait rapidement fixer les normes de la prochaine génération de véhicules à énergie propre. Les batteries fabriquées par l'entreprise chinoise BYD équipent déjà au moins un quart du marché mondial des téléphones mobiles ; aujourd'hui, ce fabricant de batteries est en tête de la compétition mondiale pour adapter ces batteries aux automobiles, le plus gros obstacle qui reste sur le chemin de la création d'un marché viable pour les voitures électriques et hybrides.

A la recherche de l'identité chinoise

Grâce aux contrats publics, la Chine possède la plus grande flotte de véhicules à énergie propre du monde. Plus la technologie évoluera, plus l'on peut parier que Pékin favorisera la diffusion des voitures propres sur le marché intérieur (qui, l'année dernière, a surpassé le marché américain en nombre de véhicules vendus). Et si les Chinois devaient réussir à développer non seulement l'étalon-or technologique du secteur automobile mais aussi un marché d'une taille suffisante, ils pourraient espérer dominer l'avenir du secteur automobile mondial.

Quand ce jour viendra, il sera intéressant de voir si les Chinois - et le monde - continueront à soutenir la règle actuelle de libre-échange et de compétition mondiale ouverte qui leur a permis d'atteindre leurs niveaux actuels de paix et de prospérité. On constate déjà des changements inquiétants dans la façon dont la Chine traite les entreprises étrangères. Il y a dix ans, Pékin faisait de son mieux pour attirer les investisseurs étrangers. Aujourd'hui, les règles ont changé. Les nouvelles dispositions juridiques sur les fusions rendent plus difficile l'acquisition d'entreprises chinoises par des entreprises étrangères. En décembre 2009, la chambre de commerce américaine et 33 autres organismes commerciaux du monde entier ont adressé à Pékin un courrier protestant contre une législation dont ils estiment qu'elle exclut de fait les entreprises étrangères des lucratifs marchés publics chinois. L'idée selon laquelle la Chine, une fois enrichie, finirait par ressembler aux Etats-Unis, ou du moins qu'elle serait mieux disposée à l'égard de l'agenda américain, se révèle erronée. La Chine ne s'est jamais transformée sous l'influence de l'extérieur, et il est peu probable que cela arrive. Parmi les Chinois ordinaires, la fierté à l'égard des perspectives de leur pays se mêle à un sentiment diffus que tout est encore trop nouveau et trop précaire. Le rythme étourdissant du changement a un effet particulièrement spectaculaire sur les jeunes Chinois, les incitant à se replier sur eux-mêmes et les rendant plus nationalistes - une tendance dont des experts comme John Lee, de l'Institut Hudson, pensent que c'est un des facteurs expliquant la nouvelle politique plus agressive de la Chine dans les domaines de la sécurité, des échanges et des affaires étrangères. Il est probable que cette agressivité ne fera qu'augmenter jusqu'en 2012, date à laquelle sera remaniée la direction du Parti communiste chinois. D'ici là, les responsables "perdront des points s'ils sont perçus comme trop coulants dans les négociations avec les Etats-Unis", estime Cheng Li, de la Brookings Institution.

Il est clair que la Chine est toujours à la recherche de son identité : est-elle un pays riche ou un pays pauvre, une grande puissance qui devrait jouer un rôle de premier plan dans les questions mondiales ou une puissance en développement qui devrait d'abord s'occuper d'elle-même ? Cette ambiguïté devrait conduire à de nouvelles déconvenues semblables à celle de la conférence sur le climat de décembre 2009 à Copenhague, où Pékin a fait capoter un possible accord en refusant de s'engager sur une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. C'est la crainte des Chinois de se trouver pris au piège dressé par l'Occident qui a entraîné l'attitude surprenante de la délégation chinoise à Copenhague. Personne ne peut savoir aujourd'hui à quoi ressemblera notre monde lorsque la Chine aura contribué à le remodeler. Une chose est sûre : le chemin qui conduira à ce monde-là promet d'être cahoteux.

