mardi 18 janvier 2011

CINÉMA - La révolution chinoise, selon Jia Zhang-ke

Le Monde - Culture, mercredi, 19 janvier 2011, p. 20

Agé de 41 ans, le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke est l'auteur de neuf longs-métrages, fictions et documentaires, qui forment ensemble une grande fresque de la Chine d'aujourd'hui. Xiao-wu, artisan pickpocket, l'a révélé, en 1997, au Festival de Berlin. Still Life lui a valu le Lion d'or au Festival de Venise en 2006. Aujourd'hui sort en salles I Wish I Knew.

Pourquoi cet intérêt pour Shanghaï ?

Je suis né en 1970. Lorsque j'étais à l'université, j'ai pris conscience que l'histoire, telle qu'elle m'a été transmise par mes professeurs, par les livres, était totalement falsifiée. La période la plus transformée est celle qui va de 1911 à 1949, de la révolution (qui a mis fin au système impérial et donné naissance à la République de Chine) à la libération (qui a donné naissance à la République populaire de Chine). C'est l'époque où entraient dans l'histoire les deux acteurs principaux des Partis communiste et nationaliste, Mao Zedong et Tchang Kaï-chek.

Dans les années 1990, il y a eu des nouveaux travaux d'historiens sur cette période. J'ai commencé à lire beaucoup de documents et à combler le manque induit par ce que cachaient les autorités. Personnellement, je n'ai aucun rapport avec Shanghaï. Mais il m'est apparu que, par rapport à l'histoire de mon pays, on ne pouvait pas faire abstraction de cette ville.

Cette volonté de travailler l'histoire dans votre cinéma est-elle nouvelle ?

Quand j'étais à l'université, j'avais déjà ce désir. Mais je fais partie des gens qui ont vécu la deuxième période de réformes et d'ouverture, pour qui 1989, avec les événements de Tiananmen, a été une date très importante. Cela m'a obligé à me confronter à la réalité du présent, comme en témoignent mes films, depuis Xiao Wu jusqu'à 24 City. Je les ai faits rapidement, à l'instinct. Aujourd'hui, en tant que Chinois, il y a une urgence à se confronter au passé que la Chine n'encourage pas. Lorsque j'ai tourné I Wish I Knew en 2010, l'Exposition universelle était en préparation. Elle symbolisait la réussite économique, portait un message tourné vers l'avenir. Je voulais apporter un son de cloche différent, proposer de se tourner vers le passé pour pouvoir aborder l'avenir. Deux périodes m'intéressaient surtout, 1949 et la Révolution culturelle. Deux moments où les Chinois choisissaient soit de rester dans la Chine rouge, soit de s'exiler à Taïwan ou à Hongkong. Par le biais de la ville, je voulais aborder ces deux périodes et montrer, dans un même film, des gens des deux côtés.

Pourquoi avoir adopté un traitement documentaire ?

Fiction et documentaire peuvent servir ce travail de mémoire. Je m'apprête à tourner une fiction d'époque dont l'action se passe entre 1899 et 1911. Le film met en scène les débuts de l'ère moderne en Chine, la rupture totale qui a eu lieu à cette époque entre l'ancien et le moderne. C'est le premier volet d'une trilogie, à laquelle je pense depuis longtemps, et pour laquelle je me sens armé, aujourd'hui. Les deux autres portent respectivement sur les années 1927 et 1949. Celui que je m'apprête à tourner montre le point de vue de Fenyang, ma ville natale : j'ai écrit le scénario en m'inspirant des annales de la ville. Le film, centré sur 1927, comme La Condition humaine, d'André Malraux, part de Shanghaï. Je voudrais mettre en scène la haine entre le Parti communiste et les nationalistes qui a fait suite à une période de collaboration, et dont est née une haine entre Chinois qui a encore des répercussions aujourd'hui. Le projet de 1949 sera raconté depuis Hongkong.

Ce qui relie les trois, c'est la révolution. C'est un thème qui a influencé l'humanité entière, et qui me passionne. Je voudrais comprendre ce qu'il recouvrait au début et ce qu'il en reste aujourd'hui. J'ai envie de rompre avec la façon officielle d'expliquer la révolution que le PC s'est appropriée, de mettre en avant mon point de vue d'artiste et de réalisateur de cinéma.

Où en êtes-vous aujourd'hui dans cette trilogie ?

Sur les trois scénarios, j'en ai écrit un et demi. Je vais commencer à tourner juste après le Nouvel An chinois.

Redoutez-vous d'avoir des ennuis avec la censure ?

Pour le premier volet, je ne pense pas : c'est de l'histoire ancienne. Pour les deux autres, le sujet est plus sensible. Mais rien ne m'arrêtera. Je vais me lancer et résoudre les difficultés à mesure qu'elles se présentent. Si j'ai un souci pour tourner le film sur 1927 sur le continent, j'irai à Taïwan, à Hongkong ou en Asie du Sud-Est. Si le film sur 1949 ne peut être diffusé dans le circuit officiel en Chine, eh bien tant pis. Quel que soit l'endroit, le film aura toujours son existence et son vécu.

Considérez-vous la longue période de documentaires dont vous sortez comme une période préparatoire à cette trilogie ?

Non. Ces films étaient la réponse à une impossibilité qu'il y a en Chine à dialoguer sur l'histoire, et à la grande souffrance que cela m'a causée. Les gens ne croient tout simplement pas à l'existence de certains événements passés. Comme certains témoins de ces événements étaient encore vivants, je suis allé les filmer. C'est un travail qu'il fallait faire pour que le dialogue entre les êtres puisse à nouveau être possible. Mais je suis assez heureux, je dois dire, de retourner à la fiction.

Propos recueillis par Isabelle Regnier

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1 commentaires:

BillG a dit…

A noter une sortie de livre qui touche à Jia Zhang-ke ou plutôt à sa femme/actrice, zhao Tao, à savoir "les actrices chinoises" - Du shanghai des années 30 à aujourd'hui portraits de femmmes exceptionnelles chez les éditions écrans.

Je viens de le feuilleter à la librairie Phénix, un très bel ouvrage, un vrai coup de coeur culturel tant les photos sont les témoins d'une évolution du cinéma chinois.