TRISTAN GASTON BRETON
Epouse et successeur du magnat de Hong Kong Teddy Wang, Nina Wang fut l'une des femmes les plus riches d'Asie. L'une des plus excentriques aussi.
Sexe, argent, kidnapping, meurtre, le tout sur fond de batailles à répétition autour de fabuleux héritages_ La vie de Nina Wang, morte d'un cancer en 2007 à l'âge de soixante-neuf ans, est tout sauf un long fleuve tranquille. Trois ans après sa disparition, les querelles autour de son héritage se poursuivent de plus belle et continuent de passionner Hong Kong et, au-delà, une grande partie de l'Asie. Il faut dire que l'enjeu est de taille. A sa mort, la milliardaire laisse en effet une fortune colossale estimée entre 6 et 13 milliards de dollars américains héritée de son défunt mari, Teddy Wang, le fondateur de l'empire industriel et immobilier Chinachem. A qui ira ce fabuleux magot ? A la fondation caritative Chinachem, gérée par ses frères et soeurs, ou à son conseiller personnel en feng shui, le richissime homme d'affaires Tony Chan Chun ? En 2004, ayant appris qu'elle avait un cancer, Nina avait en effet eu recours aux services de cet adepte de l'art chinois de l'harmonie des énergies et qui, selon certains, était devenu son amant. Ses conseils lui avaient coûté la bagatelle_ de 2 milliards de dollars hongkongais ! En 2007, Tony Chan s'était empressé de revendiquer l'héritage, s'appuyant sur un testament signé en 2006 par la milliardaire, prétendant même, pour appuyer ses droits, avoir eu un enfant avec elle. Las ! Au même moment, la fondation Chinachem excipait d'un autre testament, datant de 2002 celui-là, dans lequel Nina lui léguait toute sa fortune, accusant au passage la partie adverse de n'avoir présenté, en fait de testament, qu'un document sans valeur utilisé lors d'une « cérémonie de prolongation de vie » ! En février 2010, au terme d'une bataille juridique épique, la justice de Hong Kong a reconnu les droits de la fondation et débouté Tony Chan de ses prétentions. Mais celui-ci a déjà fait savoir qu'il avait l'intention de faire appel de cette décision. Le cas Wang n'a certainement pas fini de faire la une de la presse_
Surprenante destinée que celle de cette femme réputée pour son look invraisemblable - à la fin de sa vie encore, elle arborait deux nattes de jeune fille et des mini-jupes aux couleurs criardes -, qui aimait se faire appeler « petite douceur » et dont la silhouette est aujourd'hui immortalisée par une statue à la mode Betty Boop située devant le siège de Chinachem. Célèbre pour ses tenues excentriques, la milliardaire l'était également pour son mode de vie frugal. Nina Wang ne s'habillait en effet que dans des magasins discount, ne quittait jamais un restaurant ou une réception sans emporter avec elle un « doggy bag » et, plutôt que des tables luxueuses, avouait un faible pour les McDonald's, son enseigne de restauration préférée. Son seul signe extérieur de richesse était ces cinquante gardes du corps qui la suivaient en permanence et qui sécurisaient le moindre de ses déplacements. Il faut dire que Nina Wang vivait dans la terreur de subir le même sort que son mari Teddy, kidnappé à deux reprises et finalement assassiné en 1990. L'affaire, en son temps, avait provoqué une première bataille autour de l'héritage du magnat. Une bataille, elle aussi, pleine de rebondissements_
Dans l'ombre de son mari