BO XILAI - Une sorte de phénomène Obama

Financial Times

(Londres) - Lors de la session de l'Assemblée nationale populaire (ANP), son nom était sur toutes les lèvres. Son arrivée avec quarante minutes de retard au Grand Palais du peuple a mis les équipes de télévision en ébullition. L'imposant dispositif médiatique réservé habituellement aux stars de cinéma avait été déployé.

Bo Xilai, secrétaire du Parti communiste de Chongqing - la quatrième agglomération du pays, avec 31 millions d'habitants -, fait depuis six mois les gros titres des journaux avec sa croisade contre le crime organisé. Car cette campagne féroce a déjà entraîné plus de 3 000 arrestations - notamment celle de l'ancien chef de la police de la ville - et suscité un peu partout des appels à étendre la chasse aux criminels et aux corrompus au reste du pays. M. Bo cultive également une certaine nostalgie de l'ère Mao - censée moins corrompue. C'est ainsi qu'il inonde les utilisateurs de téléphones portables de Chongqing de "textos rouges" faits de citations du Grand Timonier.

M. Bo a réussi à mettre au jour les liens entre les cadres locaux du Parti et les milieux mafieux de la province. Mais sa croisade dépasse les frontières de celle-ci. Ses coups d'éclat pourraient en effet lancer la campagne de 2012 pour le renouvellement du Comité permanent du Bureau politique - une période de fortes turbulences puisque 7 de ses 9 membres doivent être remplacés.

"Il veut faire un retour triomphal à Pékin", dit Huang Jing, professeur à l'Université nationale de Singapour. Alors que le président, Hu Jintao, incarne un certain type d'homme politique (compétent, austère et parfaitement à l'aise avec la bureaucratie interne du Parti), M. Bo (un virtuose charismatique de la communication) défriche, lui, un nouveau territoire, celui du populisme à la chinoise.

La popularité de M. Bo pourrait favoriser l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants chinois moins rigides et plus ou­verts, mais aussi plus imprévisibles. Et peut-être plus nationalistes, redoutent certains.

A 60 ans, M. Bo est depuis longtemps une étoile montante de la politique. Fils d'un héros de la révolution, Bo Yibo, il a grandi à Pékin et a toujours occupé des postes au sein du Parti et du gouvernement. Dans les années 1990, il est passé sur le devant de la scène politique en devenant maire de Dalian, puis gouverneur de la province du Liaoning, dans le nord-est du pays, avant de partir pour Pékin, où il a été nommé ministre du Commerce en 2004. C'est lui qui mena les âpres négociations avec Peter Mandelson, alors commissaire européen au Commerce.

Pourtant, en 2007, il voit deux hommes de sa génération promus au Comité permanent : Xi Jinping, qui devrait remplacer Hu Jintao en 2012, et Li Keqiang, donné comme futur Premier ministre. M. Bo est nommé secrétaire du Parti dans la municipalité en pleine expansion de Chongqing, une promotion considérée par certains comme une mise à l'écart, mais il s'est employé à en faire un tremplin politique.

Selon certains observateurs, le populisme de M. Bo risque de faire des émules au sein du Comité permanent en cas de ralentissement économique. "Ce serait très tentant de jouer sur le ressentiment et le nationalisme, explique Huang Jing, et ce serait très dangereux, non seulement pour la Chine, mais aussi pour le reste du monde."

Pour toutes ces raisons, le destin politique de M. Bo ne laisse personne indifférent. Selon le Pr Bo Zhiyue, de l'Université nationale de Singapour, Bo Xilai jouit d'une telle popularité que les 3 000 délégués du Parti seraient prêts à l'élire président sur-le-champ. "C'est un véritable phénomène, comme le phénomène Obama en 2008. Aujourd'hui, en Chine, tout le monde ne parle que de Bo Xilai", dit-il. Les décisions de ce genre sont toujours prises par une toute petite élite triée sur le volet, mais les analystes politiques estiment qu'il a de grandes chances d'accéder au Comité permanent, peut-être aux questions de sécurité.

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