lundi 25 octobre 2010

La Chine renoue avec la tradition de la philanthropie - Dorian Malovic

La Croix, no. 38801 - Economie et entreprises, lundi, 25 octobre 2010, p. 13

Les nouveaux milliardaires chinois d'aujourd'hui prennent la relève de leurs ancêtres philanthropes déjà très actifs aux temps des empereurs

Le dîner de milliardaires chinois à Pékin le 29 septembre dernier à l'invitation de Warren Buffet et Bill Gates (PHOTO), riches philanthropes américains, aura fait couler beaucoup d'encre et engorgé les sites Internet chinois. Venir en Chine où les grandes fortunes se multiplient depuis vingt ans afin de promouvoir la philanthropie semblait une évidence pour ces deux généreux Américains. Beaucoup moins pour les nouveaux riches chinois qui se demandaient combien ils allaient devoir payer pour ce dîner. Et surtout pourquoi se tenait-il ? Leur image controversée dans l'opinion publique a d'ailleurs poussé les organisateurs à ne pas dévoiler les noms des convives. Peu a filtré publiquement à l'issue de la rencontre.

Les Chinois enrichis devaient-ils attendre cet événement pour apprendre ce qu'est la philanthropie, la générosité, la charité ? « La philanthropie ne date pas d'hier en Chine », tient à rappeler Marie-Claire Bergère, historienne de la Chine contemporaine : « Il y a une longue tradition solidement ancrée dans la société civile même si elle apparaît moins codifiée et structurée que dans l'environnement américain d'aujourd'hui. » Difficile de marquer dans l'histoire chinoise un « début » de la philanthropie. Dès le Xe siècle, au moment où le bouddhisme a pris son essor en Chine, la philanthropie a pris une place très importante. « De nombreux dignitaires laïcs de religion bouddhiste vont contribuer au bien-être de la société », explique Benoît Vermander, sinologue jésuite, professeur de philosophie à l'université Fudan de Shanghaï : « À cette époque, il s'agit avant tout de faire face aux désastres naturels comme les famines, les épidémies ou les inondations. Il est du rôle de ces riches laïcs de partager leur fortune pour le bien commun et ils se structuraient en organisations philanthropiques. »

Si la foi bouddhiste motive cette générosité, surtout exprimée dans des situations d'urgence, on trouvera un peu plus tard un mouvement davantage fondé sur la morale confucéenne, centrée sur les lignages patrimoniaux. « Des clans ont constitué des fonds familiaux qui se transmettent de génération en génération, ajoute Benoît Vermander, ils financent des écoles, des institutions privées mais aussi des grands travaux d'infrastructure qui profitent à la société entière, comme la construction de digues. La situation n'a guère varié au fil des âges. C'est donc bien une expression traditionnelle de la société civile chinoise. »

Qui se prolongera d'ailleurs après l'empire sous la République à partir de 1911. Spécialiste du capitalisme chinois, Marie-Claire Bergère confirme l'émergence de grandes entreprises chinoises et un âge d'or industriel au lendemain de la proclamation de la République. « Les grandes fortunes de l'époque vont faire preuve d'un grand activisme social pour construire des temples, des cimetières, des hôpitaux. Cette philanthropie prend un caractère plus collectif que dans le passé. À la fois pour être bien vu par l'État et aussi se donner un statut social aux yeux de la population. Les catastrophes naturelles récurrentes ont accentué encore cette aide privée et avec la guerre contre les Japonais, des oeuvres caritatives sont venues en aide aux réfugiés, blessés, victimes. » À l'instar de la très active association philanthropique de Shanghaï. « Cette tradition est solidement ancrée dans l'esprit chinois, explique encore Marie-Claire Bergère. Elle a bien sûr disparu pendant l'ère maoïste après 1949, pour renaître à nouveau au début des années 1990, lorsque de nouvelles grandes fortunes ont vu le jour avec le développement économique du pays. »

Si aujourd'hui les actes philanthropiques ne sautent pas aux yeux des observateurs, plus fascinés par les grandes fortunes chinoises qui affichent voitures de luxe et résidences qui n'ont rien à envier aux stars de Holly wood, il existe pourtant un renouveau de cette pratique dans les provinces. Des réseaux de PME se sont constitués et participent à des oeuvres sociales ou de bienfaisance, parfois avec la collaboration de l'État : santé, écoles, handicapés ou universités. Plus proche de nous, le tremblement de terre au Sichuan en 2008 a suscité une vague de générosité nationale en Chine, du particulier aux stars du cinéma, du sport ou des affaires. Si pour Marie-Claire Bergère, les riches chinois n'attendent pas Bill Gates pour savoir comment être généreux, Benoît Vermander défend l'idée que les fortunes chinoises pourront s'inspirer du « savoir-faire » étranger pour « s'intégrer dans des modes de philanthropie plus sophistiqués aujourd'hui ».

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