Le Figaro, no. 20767 - Le Figaro Économie, mardi 10 mai 2011, p. 24
Le président de la République lui-même, Ma Ying-jeou, en a fait une question de « sécurité nationale ». Taïwan laisse échapper ses cerveaux vers les pays voisins. Le mois dernier, lors d'une foire de l'électronique organisée à Taïpeh, trois grandes firmes de Singapour spécialisées dans les semi-conducteurs ont tenté de débaucher au nez et à la barbe de ses organisateurs plus de 200 spécialistes taïwanais.
La petite île que la Chine continue de considérer comme une province, alors qu'elle est parfaitement indépendante, est confrontée à une véritable hémorragie. Ses ingénieurs, ses scientifiques, ses chercheurs se laissent tenter de plus en plus facilement par Singapour, Hongkong et même la Chine continentale.
Le Conseil du plan et du développement économique a mené une enquête sur la fuite de ces cerveaux, mais elle garde ses chiffres secrets. Cependant, aujourd'hui, un ingénieur qui gagne 85 000 dollars de Taïwan (NTD), soit environ 2 215 euros par mois, peut espérer toucher sans problème 200 ou 300 euros de plus à Singapour ou à Pékin. Les médecins, le personnel médical et certains universitaires de haut niveau se voient aussi proposer des salaires qui triplent parfois par rapport à ce qu'ils touchent actuellement.
« Un tel écart n'est pas fréquent », juge Chang Chun-fu, directeur général adjoint du Bureau du commerce extérieur et des affaires économiques, « mais c'est un vrai problème qui va nous obliger à recruter à l'étranger ».
Augmenter les salaires
Le gouvernement a promis d'augmenter de 3 % les salaires des fonctionnaires le 1er juillet prochain. Une mesure qui touchera 1,25 million de salariés, et va coûter à l'État quelque 11 milliards de dollars taïwanais (275 millions d'euros). Elle sera financée par les bénéfices des entreprises publiques. Mais c'est une goutte d'eau dans la mer. Même le tout-puissant Institut de recherche sur les technologies industrielles (Itri) reconnaît qu'il n'est pas à l'abri des fuites dans la mesure où la Chine a créé en quelques années 38 instituts parfaitement capables de le concurrencer. Il réclame en vain un déplafonnement des salaires de tous les établissements publics du même type, fixés à 4 624 euros pour leurs dirigeants et à 4 025 euros pour les chercheurs.
Le gouvernement hésite. « Nous ne pouvons pas le faire pour tout le monde, mais on peut imaginer des dérogations », suggère Cheryl Tseng, directrice générale au Conseil du plan et du développement économique. Elle estime surtout que le marché taïwanais n'est pas assez ouvert aux étrangers. Ainsi, un Malaisien qui fera toutes ses études à Taïwan ne pourra être embauché que s'il décroche un salaire minimum de 47 900 NTD (1 200 euros), somme que de nombreuses entreprises ne voudront pas payer. Or, dans le même temps, le Southern Taï-Wan Science Park, l'un des grands parcs scientifiques du pays, offre 7 000 postes vacants. Du coup, le Conseil du travail vient d'annoncer qu'il pourrait assouplir cette loi pour en exempter notamment les Chinois d'outre-mer.
Et Cheryl Tseng d'ajouter : « Ce n'est pas légal d'empêcher les gens de partir, tout ce que l'on peut faire, c'est attirer les étrangers autrement que par l'argent. » C'est aussi ce que pense Chang Chun-fu lorsqu'il souligne que les Chinois, par exemple, peuvent être séduits par une « certaine qualité de vie, une vraie liberté » que peut leur offrir Taïwan.
Mais il a également une autre idée, celle d'embaucher des retraités aux États-Unis et au Japon. « Le salaire est moins important pour eux que l'environnement qu'ils peuvent trouver. Or ils ont, notamment dans les domaines de la santé, une expertise qui peut nous être très utile. » L'expérience a été tentée dans une université du sud de l'île avec des enseignants nippons âgés de plus de soixante ans. Il semble qu'elle donne des résultats tout à fait satisfaisants.
Arnaud Rodier
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