samedi 9 avril 2011

Le dossier noir de la grande distribution - Jean-Claude Jaillette

Marianne, no. 729 - Événement, samedi, 9 avril 2011, p. 18

GRANDE DISTRIBUTION

Les géants du commerce font preuve d'une imagination sans cesse renouvelée pour étrangler les producteurs et empêcher les prix de baisser afin de ménager leurs colossaux profits. Mais, aujourd'hui, les langues se délient pour dénoncer leurs sales méthodes. Enquête.

Au début, Tristan*, patron d'une grosse PME de fruits et légumes dans le Gard, a trouvé la demande plutôt justifiée : au nom de l'écologie, les enseignes de la grande distribution entendaient désormais se faire livrer la marchandise non plus dans de vilains cartons pollueurs, mais dans des bacs en plastique pliables et réutilisables. Puis, très vite, notre primeur a déchanté. D'abord, il a découvert que chaque distributeur imposait son propre fabricant de cageot écolo. "Impossible de faire jouer la concurrence : on nous dicte un prix de location, et on nous somme de payer une consigne qui immobilise un sacré pactole dans nos trésoreries !" peste-t-il. Et ce n'est pas tout : au prétexte qu'elles négocieraient auprès des fabricants de cageots des tarifs ultracompétitifs, les enseignes réclament, en "récompense", un écot sur chaque aller-retour de caisse en plastique. Oh, pas grand-chose, 1 centime, parfois moins... Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières : "Dans mon bilan, le poste emballage et consigne s'est élevé à 5 millions d'euros en 2010", soupire Tristan, en refermant son livre de comptes.

S'il n'y avait que le racket aux cagettes en plastique ! Notre enquête le révèle : cette dîme écolo fait partie de la longue liste des nouvelles astuces mises en place par la grande distribution pour rançonner ses fournisseurs. "Nouvelles", parce que, depuis le 28 janvier 2011, le législateur a mis fin aux fameuses "marges arrière" - ces ristournes supplémentaires exigées par les grandes surfaces auprès des producteurs, en échange d'un emplacement privilégié en rayon ou d'une animation commerciale. Cette interdiction était censée assainir les pratiques du secteur et mettre fin au rançonnement généralisé qui sévissait à l'ombre des linéaires - "A la fin, ces ristournes contraintes représentaient jusqu'à 60 % de mon chiffre d'affaires", nous a confié un producteur... Las ! C'était oublier l'imagination débordante dont sait faire preuve la grande distribution : taxe sur le transport, pénalités sur la marchandise abîmée, facturation de services inutiles... Les exemples que nous avons recueillis abondent.

Sujet politiquement sensible

Scandaleux ? A plus d'un titre ! Car en plus d'étrangler les PME, ces pratiques ont pour effet de faire insidieusement grimper les prix. "Quand on sait qu'on va être rackettés dans tous les sens, on prévoit large au moment des négociations", nous ont expliqué en choeur les producteurs que nous avons interrogés.

Mais dans le contexte actuel de flambée des cours des matières premières et de hausse des prix généralisée, ces pratiques prennent une tout autre signification. Et si la grande distribution se décidait enfin à rogner sur ses marges colossales pour en redistribuer un peu à ses clients et donner de l'air à ses fournisseurs, au lieu de nous enfumer avec des gadgets comme le "panier des essentiels" à moins de 20 e ? Quand le blé augmente de 68 %, le maïs de 56 %, entraînant le lait, le pain et la viande dans la spirale inflationniste, une remise à plat des prix de revient s'impose. Impossible de répercuter de telles augmentations sans provoquer la fuite du consommateur ou, pis, sa révolte. Un round de négociations s'est donc ouvert en janvier entre producteurs et distributeurs pour tenter de trouver le bon équilibre et convaincre chacun de rogner équitablement sur ses marges, afin que le client continue à remplir son chariot sans pour autant mettre les entreprises en péril.

Mais, cette fois encore, la grande distribution, puissance dominatrice regroupée derrière six enseignes seulement, a imposé ses conditions aux fournisseurs. Et ce n'est pas le gouvernement qui le lui reprochera, inquiet de la montée de la colère des électeurs ulcérés par les hausses des prix à répétition. La question est si sensible qu'elle a, selon les instituts de sondage, influencé le vote en faveur du Front national lors des élections cantonales. Au point que l'on a vu Marine Le Pen, toujours prompte à capter la colère populaire, réclamer la baisse du prix de l'essence et la taxation des profits pétroliers avant même que le gouvernement ne décide d'éteindre l'incendie de la hausse des prix en activant des mesures sur les tarifs du gaz et de l'électricité. Message reçu cinq sur cinq par Michel-Edouard Leclerc, porte-parole autoproclamé de la grande distribution, qui, comme ses confrères, a concédé aux producteurs 2 ou 3 % d'augmentation des prix - qu'il répercutera intégralement sur les étiquettes ! -, quand les demandes étaient de 12 voire de 16 %.

