Les conflits du travail se multiplient dans le sud de la Chine, où les jeunes ouvriers ne semblent plus prêts à accepter les salaires et les conditions de vie de leurs aînés. Paralysé longtemps par une grève, Honda a dû lâcher du lest hieret le géant taïwanais Foxconn peine à stopper une vague de suicides parmi ses employés.
Après d'intenses tractations et l'implication des autorités locales, le géant automobile Honda a fini, hier par lâcher du lest en consentant une augmentation de salaire de 24 % aux employés de son usine de pièces détachées. Depuis le 17 mai dernier, la grande majorité des 1.800 employés de cette usine du constructeur produisant, à Foshan, des systèmes de transmission refusaient de reprendre le travail tant qu'ils n'auraient pas obtenu d'importantes hausses de salaires. Honda a indiqué être prêt à augmenter de 366 yuans par mois (44 euros) les employés, ce qui porterait leur salaire à 1.910 yuans (228 euros), a expliqué Akemi Ando, porte-parole du groupe à Tokyo. « En conséquence, le travail a partiellement repris dans l'usine de pièces détachées », a-t-elle déclaré. La production ne devait pas reprendre avant aujourd'hui, une centaine de salariés s'opposant encore à cette proposition, hier.
L'exceptionnelle dureté de ce conflit alarme les groupes étrangers qui se sont déjà inquiétés, la semaine dernière, de la violence de la crise frappant les ateliers du groupe taïwanais Foxconn situés à Shenzhen dans la province du Guangdong. Depuis quelques semaines, une dizaine de salariés du plus grand sous-traitant électronique du monde, qui assemble des appareils pour Apple, Sony, Nokia ou encore Dell, se sont donné la mort sur leur lieu de travail. Accusé de surexploiter ses équipes, le groupe a été contraint d'annoncer une hausse de salaire. « Il est évident que le pays va de plus en plus être confronté à des problèmes similaires », prévient Chen Xin, un chercheur de l'Académie des sciences sociales.
Main-d'oeuvre bon marché
Les entreprises étrangères et chinoises qui profitent depuis plus de vingt ans, dans le pays, de l'abondance d'une main-d'oeuvre bon marché et docile redoutent soudain de devoir faire face aux exigences d'une génération de travailleurs beaucoup moins malléables. En privé, certains réfléchiraient même à un début de redéploiement de leurs activités dans des pays d'Asie du Sud-Est où la gestion des ressources humaines serait réputée moins tendue. « C'est un problème social de fond. Les nouveaux ouvriers qui sont nés dans les années 1980 et 1990 n'ont rien à voir avec leurs aînés qui avaient vécu dans une Chine totalement différente », analyse Chen Xin. Alors que leurs parents qui avaient connu la dureté du travail à la campagne et les drames économiques du maoïsme voyaient dans l'obtention d'un emploi à l'usine une chance inespérée d'amasser un petit pécule avant de revenir s'installer au village, la nouvelle génération d'enfants uniques rejette les projets de retour à la campagne et croit pouvoir vivre ses « rêves » de fortune à la ville. « Le rappel à la réalité est difficile pour eux. Ils accumulent les frustrations », souffle l'expert. Avec des salaires mensuels compris entre 900 yuans et 2.000 yuans, ils gagnent effectivement bien mieux leurs vies que leurs proches restés dans les provinces rurales mais ne peuvent s'aventurer en dehors de leurs usines-dortoirs où le coût de la vie leur est inaccessible et ils vivent de plus en plus mal les longues heures de travail à la chaîne. Plus individualistes, mieux connectés entre eux et plus au fait des autres mouvements sociaux dans les régions industrielles du pays, ces jeunes travailleurs sont plus à même de manifester leur mécontentement.
« Harmonie sociale »
Face à cette poussée des revendications, le gouvernement chinois a semblé, ces derniers jours, un peu décontenancé. Les autorités locales qui n'hésitent habituellement pas à laisser leurs forces de l'ordre « catalyser » les conflits du travail ont ainsi laissé la grève s'installer dans les usines de Honda et, même un temps, permis aux médias locaux d'évoquer la crise. « Le pouvoir se retrouve face à un terrible dilemme », résume Chen Xin. « D'un côté, il dit vouloir encourager la hausse du niveau de vie des ouvriers pour les inciter à consommer plus. De l'autre, il ne peut pas remettre en cause le statut "d'usine du monde" du pays. La Chine a toujours besoin de ces emplois bas de gamme mal rémunérés pour absorber la masse de nouveaux travailleurs arrivant chaque année de ses campagnes. Le pouvoir ne peut pas risquer de perdre les investisseurs étrangers en supportant une trop forte hausse des salaires. »
Pour tenter de réduire les tensions sociales, le Parti communiste multiplie pour l'instant les appels à « l'harmonie sociale » et rappelle qu'il compte mettre en place un système de protection sociale et organiser une meilleure redistribution des richesses. « Mais tout cela va prendre des années », souffle Chen Xin.
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