Courrier international, no. 1046 - Les opinions, jeudi, 18 novembre 2010, p. 14
South China Morning Post
(Hong Kong) - L'instauration du salaire minimum à Hong Kong a fait les gros titres de la presse internationale. En juillet [au moment où la loi a été votée], The Economist a parlé du "paradis perdu de Milton". Plus récemment, l'économiste Joseph Stiglitz a dit tout le bien qu'il pensait de cette décision [après la fixation, le 11 novembre, du minimum horaire à 28 dollars de Hong Kong, soit 2,65 euros]. Les économistes ont longtemps débattu du pour et du contre d'une telle mesure, mais ni le catastrophisme des uns ni l'angélisme des autres ne résistent à l'épreuve des faits. Aujourd'hui, un consensus se dégage : dans la mesure où il constitue un facteur économique parmi d'autres, le salaire minimum ne va ni accroître le chômage, ni arracher miraculeusement les pauvres à la pauvreté.
Cela étant, inutile de se voiler la face. Il y a aura des gagnants et des perdants, mais pas autant que voudraient nous le faire croire les deux camps. Les travailleurs du bas de l'échelle, dont les salaires sont proches du salaire minimum [ils peuvent descendre jusqu'à 1,50 euro], seront un peu mieux rémunérés qu'auparavant. Mais cette mesure fera disparaître des emplois et exclura définitivement certaines personnes du marché du travail. Pour ce qui est des entreprises aux faibles marges bénéficiaires, très dépendantes de la main-d'oeuvre, ce sont les consommateurs qui paieront la note, du moins en partie. Certaines de ces entreprises devront mettre la clé sous la porte, tandis que d'autres, plus rentables, s'adapteront. Pour dire les choses simplement, cela sera moins dramatique que ne le prédisent certains, mais pas aussi formidable que l'affirment d'autres - la plupart des politiques entrant dans cette seconde catégorie.
Car, enfin, quel est le sens profond de l'instauration d'un salaire minimum ? Fixer un plancher réglementaire au-dessous duquel les salaires ne peuvent pas descendre est un choix de société, même si certains le font à contrecoeur. Par ce choix, nous définissons ce que nous considérons comme étant juste, et une partie de nos valeurs cessent d'être axées sur le profit. De ce point de vue, établir un salaire minimum ne représente pas une nouveauté absolue pour Hong Kong. Ainsi, nous savons bien que les lois contre les discriminations liées au genre ou à la situation familiale, en vigueur depuis plus d'une décennie, existent parce que les temps ont changé. Nous n'acceptons plus notamment que les employeurs pratiquent la discrimination contre les femmes ou contre ceux, quel que soit leur sexe, qui jouent le rôle de soignants familiaux, sous prétexte que ces personnes ne peuvent pas maximiser leur productivité et, par là même, les profits de l'entreprise. La vie familiale n'est pas une marchandise, mais dans le Hong Kong d'aujourd'hui nous estimons qu'il est juste d'en avoir une. Nous continuerons à redéfinir nos valeurs, à mettre en balance nos coûts non monétaires et nos gains monétaires, à repenser ce que nous considérons comme juste, à ajuster nos priorités et à exiger des protections de base. Sans aucun doute, le débat actuel sur une législation de la concurrence et l'examen à venir d'un projet d'instauration d'une durée légale du temps de travail vont dans le même sens.
Alice Wu
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