Tout commence à Shanghai en septembre 1937. C'est là que Nina Wang - de son vrai nom Kung Yu Sum -vient au monde, dans une famille de commerçants prospères. La grande ville de la côte est de la Chine est alors l'objet de furieux combats entre les troupes chinoises de Tchang Kaï-Chek et l'armée japonaise qui finit par l'investir totalement à la fin du mois de novembre. Appartenant à la bonne bourgeoisie, la famille de Kung Yu Sum ne semble pas trop souffrir de l'occupation japonaise. Scolarisée normalement, la jeune fille se lie d'amitié, dès son plus jeune âge, avec Teddy Wang. Né en 1933, celui-ci est le fils de Wang Din-Shin, un important homme d'affaires qui, dans les années 1930, a créé une entreprise de peintures. Les deux jeunes gens se promettent-ils dès cette époque l'un à l'autre, et ce malgré l'hostilité manifeste du père de Teddy ? C'est bien possible. En 1949 en tout cas, lorsque, chassées par l'arrivée de Mao au pouvoir, la famille Wang décide de s'installer dans la colonie britannique de Hong Kong, Teddy n'a rien de plus pressé que de faire venir celle qu'il considère déjà comme sa fiancée. C'est là qu'elle adopte le prénom anglo-saxon de Nina. C'est là également, en 1955, qu'elle épouse Teddy. Wang Din-Shin ne parviendra jamais à aimer sa bru, beaucoup trop entêtée à ses yeux et qui a surtout le tort de ne pas savoir faire la cuisine. Longtemps installée chez ses beaux-parents, comme il se doit dans une famille chinoise traditionnelle, Nina Wang subira de leur part une variété infinie d'avanies et d'humiliations, d'autant plus fortes qu'elle ne donnera aucun enfant à son mari. Cette haine réciproque ressortira plus tard_
Des années durant, Nina Wang se contente de vivre dans l'ombre de son mari. Un homme brillant, au demeurant, et qui, en quelques années, fait de l'entreprise paternelle de peintures un géant industriel de la chimie et de la pharmacie rebaptisé « Chinachem ». Rude en affaires, parfois même brutal, Teddy Wang ne se contente pas de fabriquer des produits chimiques et pharmaceutiques. Dans les années 1960 et 1970, il édifie également un véritable empire immobilier à Hong Kong. Dans l'affaire, Teddy Wang profite à fond du contexte, il est vrai particulièrement favorable. Attirés par la croissance phénoménale de la cité côtière, devenue l'un des grands centres mondiaux de l'industrie du plastique, les habitants des Nouveaux Territoires - ces terres passées sous contrôle britannique et qui représentent plus de 80 % de la surface de Hong Kong -, des paysans pour l'essentiel, revendent en effet en masse les certificats fonciers leur permettant d'exploiter les terres agricoles pour aller travailler dans les usines de la cité. La terre : une ressource précieuse dans une colonie dont 40 % du territoire seulement est constructible. Teddy Wang les rachète systématiquement, et souvent pour une somme bien en dessous de leur valeur réelle. Sur les terres ainsi libérées, il édifie des villes nouvelles complètes destinées à accueillir une population en plein essor. Cette « culbute » fait de lui l'un des hommes les plus riches de Hong Kong. Mais aussi l'un des plus détestés_ Ses programmes immobiliers ont en effet dérangé bien des intérêts, notamment du côté du crime organisé, les fameuses triades, très prospères dans la colonie britannique. Au lendemain de sa disparition, certains commentateurs affirmeront d'ailleurs que ceux qui ne souhaitaient pas sa mort se comptaient sur les doigts d'une seule main_ Teddy Wang, pour l'heure, n'en a cure. Vivant modestement - il est, lui aussi, un adepte des « doggy bags » -et refusant tout garde du corps, il se concentre sur ses affaires, laissant son épouse Nina vaquer à ses occupations.