"Lactalis, qui fabrique le célèbre camembert Président et le roquefort Société, réclamait 12 %, alors que le lait n'a augmenté que de 6 %, argumentait le médiatique patron des centres Leclerc sur France Inter, vendredi 1er avril. Nous avons refusé. Exit Lactalis des rayons des centres Leclerc !" Bel exemple d'intox dans la guerre de communication que se livrent à présent distributeurs et fournisseurs pour se défendre de vouloir préserver leurs marges coûte que coûte. Le patron charmeur oublie juste de préciser que c'est le numéro 1 français des produits laitiers, ulcéré par la manière dont la négociation a été menée, qui a pris l'initiative de la rupture. "Les PME de l'agroalimentaire vont perdre 5 000 emplois au bas mot, prévient Jean-René Buisson, président de l'Ania (Association nationale des industries agroalimentaires). Nos marges sont si faibles que nous demander de les contracter un peu plus encore conduira 20 % des entreprises du secteur à licencier."

Qui bluffe ? Répondre à cette question permet de comprendre pourquoi les prix des produits achetés en grande surface sont, en France, parmi les plus élevés d'Europe (lire l'encadré). Et de relativiser l'argument habituellement avancé du coût de la main-d'oeuvre, qui ferait flamber les prix de revient. En réalité, la grande distribution, grâce à sa situation de quasi-monopole, impose de tels rabais, ristournes et remises (les "trois R", son principe intangible de négociation) que les producteurs ne peuvent que gonfler leurs prix pour survivre.

Chercher à y voir clair dans ce monde où l'omerta règne, où le secret des relations commerciales prévaut comme nulle part ailleurs, où la violence, l'intimidation, la menace et le chantage à l'exclusion des rayons (dans le métier, on parle de "déréférencement") sont la règle, n'est pas chose aisée. Les témoignages que nous avons recueillis et les documents que nous sommes en mesure de produire décrivent un monde où des voyous ont pris en otages leurs fournisseurs avec des pratiques relevant de l'extorsion de fonds. "Si je prends la parole publiquement pour raconter tout ce qu'on me fait subir, nous a confié le patron d'une PME en exigeant l'anonymat, demain, je suis mort, ma boîte n'existe plus et mes 80 salariés sont à la rue." Certes, l'univers du commerce ne se réduit pas à une lutte entre bons et méchants, les premiers comptant exclusivement dans leurs rangs les producteurs, les seconds réunissant les hypermarchés. Les grands groupes industriels comme Lactalis, Danone, Nestlé ou Procter & Gamble savent que leurs produits sont plébiscités et que les commerçants ne peuvent durablement s'en passer sous peine de voir les clients aller les acheter ailleurs.

Certains, comme Coca Cola, disposent d'une marque si puissante qu'ils peuvent exiger - et obtenir - qu'une canette de soda soit vendue au même prix dans tous les magasins d'une même enseigne, au mépris des règles de la concurrence. Mais les autres, les PME qui emboîtent les sardines et dorent les biscuits bretons, qui empaquettent les pâtes ou emboutissent des casseroles, celles qui font vivre des milliers de salariés et de paysans, comment font-elles ? "Un producteur de fruits ne peut pas ne pas vendre à la grande distribution", reconnaît l'un d'entre eux, un des plus importants expéditeurs de la vallée du Rhône qui collecte la production de plusieurs dizaines d'arboriculteurs. "Ils abusent de leur position dominante", ajoute un autre. Une position confortée par la faiblesse de la concurrence. Car en France, les producteurs ne peuvent vendre qu'à 12 centrales d'achats. Pas une de plus.

"Porter plainte contre une enseigne ? Mais vous n'y pensez pas ! s'esclaffe un expéditeur de fruits et légumes. Je gagnerais sûrement, mais je ne travaillerais plus jamais avec cette enseigne, et je serais aussitôt inscrit sur une liste noire. Viré." L'homme, solide gaillard commerçant dans l'âme, à l'aise dans les négociations comme un poisson dans l'eau, raconte comment une importante enseigne allemande lui a réclamé 20 000 €, du jour au lendemain, au prétexte qu'elle venait de racheter une chaîne de magasins de proximité et que la somme représentait le ticket d'entrée pour un marché plus large. Menace à peine voilée : s'il ne payait pas, il serait déréférencé. Le producteur a ravalé sa rage, et a sorti 1 500 €. La somme a suffi à calmer le jeu. Vous avez dit racket ? Un autre raconte comment un hard discounter allemand lui a demandé du cash à l'occasion de l'ouverture d'une nouvelle centrale d'achats, sorte de droit d'entrée à payer avant même de signer le premier contrat. "On a changé de registre, remarquent les victimes. Il y a quelques années, pour fêter une telle occasion, le magasin nous demandait de financer un prospectus promotionnel, ou de prendre en charge une promo spectaculaire, 2 kg de pommes pour le prix d'un, par exemple, ou encore de fournir gratuitement quelques palettes supplémentaires de marchandise. Comment refuser, puisque plane toujours la menace de se faire virer des rayons ? L'abus était manifeste, mais au moins ça prenait une allure légale. Mais là, demander de l'argent sans contrepartie, de la main à la main, ça dépasse tout !"

