Les Echos, no. 20911 - Industrie, mercredi, 13 avril 2011, p. 17
Les bonnes intentions affichées par Renault lundi soir, après un conseil d'administration extraordinaire, n'ont pas suffi à apaiser les critiques sur la mauvaise gestion de la pseudo-affaire d'espionnage. La présidente du Medef, Laurence Parisot, considère que les décisions prises lundi ne « suffisent pas » pour clarifier « ce qu'il s'est passé ». Les syndicats, de leur côté, auraient souhaité une remise en cause plus profonde de la part du PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. « L'exclusion d'un certain nombre de dirigeants, à l'exception de Carlos Ghosn, écarté de toute responsabilité par les deux rapports d'audit, ne changera rien, s'il n'y a pas une refonte structurelle de la fonction et du rôle du management de l'entreprise à tous les niveaux », a réagi la CGT Renault dans un communiqué. Quant aux investisseurs, ils ont sanctionné le titre par une baisse de 3 %. Dans un entretien exclusif aux « Echos », Carlos Ghosn répond à ces critiques et revient sur les évolutions possibles de l'Alliance Renault-Nissan.
Pourquoi avoir accepté lundi la démission de ses fonctions de Patrick Pélata, le directeur général de Renault, alors que vous la refusiez à la mi-mars ?
Lors du conseil d'administration du 14 mars, il avait été décidé de mener un double audit, aussi bien interne qu'externe, avant de tirer des conclusions. Depuis, les audits ont été dressés et présentés par le Comité des comptes et de l'audit au conseil d'administration. Compte tenu des dysfonctionnements opérationnels mis en lumière, Patrick Pélata s'est senti responsable et a jugé nécessaire de me demander d'être relevé de ses fonctions. Ce que, cette fois, j'ai accepté. C'est la suite logique d'un processus engagé mi-mars et dont il fallait tirer toutes les conséquences.
Quelle première leçon tirez-vous de cette affaire ?
Elle a fait apparaître qu'un cons-tructeur automobile comme Renault ne peut pas focaliser toute son attention et son énergie simplement sur son coeur de métier. Les fonctions d'ingénierie, de planning, de design sont certes essentielles. Mais les fonctions support, la sécurité, les ressources humaines, le juridique, l'informatique... le sont aussi. Marie-Françoise Damesin, directrice des ressources humaines, va entrer au comité exécutif. Et Mouna Sepehri, qui travaillait à mes côtés au sein de l'Alliance, est nommée direc-teur délégué à la présidence de Renault. A l'exclusion des fonctions de contrôle et d'audit, elle aura en charge toutes les fonctions de support, y compris la direction juridique. Moins morcelées, les fonctions support seront ainsi mieux respectées dans l'entreprise.
Patrick Pélata n'est-il pas qu'une simple victime expiatoire ?
Patrick Pélata abandonnera son titre chez Renault une fois passée une période de transition, mais il restera actif au sein de l'Alliance Renault-Nissan. C'est un manager de très grande qualité qui m'a accompagné tout au long de ma carrière chez Renault. Je lui trouverai au sein de l'Alliance des responsabilités à la hauteur de ses compétences. Mais le conseil a été au-delà de la fonction de Patrick Pélata. Le Comité des comptes et de l'audit a également fait de nombreuses recommandations que je vais largement mettre en pratique.
Qui va remplacer Patrick Pélata à la direction opérationnelle de Renault ?
Il est trop tôt pour donner un nom, mais faites-nous confiance, Renault dispose d'un plan de succession pour tous ses dirigeants. L'intérim ne se prolongera pas, mais nous allons prendre quelques semaines pour examiner différentes candidatures. Et je pense qu'il y a en interne plusieurs candidats possibles.
A titre personnel n'avez-vous pas envisagé de démissionner pendant cette crise ?
Rien dans l'audit ne me met en cause. Moi qui ai connu beaucoup de crises j'ai la conviction que, pendant une crise, un capitaine n'abandonne pas le navire. Il s'assure que le bateau traverse la tempête. Pendant la crise, je n'ai pas pensé à moi mais à l'entreprise. Aujourd'hui, je suis convaincu d'une chose : Renault peut faire de cette crise une opportunité. Nous rebondirons en étant plus forts.
Avez-vous le sentiment d'avoir toujours le soutien de vos actionnaires ?
Dans la vie d'une entreprise, les actionnaires peuvent se prononcer à deux occasions. Au cours des conseils d'administration et des assemblées générales. Cette semaine, j'ai écouté mon conseil qui m'a renouvelé son total soutien. L'Etat actionnaire, qui est représenté au sein du conseil d'administration, a également été clair, il souhaite que nous tirions les leçons de cette crise. C'est ce que nous allons faire. Nous allons nommer très vite auprès de la présidence un directeur de l'éthique, une personnalité extérieure, incontestable, qui présidera le comité d'éthique, et nous créerons une direction de l'audit et de la maîtrise des risques.
Vous sentez-vous tout de même une part de responsabilité ?
Un patron est toujours responsable, mais on ne peut pas m'adresser tous les reproches à la fois. On me disait que j'en faisais trop en étant à la fois chez Renault, chez Nissan et à la tête de l'Alliance. J'ai délégué la direction opérationnelle pour me concentrer chez Nissan comme chez Renault sur la stratégie, les synergies dans le respect des identités des deux constructeurs, le choix des hommes et la création d'une culture commune. Sans délégation de pouvoir, une entreprise ne peut pas fonctionner. Il faut apprendre à faire confiance aux experts. Aux experts chargés de l'ingénierie comme de l'électro-nique, des matériaux ou encore de la sécurité.