Une bataille épique
C'est alors que sa vie bascule. Nous sommes le 12 avril 1983. Ce jour-là, alors qu'ils circulent tous deux à bord de sa Mercedes - l'un des rares signes extérieurs de richesse que se permet Teddy -, le couple est attaqué par des hommes armés. Extirpé brutalement du véhicule, le patron de Chinachem est enlevé sous les yeux de son épouse. Il restera séquestré huit jours, enchaîné sur un lit, jusqu'à ce que Nina, contactée par les ravisseurs - membres d'une triade -accepte de verser une rançon de 33 millions de dollars hongkongais. On retrouvera Teddy Wang vivant dans un réfrigérateur cadenassé abandonné au bord d'une route. L'alerte a été sévère. Le magnat, pourtant, ne change rien à ses habitudes, refusant toujours de se faire escorter et conduisant lui-même sa voiture. Cette inconscience lui sera fatale. Le 10 avril 1990, alors qu'il quitte le très select Jockey Club de Hong Kong dont il est membre, Teddy Wang est à nouveau kidnappé. Dans les jours suivants, Nina est sommée de payer une rançon de 60 millions de dollars. Un premier « acompte » de 34 millions de dollars est versé sur-le-champ. Puis plus rien. Les ravisseurs ne se manifesteront plus et on ne reverra jamais Teddy Wang. Des années plus tard, un membre d'une triade arrêté par la police prétendra que le magnat, retenu à bord d'une jonque, a été jeté dans la mer de Chine, enveloppé dans un filet de pêche lesté de pierres_ Ce n'est qu'en 1999 que Teddy Wang sera déclaré officiellement mort. Des rumeurs récurrentes prétendent qu'il est toujours vivant. Nina elle-même le croyait_
Commence alors, pour cette femme restée jusque-là très discrète, une bataille épique dont l'enjeu est l'héritage du magnat, estimé à 130 millions de dollars. D'un côté, le père du disparu, le vieux Wang Din-Shin, alors âgé de quatre-vingt-dix ans mais qui n'a rien perdu de ses préventions contre sa belle-fille. A l'appui de ses dires, un testament datant de 1968 dans lequel son fil lui attribue toute sa fortune. Une décision que Teddy avait prise, selon lui, lorsqu'il avait appris que sa femme entretenait une liaison avec un simple magasinier et qui remplaçait un premier testament de 1960, prévoyant un partage à parts égales de sa fortune entre son père et son épouse_ De l'autre, Nina Wang, bien décidée à faire valoir ses droits et qui, pour ce faire, présente un deuxième testament dans lequel son mari lui cède l'intégralité de sa fortune ! L'affaire, totalement embrouillée, défie la chronique économico-mondaine de Hong Kong, le vieillard accusant sa bru d'être une menteuse doublée d'une catin, celle-ci accusant en retour son beau-père d'être un opiomane ! La justice ne démêlera cet invraisemblable écheveau qu'en 2002. Cette année-là, Nina Wang est en effet accusée d'avoir forgé un faux testament et est déboutée de sa demande. Pas pour longtemps ! En 2005, le jugement est cassé en appel et la veuve Wang lavée de tout soupçon. A cette date, elle est reconnue comme la seule héritière de Teddy Wang, empochant dans l'affaire une somme qui, entre-temps, a atteint les deux milliards de dollars.
Sa bonne humeur intrigue
Ce patrimoine, « petite douceur » saura largement le faire fructifier. Car ce bout de femme haute d'à peine de 1,50 mètre, n'a pas attendu les décisions de justice pour s'installer dans le fauteuil laissé vacant par son défunt mari, et cela sans que, curieusement, le vieux Wang Din-Shin n'y trouve à redire ! Se faisant appeler « Chairlady » - l'équivalent féminin de « Chairman », ou président du conseil d'administration -, Nina a pris fermement en main les destinées de Chinachem, diversifiant le groupe à marche forcée dans les biotechnologies, le transport maritime, le cinéma, la télévision et les jeux vidéo tout en poursuivant les très juteuses affaires immobilières inaugurées jadis par son mari. Pragmatique, Nina a su également nouer d'utiles relations avec le Parti communiste chinois - elle fut même, un temps, déléguée au Congrès national du peuple -s'assurant ainsi des lendemains tranquilles lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997. Titulaire d'un passeport britannique, elle voyage beaucoup, à Londres bien sûr, où elle achète une belle maison, mais aussi à New York, où on la voit faire la queue comme tout le monde pour acheter son Big Mac, ses mini jupes en cuir ou son billet de cinéma, invariablement suivie de son armée de gardes du corps. Généreuse, elle donne beaucoup d'argent : 7 millions de dollars à l'université de Harvard, 50.000 dollars pour la sauvegarde de l'environnement au Canada, plusieurs millions de dollars à la fondation qu'elle a créée au sein du groupe Chinachem_ Excentrique et superstitieuse, elle n'a peur de rien, allant jusqu'à regretter de n'avoir jamais reçu le prix Nobel de la paix, elle qui, selon ses dires, n'aurait pas ménagé ses efforts pour réconcilier la République de Chine avec le dalaï-lama ! Son allure, son dynamisme, sa modestie et son éternelle bonne humeur amusent autant qu'ils intriguent. Etonnant rappel de sa propre histoire, la bataille juridique qui se livre aujourd'hui autour de son héritage pourrait bien réserver de nouveaux rebondissements !
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1 commentaires:
Merci pour cette info.
peu connue mais grande dame finalement.
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