Au cours des vingt dernières années, de nombreux responsables politiques, parlementaires ou ministres, se sont émus des plaintes des PME rançonnées. L'objet de leur émotion ? Les fameuses marges arrière, ces ristournes annuelles sur le chiffre d'affaires du fournisseur, sans fondement autre que la sujétion d'un fournisseur à un acheteur. Habillées en frais de campagne d'affichage, en bonus pour un placement en tête de gondole, voire libellées comme une banale commission supplémentaire, elles avaient un parfum d'impôt illégal et la couleur d'un véritable racket. Dans un souci de moralisation des pratiques commerciales, le législateur a fini par produire, en 2008, la loi de modernisation de l'économie (LME), qui interdit ces pratiques... à partir du 28 janvier 2011. On appréciera au passage le délai accordé dont certaines enseignes ont tiré avantage au maximum.

Des procédés imaginatifs

Violant la loi du secret, un entrepreneur nous a permis de consulter un contrat signé le 18 janvier 2011 avec la chaîne Match (groupe Cora, Truffaut, etc.), valable jusqu'au 31 décembre de la même année. A la rubrique "conditions de vente", après l'énoncé de la "remise entrepôt" de 10 % qui, déjà, revient à faire payer le stockage au fournisseur, après la "remise logistique" de 5 % qui fait porter le service au même fournisseur, apparaît une ligne de "conditions hors facture" de 10 %, une "ristourne versée au trimestre" (lire les documents p. 23). En clair, dix jours avant la fin des marges arrière et l'ouverture d'une voie légale à de fortes amendes en cas de recours à ces pratiques, un distributeur a prélevé sa dîme. L'entrepreneur a signé, certain que s'il n'obtempérait pas, il perdrait un gros marché. Mais certain aussi que l'imagination de son partenaire commercial saurait inventer des procédés pour remplacer les commissions devenues illégales.

De fait, pendant que certains se précipitaient pour toucher les derniers fruits de la saison des marges arrière, la plupart des chaînes mettaient au point des techniques pour reprendre d'une main ce que la loi venait de leur retirer de l'autre. Par exemple ? Faire prendre en charge par le producteur tous les frais liés à la fourniture du produit, depuis le transport jusqu'au stockage dans les entrepôts de la centrale d'achats et l'emballage spécifique à chaque enseigne. "Leclerc a inventé le système du "transporteur dirigé" en imposant son propre transporteur, raconte un patron d'une importante PME de fruits et légumes de la région d'Avignon. Comme par hasard, alors qu'un camion que je choisis me coûte 1 000 € pour aller en Allemagne, Leclerc me le facture 2 000 € pour le même trajet." Impossible de refuser le transporteur sous peine de voir la commande vous filer sous le nez.

Même système avec les caisses en plastique réutilisables dont parlait Tristan, le producteur de fruits et légumes. "Une idée géniale, reconnaît notre petit patron. Voilà comment les hypermarchés ont inventé un nouveau service, parfaitement légal, mais contraint. Dans la région, mes collègues et moi-même faisons environ 500 millions de rotations. Même si la chaîne ne réclame qu'un petit centime supplémentaire, ou même un demi-centime, vous voyez le montant de l'addition ?"

A entendre tous ces patrons de PME, la force de la grande distribution réside avant tout "dans sa capacité à récupérer de l'argent à tous les niveaux". A l'envoi de la marchandise, à sa réception, et bien après encore. Grâce à l'invention de toutes sortes de services sophistiqués mais coûteux, dont bien peu d'entreprises ont l'utilité, comme la gestion des factures par Internet, ou encore le profilage de la clientèle à partir de l'analyse des tickets de caisse dans les magasins, etc. Dernière invention : le contrôle renforcé des résidus de pesticides dans les fruits et légumes. "Voilà la conséquence de l'avalanche de films et de livres catastrophes sur l'assiette empoisonnée, s'emporte un de nos interlocuteurs. On va nous imposer de nouvelles analyses alors que les résidus pointés par les auteurs de ces documentaires sont très en deçà des limites maximales autorisées. Qui va payer ces contrôles inutiles facturés au prix fort ? Nous, bien sûr, et au final, le consommateur. Pas la grande distribution."

Pénalités à tout-va

Comme si tout cela ne suffisait pas à gonfler leurs marges, les centrales d'achats menacent leurs fournisseurs de différentes pénalités, au nom "d'une qualité et d'un service rendu irréprochables", comme le précisent les contrats estampillés "confidentiel" que nous avons pu consulter. Qui s'en plaindrait ? Mais la pratique est souvent abusive ou appliquée aveuglément. Un abricot est trop mou dans une barquette ? C'est la palette entière qui est refusée par la centrale d'achats, entraînant une pénalité de 8 % de la valeur totale de la livraison d'abricots ! Attention, si l'incident se produit au moment d'une promotion, la pénalité passe à 30 %. Une étiquette comportant les codes d'identification a été mal collée ou s'est détachée pendant le transport ? Allez, hop, 3 500 € de pénalité ! Une erreur s'est glissée dans une commande ? 500 €, voire 10 % sur la totalité de la commande, etc. "Les contrats imposés par les pouvoirs publics censés nous protéger sont une suite ininterrompue d'obligations à notre charge, nous ont raconté tous ceux que nous avons rencontrés. Jamais n'y figure une seule obligation de la centrale d'achats." Même pas celle touchant aux délais de paiement.

A la justice de passer

"Le pire dans ce système, ce sont les litiges inventés de toutes pièces", raconte un de nos interlocuteurs. Il négocie un prix, des quantités, et livre la marchandise. "Jusque-là, tout va bien, aucune remarque ne nous est faite." Et puis quinze jours plus tard, il reçoit une facture agrémentée d'un avoir sur une cinquantaine de colis prétendument "défectueux ou détériorés, on n'arrive jamais à savoir". La négociation permet souvent de réduire ces pénalités sans objet. "Mais au bout du compte, ce que les centrales nous règlent est toujours inférieur à ce qui avait été négocié." Lui aussi ouvre ses livres de comptes : en 2010, cette plaisanterie lui a coûté 200 000 €, sur un chiffre d'affaires de 2 millions. Sans compter les heures passées par son comptable à contester les paiements.

La liste de ces arnaques légales pourrait s'allonger encore, depuis les ristournes exigées sur les camions des transporteurs imposés par les hypers jusqu'à celles prélevées sur les palettes louées ou aux pénalités pour retard, alors que la commande a été passée dans un délai trop court pour que l'usine de fabrication de biscuits puisse faire face. La situation est à ce point critique et les rapports de force défavorables aux producteurs que le secrétaire d'Etat aux PME et au Commerce, Hervé Novelli, vient d'assigner neuf distributeurs alimentaires et non alimentaires pour infraction à la LME. En cause, les pratiques abusives que nous venons de révéler. "Il s'agit d'une opération médiatique", s'indigne Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Car, bien sûr, la FCD a beau jeu de soutenir que toutes ces méthodes de voyous ne sont que rumeurs malveillantes, ne reposant sur aucun fait précis, tant qu'aucune victime n'a le courage de briser l'omerta. Mais aujourd'hui, certains se sont confiés à Marianne, avec d'infinies précautions. A la justice de passer, à présent. Et les prix pourront enfin baisser.

J.-C.J.

* Le prénom a été changé.


UN TOUR DE MAGIE ? COMMENT UNE SALADE FAIT 16 FOIS LA CULBUTE

La laitue est chère, jusqu'à 1,50 € dans les rayons des hypermarchés. Alors même que la surproduction pousse certains paysans à détruire leur récolte. Qui s'enrichit ? Un industriel du secteur a détaillé la structure du prix pour Marianne.

"La salade est achetée 9 centimes au paysan. Après emballage et mise en palette, elle est vendue 25 centimes à la centrale d'achats. Cette dernière la revend et l'expédie vers ses magasins, ce qui occasionne des frais de transport et de distribution de l'ordre de 40 centimes. Elle la facture 75 centimes. Au passage elle a donc pris 10 centimes de marge. Au final, l'hyper la revend 1,50 €."

Deux leçons peuvent être tirées de cet exemple. 1) Entre le paysan et le magasin, il n'y a que trois intermédiaires, pas un de plus, contrairement à ce qui est expliqué aux consommateurs pour justifier la culbute. 2) La grande distribution prétend ne dégager que 1 à 2 % de marge nette. Difficile à avaler, à moins d'imaginer que les hypermarchés surpaient leurs salariés, ce qui est loin d'être le cas (lire p. XX), et qu'ils versent des loyers considérables pour l'utilisation des bâtiments... dont leurs filiales immobilières sont propriétaires. Alors, devinez qui ment ? J.-C.J.

COMMENT L'ALLEMAGNE MAINTIENT DES PRIX BAS
Thomas Schnee, en Allemagne

Dans la région rhénane ou dans la Sarre, la clientèle française assure depuis longtemps une partie non négligeable du chiffre d'affaires des supermarchés. Pas étonnant puisque, outre-Rhin, le consommateur paye souvent le même produit de 10 à 30 % moins cher. Comment s'explique cette différence ? D'abord par l'importance de l'offre (1,4 m2 de surface de vente par habitant contre 1,09 pour la France), mais aussi par l'incroyable succès des chaînes de discount, telles Aldi et Lidl, qui détiennent aujourd'hui plus de 40 % des parts de marché dans la distribution alimentaire (25,7 % en 1993). Leur politique de prix bas sur un nombre limité d'articles a conditionné les stratégies commerciales du secteur, de même que les comportements du consommateur allemand. Celui-ci s'est à ce point habitué aux petits prix et aux promos que les experts parlent aujourd'hui de "discountisation" de la société allemande. "Etre radin, c'est génial !" est devenu le slogan le plus célèbre du pays depuis qu'il s'affiche sur les pubs de Saturn. Dans ces conditions, rares sont les distributeurs qui réalisent des marges bénéficiaires supérieures à 3 %. Même l'américain Wal-Mart, numéro 1 mondial du secteur, a quitté le pays en laissant quelques centaines de millions de pertes derrière lui. Mais la tendance pourrait changer : "Il y a un moment où les jolis prix écrasés, c'est fini", affirme Andreas Mundt, président de l'Office fédéral anti-cartel, en renvoyant à la concentration du marché. Alors que, en 2000, 10 groupes détenaient 70 % de parts de marché, ils ne sont aujourd'hui plus que 4 à en contrôler 85 %. Une situation qui, selon M. Mundt, prêche en faveur d'un ralentissement de la guerre des prix.


On n'écrase p as les prix, mais on brade les salariés
LAURENCE DEQUAY

Cadences exténuantes, sous-traitance, flicage... Dans la course aux profits, les employés de la grande distribution sont parfois moins bien traités que la marchandise qu'ils mettent en rayons.

C'est une cathédrale commerciale des temps modernes, plantée sur la commune de Claye-Souilly (Seine-et-Marne), au milieu des champs de soja et de blé. Un hypermarché pilote de 16 000 m2 qui bruit de travaux d'embellissement, et dans lequel Carrefour, le plus gros distributeur français, teste depuis le 21 mars sa nouvelle division du travail. Ici, des salariés qui géraient leurs rayons ont été réaffectés à des tâches de remplissage indifférenciées et minutées et sont nuit et jour surveillés par des dizaines de caméras. Un rythme de travail plus épuisant encore que les trois-huit en vigueur en usine puisque sans rotation des horaires. Il est 9 h 30. Les yeux plissés de fatigue, le corps endolori, les "gilets rouges" qui embauchent désormais dès 2 heures du matin pour dispatcher des palettes laissent transpirer leur colère et leur écoeurement. "On est morts, confie Philippe, la quarantaine athlétique. On ne place pas plus de came qu'avant et notre vie de famille a pris une grande claque." Abandonnant derrière eux quelques rayons dégarnis - l'informatisation des commandes connaît des ratés - ou empilant des cartonnages de réassort dont devra se charger l'équipe des "bleus" l'après-midi, les plus anciens s'avouent honteux. "C'est inhumain, lâche Sylvie, qui enchaîne sur ses nuits blanches un deuxième job pour financer les études de sa fille aînée. Nous devons bâcler pour tenir les cadences." "On a aimé travailler pour Carrefour. Mais, de restructuration en projet pilote, on n'a pas vu tomber le couperet", renchérit Jean-Luc Noury, trente ans de maison.

Samedi 9 avril, Force ouvrière, la CGT et la CFDT appellent donc à la grève tous les employés du groupe, de Bordeaux à Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne). Pour refuser l'hypertaylorisation du travail. Et pour arracher un peu plus du dérisoire 1,1 % d'augmentation de salaire que leur propose pour 2011 un directeur général, le Suédois Lars Olofsson, qui a empoché 6,9 millions d'euros de gratifications en 2009 !

Managers mercenaires

Confrontée à l'érosion de ses gains au mètre carré, à la concurrence des hard discounters et des enseignes spécialisées, la grande distribution aurait pu se réinventer en tirant ses troupes vers le haut. Las, coachée par des mercenaires qui se contentent d'appliquer des recettes de management basiques concoctées par des consultants, elle gère autoritairement sa main-d'oeuvre selon d'impersonnels ratios frais de personnel/chiffre d'affaires. "Dans un contexte très anxiogène de chômage de masse, cette régression est terrible. Car ces nouvelles organisations arrachent aux salariés ce qui leur restait de qualification, de savoir-faire propre. Privés d'identité professionnelle, ils n'ont plus de perspectives", s'emporte Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia, un cabinet spécialisé dans l'évaluation et la prévention des risques psycho-sociaux en entreprise, mandaté notamment à France Télécom pour prévenir les suicides.

Les hard discounters ont été les premiers à infliger cette pression maximale et cette polyvalence de tous les instants à leurs ouailles. A Lidl, une palette d'une soixantaine de produits doit être mise en rayons en une demi-heure. Sportif ! Nombre de supérettes Aldi de 700 m2 fonctionnent avec deux personnes quand il en faudrait trois : un responsable rémunéré 2 500 € et un employé qui s'affaire de la caisse aux toilettes, pour un salaire à peine supérieur au Smic. Les pauses sont payées mais rarement prises, faute de temps. "Un système pervers incite même les employés à sous-déclarer leur présence pour toucher une prime de productivité calculée en fonction du chiffre d'affaires réalisé par heure travaillée", révèle Pascal Hadrot, un responsable de magasin Aldi militant à la CFDT.

Obligatoires au-delà de 50 salariés, les comités d'hygiène de sécurité n'existent qu'à l'échelon régional. Or, qui dit polyvalence dit cumul des maux, de dos, de hanche, de bassin... Et d'absences. "La lutte contre l'absentéisme est menée sur le mode exclusif de la sanction et de l'intimidation", note une étude d'ergonomie de l'université de Provence (1). Des employés atteints de la maladie du carreleur, à force de ramper dans les rayons, sont recasés aux bacs de surgelés, le temps que leurs épanchements sanguins sous les genoux s'estompent. La loi française a beau encadrer strictement le recours au travail de nuit, les DRH des grandes enseignes appliquent sans états d'âme les consignes tombées d'en haut. Pour obtenir le paiement de maigres temps de pause en journée (trois minutes par heure) et le respect du Smic, des syndicats ont dû plaider contre Carrefour devant la Cour de cassation ! Pourtant, l'annualisation du temps de travail sur 1 600 heures, combinée à un recours massif aux temps partiels (de 30 à 40 % des employés du secteur), permet aux distributeurs de disposer de leurs troupes sur des plages horaires élargies, sans payer d'heures supplémentaires. "Si aucun coup d'arrêt n'est donné à la déclinaison de ces méthodes industrielles, des centaines de milliers de salariés du commerce seront déqualifiés et condamnés à travailler de nuit sans possibilité de reconversion", prévient Karl Ghazi, secrétaire de la fédération CGT commerce--Paris.

Les salariés de la grande distribution sont aussi les premières victimes de l'impitoyable guerre des supérettes que se livrent, en centre-ville, les enseignes pour coloniser le commerce de proximité. En témoigne le calvaire de Yanis (2), employé par Dia. Depuis 2005, ce trentenaire à la bouille ronde barrée d'une petite moustache se démène sans compter ses efforts dans les rayons d'une supérette de la rue Saint-Maur, à Paris. Après des années de dévouement, il s'attendait enfin à être nommé chef adjoint du magasin. Alors, quand, le 10 février dernier, il a reçu une convocation préalable à licenciement, ce père de deux fillettes a tenté de s'immoler dans le bureau de son responsable. "J'étais révolté par cette injustice, épuisé par des nuits d'insomnie, confie Yanis. La bouteille d'essence à la main, je me disais que, si un tel acte pouvait changer un pays, il pourrait changer ma boîte..." En ce jour de colère, seul Zohir Riah, syndiqué à SUD, appelé à la rescousse par ses collègues, saura le convaincre qu'un emploi, aussi nécessaire soit-il, ne vaut pas que l'on se transforme en torche vivante. Surtout quand cette éviction ne doit rien au hasard.

Le 21 juin prochain, en effet, si les actionnaires de Carrefour satisfont les exigences financières des fonds qui se sont invités au capital du groupe (Colony Capital et Groupe Arnault), Dia sera coté à la Bourse de Madrid. Une juteuse introduction que les managers de cette chaîne préparent depuis deux ans, en appliquant énergiquement une double consigne : faire gonfler le chiffre d'affaires et réduire la masse salariale. Rue Saint-Maur, à Paris, les 10 employés ne sont plus que 6. Avant le drame de février, Yanis arrivait tous les jours à 6 h 30 pour charger les mises à prix, prélever la température, sortir les périssables et monter le rayon fruits et légumes, la plupart du temps seul avec un caissier. Impossible de souffler. Pis : en l'absence du vigile qui ne pointe que de 17 à 20 heures, il ne pouvait empêcher, sans risquer un coup de couteau, des nuées de jeunes de piller ses rayonnages. Un stress que son employeur aggravait en soupçonnant ses employés de contribuer à cette "démarque inconnue" et de trafiquer les plannings pour y inscrire leurs dizaines d'heures supplémentaires. "C'est en demandant tout et n'importe quoi à ses salariés sans leur donner les moyens de faire face à leurs missions que Dia les fait craquer", accuse Zohir Riah.

En état de dépendance

Dans les supérettes de la capitale, le climat social se dégrade à telle vitesse que les syndicats font front commun. Réunis le 1er avril dans des locaux de la bourse du travail, ils coordonnaient leur offensive contre Franprix. Dix-sept procédures judiciaires ont été engagées contre ces magasins qui ouvrent trop longtemps le dimanche sans bonifier les paies de leurs ouailles. "Cette pratique nous révolte, car ces responsables recrutent de préférence des jeunes femmes seules avec enfants qui maîtrisent mal le français et ne peuvent relever la tête", confie un participant. Un état de dépendance qui amène certains employés à accepter de laver des étiquettes de produits périmés à l'eau de Javel afin de les garder en rayons...

Symptôme indéniable du malaise croissant, la grande distribution - en dehors d'Auchan, Carrefour et Système U -, bataille sans merci contre le syndicalisme. "Dans le Sud-Est, nous avions réussi à nous implanter dans de nombreux hypers Leclerc, raconte Dejan Terglav, secrétaire fédéral grande distribution de Force ouvrière. C'est bien simple, nos délégués se sont tellement fait pourrir la vie que tous ont jeté l'éponge ou ont été virés." Changements incessants d'horaires, propositions financières pour quitter les lieux, accusations gratuites, mises à pied en pagaille..., la palette des intimidations et des discriminations déployée dans certaines enseignes à l'encontre des syndiqués est infinie. Et très imaginative ! On a vu des enfants de grévistes être bannis des colonies de vacances maison ou des "rebelles" notoires assignés aux caisses frigorifiantes situées près des rayons de surgelés (3)... Délégué Force ouvrière du Monoprix du Faubourg-Saint-Antoine, Sébastien Durand, joues rebondies et gouaille réjouissante, encaisse avec philosophie les piques de son directeur qui menace de le "faire maigrir au travail". Mais il s'indigne que l'un de ses syndiqués menacé d'expulsion locative, le jeune Cyril, se voie refuser l'accès au 1 % logement.

Si tous les groupes de distribution ne sombrent pas dans la caricature patronale, les îlots de sérénité sociale fondent plus vite que la banquise. Longtemps plébiscité pour son intéressement et ses primes généreuses, le groupe Auchan, vitrine de la famille Mulliez, projette de confier une cinquantaine de ses supermarchés Simply Market (ex-Atac) à des cogérants ou à des franchisés (lire pages suivantes). Autant de transferts qui ne garantissent pas aux salariés concernés le maintien de leurs avantages au-delà de quinze mois. Et qui permettent aux géants d'externaliser une partie du risque commercial. L.D.

(1) "Recherche internationale sur le travail et les relations sociales dans le groupe Carrefour", université de Provence, 2005.

(2) Le prénom a été changé.

(3) Travail et salariés dans la grande distribution, de Philippe Askenazy, Jean-Baptiste Berry et Sophie Prunier-Poulmaire, Cepremap.



Les coups tordus derrière la franchise

Perrine Cherchève

C'est la dernière "innovation" des grandes enseignes : ligoter les dirigeants de supermarché avec des contrats meurtriers. Autopsie d'une arnaque légale.

Caissières, employés et patrons unissant leurs forces pour braver un géant de la grande distribution, cela ne s'était encore jamais vu avant ce jeudi 31 mars 2011. Ce jour-là, à 10 heures du matin, une quinzaine de salariés du Carrefour Market de Châteauneuf-sur-Loire, enveloppés de banderoles, les traits tirés, s'étaient rassemblés sur les marches du palais de justice d'Orléans pour attendre de pied ferme Pascal Cosse, l'avocat du groupe Carrefour. Depuis le 5 mars, le géant de la distribution a cessé d'approvisionner ce supermarché dirigé par Katia et Laurent Martin qui, étranglés par les clauses exorbitantes de leur contrat de franchise, ne payaient plus leurs factures. Le tribunal de commerce doit trancher les torts. "Tous ensemble, tous ensemble !" scandent les employés. Mais, quand le verdict tombe, mardi 5 avril 2011 à 16 heures, les visages se ferment. Le juge a donné raison à Carrefour, la fin de l'histoire est déjà écrite. "En définitive, on crève", lâche Laurent Martin, qui s'attend que la liquidation soit prononcée avant la fin du mois.

Aujourd'hui, il ne reste aux salariés du Carrefour Market que la fierté d'avoir osé dire haut et fort tout le mal qu'ils pensaient des méthodes du groupe. "Carrefour est en train de ruiner nos vies !" hurlait une manifestante. "La partie qui ne respecte pas ces engagements, c'est celle qui ne paie pas ! s'époumonait en retour l'avocat. Quand je vais dans un magasin, je paie mes marchandises. Vous, quand on vous livre, vous ne payez pas ! Vous devez 1 million à Carrefour et le reste, c'est du bla-bla-bla !" Sa plaidoirie, Pascal Cosse la connaît par coeur : les Martin sont des commerçants franchisés donc indépendants, Carrefour n'est pas leur employeur et n'a aucune obligation juridique envers eux. "Ce magasin n'est pas le nôtre", conclut-il. Dialogue de sourds entre le pot de fer et le pot de terre.

Dans une lente agonie, Katia et Laurent Martin errent entre les rayons vides de leur supermarché. Ils n'ont plus rien à vendre, leur commerce coule, eux aussi, entraînant dans la chute leurs 41 salariés qui serrent les rangs autour du couple pour ne pas craquer. "Ça fait deux ans et demi que je me bats avec eux et je les soutiendrai jusqu'au bout", jure Céline Barthélemy, agente de maîtrise "produits frais". "Carrefour pousse nos patrons à déposer le bilan, assure une de ses collègues. Ils vont nous licencier et rouvrir le magasin sans dettes et avec leur propre personnel. Nous, nous irons pointer au chômage. On a tous des enfants, avec des crédits et des maisons à payer."

"Des contrats prisons"

Des Martin, Serge Méresse en a rencontré beaucoup d'autres. "Lors de la création ou d'une reprise de magasin, le franchiseur est tenu de faire une étude de marché sincère. La loi l'y oblige, explique cet avocat spécialisé dans la défense des franchisés. Mais, souvent, il montre la mariée un peu plus belle qu'elle n'est en réalité. Quand, à l'arrivée, il manque de 10 à 15 % du chiffre d'affaires, le franchisé prend le bouillon assez vite"... victime, comme le couple Martin, d'une guerre de tranchées engagée par les distributeurs depuis plusieurs années. Pour conserver leurs positions sur un marché qui n'est plus extensible, les grandes enseignes, Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc, Intermarché, Système U, surveillent de près leurs petites troupes de franchisés pour qu'elles ne passent pas à l'ennemi. Elles les ligotent pour trente ans, avec des contrats dont les échéances se chevauchent, assortis de clauses coercitives. Contrat de franchise, d'approvisionnement, de bail, clauses de non-réaffiliation, de non-concurrence postcontractuelles, droit de préférence ou de préemption en cas de revente... "Ce sont des contrats prisons, avec des clauses tueuses : si vous sortez, on vous tue !" assène Me Méresse. Depuis peu, certaines enseignes comme Carrefour exigent même d'entrer dans le capital de leurs franchisés avec un droit de veto en cas de revente ou de rachat des parts si l'affaire périclite. Pis : en ne détenant qu'une unique action, Intermarché garde contractuellement le contrôle sur ses enseignes, plaçant ses franchisés sur un siège éjectable.

Quand Katia et Laurent Martin ont repris le supermarché de Châteauneuf-sur-Loire, il y a trois ans, ils étaient loin d'imaginer ce scénario catastrophe. Car, sur la grande distribution, ce couple de quadras en connaît un rayon ! Laurent y a fait sa carrière, et Katia est tombée dedans quand elle était enfant : son père dirigeait un Leclerc dans l'Allier, ils ont travaillé ensemble jusqu'à ce qu'il lui fasse don d'une belle somme pour qu'elle quitte le nid. "Cet argent, c'est le travail de mon papa. Il me l'a donné pour que je puisse prendre une affaire qui tienne la route", explique-t-elle. En janvier 2008, les Martin se lancent donc. Ils rachètent les murs de cette grande surface de 1 700 m2 à 30 km d'Orléans, reprennent le passif et signent un contrat de franchise avec Intermarché. Mauvaise pioche. Les nouveaux propriétaires découvrent vite l'existence de "dettes cachées. Une somme avec trois zéros derrière qu'il a fallu honorer", assure Katia. Les surprises désagréables se succèdent : des ardoises chez les fournisseurs, du matériel en mauvais état, des contrats de travail pas à jour, une station d'essence qui se révèle polluée... Céline Barthélemy, qui à l'époque travaillait déjà dans les lieux, se souvient d'avoir renvoyé à plusieurs reprises le camion de livraison d'Intermarché. "A l'intérieur, la température n'était pas conforme, raconte l'employée. Quand j'ai piqué à coeur les steaks hachés, ils étaient à 10° C, et les barquettes de produits frais étaient gonflées."

A la merci de la concurrence

Le 25 mars 2009, le supermarché de Châteauneuf est déclaré en cessation de paiement et Intermarché passe la main. Un an plus tard, les époux Martin, sous l'égide du tribunal de commerce d'Orléans, concluent un nouveau contrat de franchise avec Carrefour qui accepte d'accompagner leur redressement. Le projet construit par le groupe table sur un chiffre d'affaires annuel de 9,1 millions d'euros. Mais, quand la grande surface rouvre sous enseigne Carrefour Market, c'est la douche froide. Le Super U voisin vient de baisser ses étiquettes, récupérant une partie des clients, et les nouveaux franchisés boivent vite la tasse. Alerté, Carrefour accepte de diminuer légèrement ses prix de vente mais reste ferme sur les prix d'achat. La marge bénéficiaire s'écroule et les Martin s'endettent auprès de leur fournisseur exclusif, la centrale d'achat Carrefour. "Le groupe nous a fait perdre près de 4 millions d'euros, affirme aujourd'hui Laurent Martin. Dans une franchise, on ne maîtrise rien, ni l'informatique, ni la gestion, ni les prix, ni le référencement des produits. Même l'expert-comptable, on ne l'a pas choisi ! Carrefour nous a demandé de le sélectionner sur une liste qu'il nous a fournie. Ils sont décisionnaires de tout !" Et il y a fort à parier que le groupe figurera en tête de liste des repreneurs prêts à profiter de la ruine des Martin.

Une tragédie malheureusement très classique, selon Serge Méresse : "Les franchiseurs essaient le plus possible de s'éloigner du risque." Pour s'exonérer de leurs responsabilités en cas de dépôt de bilan, ils n'hésitent pas à fournir aux repreneurs des études de marché anonymes, dont il a bien été précisé qu'elles n'étaient pas contractuelles. Marianne a même été saisi du cas d'un commerçant à qui le franchiseur a demandé de reprendre à son compte et de signer de son nom des documents rédigés du début à la fin par l'enseigne. "On n'a jamais d'écrits, tout se passe par téléphone", témoigne un franchisé qui souhaite rester anonyme. Car, dans la grande distribution, les conflits se règlent en privé, par voie d'arbitrage. Une procédure qui peut coûter très cher au plaignant (de 40 000 à 100 000 €) et dont les conclusions, sans appel, échappent à la justice. Le linge sale se lave en famille. Pour combien de temps encore ? Le 5 avril, en effet, la coopérative Coop Atlantic, qui regroupe 45 grandes surfaces et près de 200 supérettes sous franchise Carrefour, annonçait avec fracas son ralliement à Système U dès le 1er janvier 2012. Dans l'espoir de "rejoindre un réseau qui partage des valeurs communes de pérennité et de solidarité entre ses membres"... P.Ch.


REPÈRES

Six géants se partagent le gâteau

Parts de marché

Carrefour : 23,9 %

Leclerc : 16,9 %

Intermarché : 13,6 %

Auchan : 11,1 %

Casino : 10,3 %

Système U : 9,1 %

Chiffre d'affaires et résultat opérationnel brut (2009)

Carrefour : 96 milliards d'euros et 4,6 milliards d'euros

Auchan : 48,3 milliards d'euros (2008) et 2,34 milliards d'euros

Leclerc : 34,9 milliards d'euros, non communiqué

Intermarché : 34 milliards d'euros, non communiqué

Casino : 26,7 milliards d'euros et 1,8 milliard d'euros

Système U : 17,9 milliards d'euros, non communiqué

Effectifs

571 800 salariés en 2009 (- 64 400 en deux ans)

Masse salariale brute en 2009

13,1 milliards d'euros

Source : Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.

Des ventes records par heure travaillée

200 € en 2004 (contre seulement 77 aux Etats-Unis).

Baisse de la part du travail dans la valeur ajoutée

- 10 % entre 1994 et 2004.


© 2011 Marianne. Tous droits réservés.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

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