Au final n'avez vous pas exagéré le risque d'espionnage ?
Le risque d'espionnage est bien réel dans l'industrie automobile. Dans le cas présent, il n'y a pas d'affaire d'espionnage. La justice devra se prononcer, mais nous sommes visiblement dans un cas d'escroquerie. Mais cela ne veut pas dire que la menace n'existe pas. Il y a une menace qu'il faut prendre au sérieux et c'est pour cela que nous avons décidé d'agir, de nous entourer des meilleurs experts, Alain Bauer, Alain Juillet et Eric Delbecque, pour déterminer, sans nous précipiter, ce qu'il convient de faire.
Ces événements ont-ils affecté le moral des salariés ?
Bien évidemment. Dans une crise, il y a toujours des moments de doute. Mon rôle est de surmonter cette crise pour avoir la meilleure direction de la protection possible, améliorer les fonctions support et avoir une meilleure transparence. Les gens sont ébranlés, je le comprends. Mais, dans la réalité de la performance, ils ne l'ont pas montré. Les résultats du groupe Renault de janvier à mars sont bons à la fois pour ce qui est des volumes de vente, du profit opérationnel et des flux de trésorerie disponibles. Même en France, les commandes sont excellentes.
Peut-il y avoir un impact pour l'image de la marque à plus long terme ?
Pour l'instant, notre direction marketing ne l'a pas observé. Cependant, l'impact sur une marque se mesure dans le temps et l'évolution est très lente. Pour qu'il y ait un impact sur la marque, il faut une crise longue et durable.
Le management est-il encore crédible auprès des troupes ?
Quand vous êtes dans une position de management, vous êtes obligé de faire face à des crises. C'est à nous de les gérer pour que les équipes en ressortent motivées. Chaque crise entraîne des doutes sur le management. Je l'ai connu notamment à mon arrivée au Japon et pendant la crise financière.
Allez-vous repenser la confi-guration de l'Alliance avec Nissan ?
Nous ne sommes pas bloqués sur les pratiques passées de l'Alliance. Mais la priorité aujourd'hui pour Renault est de retrouver de la performance sur son coeur de métier et d'atteindre les objectifs fixés pour 2013. La réflexion sur l'Alliance interviendra une fois que Renault aura retrouvé de façon récurrente un résultat opérationnel courant et des flux de trésorerie positifs, pour rassurer les marchés sur sa valeur propre.
Pourquoi modifier la structure capitalistique de l'Alliance ?
Cette question provient des marchés financiers. Les investisseurs s'interrogent sur les raisons pour lesquelles nous possédons 43,4 % dans Nissan et demandent s'il ne serait pas possible de générer autant de synergies avec une participation inférieure. Je dis aux marchés : « Laissez-nous d'abord rétablir le coeur de métier de Renault ». Nous n'avons pas intérêt à reconfigurer l'Alliance tant que Renault n'a pas repris des forces. Si Renault était en difficulté financière, nous pourrions être obligés de l'envisager. Mais ce n'est pas le cas. Renault affiche à peine 1 milliard d'euros d'endettement et peut financer tous ses projets, de la voiture électrique à nos programmes au Maroc, en Inde ou encore en Russie.
Certaines personnes à Yokohama jugent-elles ce partenariat déséquilibré ?
Des deux côtés de l'Alliance, vous trouverez des isolationnistes. Mais ce ne sont pas eux qui sont en position de décider. Cette Alliance a profité énormément à Nissan, en lui permettant de se remettre sur pied, et à Renault, qui reçoit 43,4 % de ses profits. Le partenariat permet aux deux constructeurs d'acquérir des technologies et de se développer dans certaines zones géographiques plus rapidement qu'ils ne l'auraient fait seuls.
L'affaire d'« espionnage » laissera-t-elle des traces dans vos relations avec la Chine ?
Non. J'ai été en Chine il y a peu de temps. J'ai vu le nouveau ministre de l'Industrie, qui est l'ancien président de Dongfeng, le partenaire de l'Alliance Nissan-Renault en Chine. Sa première question a été de savoir quand Renault allait venir en Chine.
Et que lui avez-vous répondu ?
Je ne me suis pas aventuré sur la date, mais Renault ira en Chine, c'est sûr. Mais, quand nous irons, ce sera en masse et non pour avoir 1 % de part de marché et mettre des années à percer.
Vous connaissez bien le Japon. Avez-vous le sentiment que le pays pourra surmonter rapidement ses difficultés ?
Le management japonais est souvent un peu pessimiste dans la planification, mais très rapide dans l'exécution. Il y a d'un côté un réalisme de départ, pris à contre-pied ensuite par la discipline, le dévouement, l'abnégation. La combinaison des deux fait que vous avez souvent de très bonnes surprises au Japon. Je n'ai aucun doute sur les capacités du Japon à se redresser, mis à part l'interrogation sur la question nucléaire. Le jour où Fukushima sera derrière nous, vous serez surpris de la rapidité à laquelle le pays va repartir. Nissan connaîtra un deuxième trimestre (avril-mai-juin) difficile. En France, il y a effectivement des impacts sur l'approvisionnement, mais Nissan et Renault travaillent ensemble pour nous adapter au plus près à cette situation.
Pendant combien de temps vous imaginez-vous à la tête de Renault-Nissan ?
Pour l'instant, le mandat qui m'a été donné court jusqu'en 2014. Au-delà, cela paraît bien lointain.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire