lundi 13 juin 2011

ENQUÊTE - La France des connivences - Marie Huret

Marianne, no. 738 - Événement, samedi 11 juin 2011, p. 24

L'élite politique, médiatique et les grands patrons pratiquent impunément la confusion des genres, les petits arrangements entre amis et la cooptation. Une caste qui n'est pas celle de la France "d'en haut" ni celle "d'en bas", mais de plus en plus la France "d'à côté".

C'est un soupçon tenace comme une trace d'ADN sur un col de chemise d'employée du Sofitel. Une suspicion incrustée dans l'opinion depuis l'affaire Strauss-Kahn : de ses conquêtes, les journalistes auraient tout su ; de ses assauts, volontairement tout tu. "Sur DSK, on a raconté tout ce qui était racontable", a justifié le Nouvel Observateur. "Une rédaction n'est pas la brigade des moeurs", a plaidé Libération. N'empêche, l'arrestation du patron du FMI pour agression sexuelle, le 14 mai à New York, a levé le voile sur les liens, réels ou fantasmés, de connivence entre les médias et les responsables politiques. Ils se côtoient et se tutoient. Ils dînent ensemble. Des vieux complices ? Un influent entre-soi où se mêlent les ministres, les éditorialistes, les communicants...

Le 19 mai, le New York Times fustigeait l'indulgence coupable du microcosme parisien. La France, persuadée d'avoir fait la révolution, accuse le quotidien américain, s'est simplement donné une nouvelle élite plus puissante : "Ses membres se croient si indispensables à la bonne marche du pays qu'essayer de faire tomber l'un d'eux équivaut à menacer d'abattre un cheval en compétition, parce qu'il a goûté à votre pelouse. Vous êtes censé vous taire, et le laisser brouter."

L'affaire DSK a délié les confidences des femmes, brisé le mutisme tribal d'un Tout-Paris qui calfeutrait les frasques sexuelles de nos dirigeants, de droite comme de gauche, mais les disséquait dans le cénacle des dîners. Le 30 mai, sur le plateau du "Grand journal" de Canal +, le philosophe et ancien ministre Luc Ferry a exhumé une bombe, une vieille rumeur, vestige des commérages de cocktails : "Un ancien ministre s'est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons." Qui savait ? "Les plus hautes autorités de l'Etat", affirme-t-il. Et "le Premier ministre" de l'époque. Et une "centaine de personnes" de l'establishment. Le 26 mai, c'est le secrétaire d'Etat à la Fonction publique, Georges Tron, qui démissionnait, accusé de harcèlement sexuel par deux anciennes collaboratrices de la mairie de Draveil. Qui savait ? Des bruits couraient. L'ex-directeur de cabinet, François-Joseph Roux, était au courant qu'"Eloïse" vivait "sous l'emprise de Georges Tron", il n'a rien dit, lui a conseillé de porter plainte, a-t-il confié au Parisien, puis a quitté la mairie en 2009 : "Georges Tron savait que je savais."

Désormais, la vague trash emporte tout, le silence prudent, comme les petits arrangements entre amis. Ce déballage généralisé à l'anglo-saxonne fait l'effet d'un électrochoc auprès des puissants habitués à protéger leurs secrets en famille. Jusqu'ici la ligne était à peu près claire : tant qu'une affaire privée n'avait pas de répercussion politique, il ne fallait pas en parler. Prudence ou accointance ? Deux récits dévoilent les filaments d'affect qui accrochent les gens de pouvoir les uns aux autres, les ficelant dans un ballet compliqué. Le patron du Point, Franz-Olivier Giesbert, l'assume : "J'ai toujours été un journaliste de connivence", écrit-il dans M. le Président (Flammarion), consacré à Nicolas Sarkozy. FOG n'est pas de l'école qui "préfère éditorialiser en chambre plutôt que de se laisser corrompre ou même distraire par la réalité". Pour la chasse aux infos, il dîne, tutoie, se frotte au pouvoir. Et le pique. Le chef de l'Etat l'aurait traité de "rat d'égout" et de "pervers fétide" !

Dans leur livre Off (Fayard), Nicolas Domenach, directeur adjoint de Marianne, et Maurice Szafran, PDG de l'hebdomadaire, racontent, eux, leurs vingt ans de fréquentation de Sarkozy, champion du tutoiement, qui enchevêtre "jusqu'à la nausée" l'intime et le politique. Leur viatique fut de briser l'off, ces confidences mises sous clé, cette "règle d'airain qui, depuis tant d'années, depuis que les journalistes modèlent en partie l'opinion publique, gouverne la relation entre les journalistes et les responsables politiques : la connivence, la complicité, la compréhension mutuelle".

Marché aux collusions

Le principal problème avec la connivence, c'est qu'elle ne se voit pas : elle se vit. Elle se déploie dans l'ombre du pouvoir, là où se fréquentent les patrons du CAC 40, les cadors des médias, des arts et des lettres, les chefs de parti... Des antiquaires du quai Voltaire, à Paris, au sélect green du golf de Morfontaine dans l'Oise, s'organise une géographie des ententes tacites. Elle se cultive dans les loges, toutes les loges, de l'opéra, du Stade de France, des francs-maçons. Elle se délecte le week-end, chez Olivier Nora, le PDG de Fayard, où se presse le Tout-Paris. Elle se restaure aux meilleures tables, les plus sélectives, celle de Jacques Attali, qui fréquente peu les clubs, mais initie des dîners chez lui. "On ne peut plus être riche tout seul. Il faut entrer dans le club des puissants, participer à des réceptions, souligne Fréderic Teulon, professeur d'économie à l'université De Vinci et qui a publié les FFD, la France aux mains des fils et filles de (Ed. Bourin). Le recrutement des élites est devenu plus fermé, l'ascenseur social, bloqué au début des années 70, a été remplacé par l'ascenseur familial. Sans pedigree ni réseau, il est difficile d'aller de l'avant. Il faut savoir se rappeler au bon souvenir du ministre, utiliser le bon avocat, envoyer ses voeux au député."

Tel est Paris, un immense marché des collusions, où l'on s'offre des soutiens, de l'affect et du baume pour l'ego. Le 30 mai dernier, l'influent patron de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière, conviait le gratin au théâtre du Rond-Point pour la soirée de sa fondation. Au casting, un millefeuille de VIP épais comme le Who's Who : une ministre (Roselyne Bachelot), une actrice (Isabelle Carré), une "femme de" (Penélope Fillon), un comique (Djamel), un ancien président (Jacques Chirac)... Cinq mois plus tôt, son prestigieux dîner de la Revue des deux mondes réunissait quelque 450 convives. Tout le monde, c'est-à-dire l'élite, s'y pressait pour écouter l'invité vedette, François Fillon. Ce soir-là, il y eut l'homme d'affaires de chez Dassault Rudi Roussillon, un grand banquier, l'éditorialiste de Valeurs actuelles, François d'Orcival, le PDG d'Altran (et actionnaire de Marianne), Yves de Chaisemartin... Ils dînent, et alors ? Un coup de fourchette n'a rien de délictueux. Ce n'est pas du trafic d'influence, c'est plus subtil que ça. "Il n'y a rien d'illégal, rien de franchement scandaleux puisque l'on est entre amis. Mais ça crée un esprit de caste, des non-dits, des passe-droits, raconte l'un des invités, figure du milieu de l'édition. Quand vous dînez avec un ministre, ça vous trouble le jugement, la subjectivité envahit tout. C'est une manière de s'éviter des coups, de paralyser l'autre : on se connaît, donc on s'arrange. Et, si on se combat, on s'épargne."

Qu'elle semble loin, la France d'en haut, stigmatisée par l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin par opposition à la France d'en bas ; il faut désormais parler, en 2011, d'une France "d'à côté". Les puissants sont en train de devenir "les autres", vivant non plus au-dessus mais "dans un monde parallèle", déconnecté du réel. C'est ce que montre l'enquête passionnante, publiée en février par Publicis Consultant : les Français n'aiment plus leurs élites. Une centaine de personnes appartenant aux classes moyennes se sont épanchées lors d'entretiens qualitatifs : elles gagnent entre 1 800 e et 3 000 e par mois, triment dans la "mouise", une réalité chiche et déprimante. "En fait, nous vivons encore une forme de royalisme, l'argent va à l'argent, et les autres crèvent de faim", dit l'un des interviewés. La plupart disent redouter un nouveau 21 avril à la présidentielle de 2012, généré par le poison du "tous pourris, sauf une, Marine Le Pen"... Un interviewé tacle : "Tous des pantins complètement déconnectés de la réalité au quotidien, qui n'ont pour seule ambition que d'accroître leur fortune et leur petit confort."

Dans un pays frappé par la crise, tout le monde a le même réflexe, on s'entraide : "Tu peux m'arranger ça pour mon fils ?" Sauf qu'ici, les voisins, les collègues, les amis appartiennent à la sphère des privilégiés. Ici, on se renvoie l'ascenseur, mais ça va plus vite, et plus haut. Comme le dit Philippe Bouvard, pygmalion des "Grosses têtes" sur RTL, membre de l'extrêmement discret club des Cent qui réunit des gastronomes (le critique Bernard Pivot, le faiseur de rois Claude Bébéar...) : "Le piston ne marche qu'avec les huiles."

Sphère d'interférences

L'entremetteur le plus prisé de Paris ? Le Siècle, fondé en 1944 par de jeunes et riches amis. C'est là, place de la Concorde, dans les salons cossus de l'Automobile Club de France, qu'un mercredi par mois s'attablent 400 membres et invités, soigneusement cooptés. On n'y vient pas pour les mets - de l'aveu de son ex-président, le PDG Denis Kessler, on y mange plutôt mal - mais pour le plan de table. On se fiche d'être de droite, de gauche, l'essentiel, c'est d'y être. Parmi ses membres, le journaliste Emmanuel Chain, la gardienne du temple Pinault, Patricia Barbizet, l'ancien patron de France Télévisions, Marc Tessier, le PDG du musée du Louvre, Henri Loyrette... "Le rituel est rodé, ça commence par un cocktail où tout le monde fait son marché, on repère celui avec qui on veut discuter, raconte un habitué. Vers 21 heures, on passe à table." Des tables de huit, chacune savamment composée - un chef d'orchestre, un préfet, un banquier... - menée par un président, autour d'un sujet d'actualité. Rien de crucial ne s'y décide, mais des liens se tissent. Et l'information, le nerf de la guerre, circule. Qui va où ? Qui recrute qui ? "Les gens se distribuent en permanence les postes, trustent les emplois de prestige, poursuit le membre du Siècle. Prenez le mercato des médias, les élites ne se renouvellent pas. C'est tournez manège avec les mêmes !" Exemple, le trust des normaliens. C'est le patron Denis Olivennes (normalien) qui rejoint Nicolas Demorand (normalien) alors sur Europe 1. L'animateur a lâché "C politique" sur France 5. Qui arrive ? Géraldine Muhlmann (normalienne).

Autre sphère d'interférences, les revues. Pilotée par Nicolas Demorand, toujours lui, et le politologue Olivier Duhamel, la collection du Seuil "Médiathèque" permet de faire signer les amis et la famille : comme un certain Sébastien Demorand, "frère de" et critique gastronomique. Au comité de rédaction de la revue Pouvoirs ? Olivier Duhamel et Géraldine Muhlmann. La boucle est bouclée.

Simple comme un coup de fil

Plus le club est fermé, plus il est chic. Plus les positions sociales se préservent. Il se murmure que l'impétrant de l'Interallié doit patienter deux ans. Vrai ou pas, ça renforce la réputation. Dans son Guide du networking qui paraît le 9 juin, le chef d'entreprise Alain Marty dresse la liste des 150 cercles les plus influents. Il en préside un depuis vingt ans, le Wine & Business Club, dédié aux amateurs de vin. Les grands crus se dégustent au Bristol en écoutant les patrons débattre : Jean-Claude Trichet, Daniel Bouton, Christophe de Margerie... Il faut payer entre 5 000 e et 10 000 e par an. "Il y a toujours une notion d'intérêt, cela permet de se faire plaisir et de se rendre des services, souligne Alain Marty. Vous avez besoin d'une consultation avec un cardiologue ? Vous gagnez huit semaines. Nicolas de Tavernost, patron de M6, change la grille des programmes ? Vous avez les noms qui circulent." Chaque mois, Alain Marty reçoit des coups de fil "d'amis" qui rêvent à la Légion d'honneur. Connaît-il un préfet, un ministre ? "L'autre jour, dit-il, un grand patron voulait que ce soit Christine Lagarde qui la lui remette."

Déjà, dans les années 60, le futur patron du Point, Claude Imbert, de retour d'Afrique où il fut journaliste à l'AFP, s'était fixé, pour accélérer sa carrière, une liste de 100 à 200 personnalités à inviter à dîner à Paris, de Jack Lang à Jean-François Deniau. La confusion des genres a toujours existé sous la Ve République, mais elle s'est renforcée depuis que l'Etat s'est délité : quand on veut quelque chose, on se tourne vers ses semblables. La République people a remplacé l'élite administrative. Nicolas Sarkozy l'a intronisée la nuit de son élection, le 6 mai 2007, au Fouquet's où se côtoyaient Vincent Bolloré, Henri Proglio, Jean Reno, Alain Minc, Bernard Laporte... Quand l'ex-patron de Vivendi, Jean-Marie Messier, organise son retour à Paris, il organise un dîner où se retrouvent le ministre Eric Besson, le nouveau patron de France Télécom, les anciens de Vivendi... Les liaisons dangereuses entre le pouvoir et les barons du CAC 40 provoquent parfois des clashs, des luttes violentes : apprenant que Marc Ladreit de Lacharrière était sur les rangs pour racheter les Echos, Nicolas Sarokzy, qui, lui, soutenait Bernard Arnault de LVMH, s'est mis en colère. Il a tenté de dissuader le patron de Fimalac. Le chef de l'Etat a alors cessé de remettre le prix de l'Audace créatrice, fondé par... Marc Ladreit de Lacharrière.

C'est sur le mode de l'évidence que se recrutent les élus de la connivence. Dans cette société de cour, les quémandeurs trop pressants sont vite balayés. Les sociologues Michel et Monique Pinçon-Charlot ont passé leur vie à décrypter les rites du ghetto du gotha - ils actualisent leur livre à succès, le Président des riches (éd. Zones). Le couple s'est fait inviter à des dîners, tels des anthropologues sous les riches tropiques. Ils se sont retrouvés à la table d'un châtelain, d'une artiste peintre, d'un rentier... Les convives parlent de contrats, jamais d'argent, passent de l'anglais à l'espagnol, la connivence s'internationalise. "Ces gens-là passent un temps inouï à rencontrer leurs semblables, c'est un travail social important. Ils sont construits pour que ça leur plaise, relève Michel Pinçon. Leur appartenance commune aux amicales d'anciens élèves, aux associations de défense du patrimoine, aux conseils d'administration de Total ou de BNP Paribas finit par gommer les clivages. Leur vie mondaine permet de potentialiser leurs pouvoirs."

Potentialiser, chez les élites, c'est simple comme un coup de fil. En juin, le directeur de Sciences-Po Paris, Richard Descoings, reçoit des appels délicats. Trois jours avant les examens de la prestigieuse institution, une personnalité de "forte influence" lui a demandé des conseils de révisions de dernière minute pour sa fille. Boutade de Richard Descoings : "Dites à la petite de relire tout René Rémond !" Alors jeune directeur, il a dû poliment refuser la candidature d'un ex-ministre qui souhaitait se recaser comme professeur. "Vous devez parfois adopter des méthodes rugueuses, désagréables, explique Richard Descoings, mais vous avez la paix, parce que ça se sait." Fils de médecins, ex-conseiller d'Etat, Descoings se voit comme "un petit-bourgeois monté en graine trop vite". Classé dixième à la sortie de l'ENA, il entend un camarade moufter : "T'es qui, toi ?" Lui n'a jamais fait partie de ces écuries, les groupes de révisions d'énarques, ni de l'élite qui, dès 12 ans, partage les lycées, les vacances d'été. "La connivence n'est pas conspirationniste, dit-il, c'est pire, elle se fait naturellement." Agitateur engagé, Descoings a bousculé l'institution en créant une voie d'accès au concours pour les élèves de ZEP : plus de 700 jeunes recrues en dix ans. "Mais il faudra plusieurs générations, prévient-il, avant que les mères n'invitent un jeune Black de Drancy dans les rallyes mondains du VIIe."

La proximité spatiale cimente la vie des connivences, nichée dans les VIIe, XVIe arrondissements de Paris et à Neuilly. La proximité scolaire aussi, l'ENA ou l'X. Près de la moitié des patrons du CAC 40 sont passés par là, de même que les politiques. "Il y a beaucoup d'expressions pour qualifier le système : la bande des copains, les liens incestueux, l'économie consanguine. Les patrons font rentrer dans leurs conseils d'administration leurs camarades croisés à l'ENA ou dans les cabinets, souligne Philippe Villemus, professeur à Sup de co Montpellier, qui a publié le Patron, le footballeur et le smicard (éd. Dialogues). Au sens strict du terme, ce n'est plus un marché mais une coterie. Les nominations sont souvent le fait du prince : en juillet 2010, le CAC 40 comptait neuf patrons parachutés par le pouvoir politique, soit un quart d'entre eux !"

Tout ce petit monde se retrouve à l'Opéra. La fréquentation des scènes lyriques resserre les liens. Lors de l'entracte du Werther de Jules Massenet, à Bastille, les invités se retrouvent pour un verre : des patrons, des ministres, des ex-ministres. On y croise Jean-Jacques Aillagon, qui discute de réforme territoriale avec Gérard Longuet. Au parterre se retrouvent Jean-Bernard Lévy, président du directoire de Vivendi, son épouse, et le banquier de chez Lazard, Bruno Roger, ça ne discute pas d'affaires mais du festival d'Aix-en-Provence. Présidée par l'ex-patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, l'Association pour le rayonnement de l'opéra, attire 360 mécènes acquittant au minimum 1 900 e par an. "Les dirigeants du CAC 40 ne sont pas des atomes totalement indépendants, souligne François-Xavier Dudouet, spécialiste des élites à l'université Dauphine. C'est un milieu social organisé, où le capital relationnel compte beaucoup. L'élite qui cultive les arts se distingue des nouveaux riches."

Intérêts publics et privés

Pas facile de briser cette caste qui partage tout. L'ex-haut-commissaire aux Solidarités actives, Martin Hirsch, s'y est essayé en publiant Pour en finir avec les conflits d'intérêts (Stock), provoquant une fronde chez les politiques, puis, finalement, un projet de loi. Enarque et normalien, Hirsch maîtrise les réseaux, sait en jouer, mais regrette la perversion du rêve méritocratique. "C'est tout un art, la connivence, dit-il, trop de connivence devient du conflit d'intérêts. Si vous rendez un service à quelqu'un, il vous rend un service, le système se renforce." Mais nul n'y échappe, même pas lui, l'électron libre, le "chevalier blanc" de la politique qui prône l'étanchéité absolue entre l'intérêt privé et public. C'est lui qui épargne, en pleine affaire Bettencourt, le ministre du Travail, Eric Woerth : "Un ami." Lui qui rend des services. Il suit le dossier RSA de la fille de Michel Sardou à la demande de l'Elysée. Il prend en stage dans son équipe le fils d'une actrice. Aujourd'hui à la tête de l'Agence du service civique, il s'est fixé une ligne de conduite : "On peut rendre des services entre gens normaux sans y trouver son compte personnel." Il ne croit pas à la "pureté absolue". Si c'est Hirsch qui le dit... M.H.



PLAZA ATHÉNÉE, PALACE D'AMBIANCE
Joanna Sitruk

Entre Dior et Chanel, à deux pas de Louis Vuitton, pas très loin de Gucci, le Plaza Athénée est le lieu où il faut être, mais surtout être vu. Hommes d'affaires étrangers, patrons du CAC 40, figures politiques, acteurs renommés fréquentent ce palace mythique de l'avenue Montaigne. Les noms les plus fréquemment cités sont ceux d'Isabelle Adjani, de Jean-François Copé, Thierry Ardisson et Nicolas Beytout, PDG du groupe Les Echos. Certains profitent de l'un des cinq restaurants étoilés dirigés par le chef Alain Ducasse, pour organiser leurs petits déjeuners et déjeuners professionnels. Le personnel doit alors faire preuve de créativité pour éviter l'incident diplomatique : "Il ne faut pas que le dirigeant d'Orange soit à côté de celui de SFR, c'est encore plus compliqué que d'effectuer le plan de table d'un mariage juif !" confie un employé. D'autres se retrouvent dans les fauteuils douillets du bar à l'ambiance tamisée ou se donnent rendez-vous dans les jardins subtilement ombragés. "Je suis particulièrement adepte de l'atmosphère secrète qui flotte dans cet hôtel, j'aime y emmener mes clients pour les impressionner, glisse un habitué. En général, c'est assez efficace." Ici, pas de droit d'entrée ni de tenue imposée. Il faut néanmoins mettre la main au porte-monnaie pour s'offrir un mets estampillé "Plaza Athénée", et encore plus pour y dormir... De 715 € la nuit pour une chambre individuelle à 22 000 € pour une virée nocturne dans la suite royale.

GOLF, TRÈS CLUB !
J.S.

"Somptueux, huppé et impénétrable"..., tels sont les adjectifs taillés pour le golf de Morfontaine, dans l'Oise. Ce club, fondé en 1913 par le duc de Gramont, est le parfait symbole de la connivence au sein de l'élite française. Qui vient ? Motus. Après enquête, Edouard de Rothschild, l'un des propriétaires du quotidien Libération, Antoine Bernheim, le président de Generali, et Claude Bébéar, ancien patron d'Axa, s'entraîneraient sur le parcours de 18 trous. Devenir membre relève du parcours du combattant : il faut d'abord attendre un départ, car le club, adepte du numerus clausus, ne compte que 450 cartes d'accès. Le postulant doit ensuite racheter les actions vendues par l'adhérent sortant, soit une somme avoisinant les 25 000 € ! Enfin, la candidature, examinée par un comité, doit être validée lors d'un vote à bulletins secrets. Donc, à moins de faire partie des privilégiés ou de leurs invités, il est impossible de pénétrer dans le golf. Mais "certaines personnalités nationales et internationales réussissent à obtenir un passe-droit", dévoile un membre du club. François Mitterrand et le poids lourd du cinéma Clint Eastwood en auraient bénéficié.

QUAND LES APPÉTITS DE POUVOIR SE METTENT EN PLACE

Nicolas Sarkozy et Cécilia s'y sont affichés, en 2006, pour faire savoir qu'ils étaient de nouveau ensemble. L'Esplanade, face aux Invalides, en plein quartier des ministères, est le haut lieu de rencontre entre politiques et journalistes : on épie qui mange avec qui. Se restaurer est un signe extérieur d'influence, surtout rive gauche, où les restos de pouvoir servent de coulisse aux confidences. Parmi les habitués de l'établissement des frères Costes : l'ex-garde des Sceaux Rachida Dati, le député PS proche de DSK Jean-Marie Le Guen, le jeune président de l'INA, Mathieu Gallet, et le mari de Simone Veil, Antoine Veil, proche de Bolloré. On y croise, de temps en temps, Catherine Pégard, l'ancienne journaliste du Point devenue conseillère de Sarkozy, ainsi qu'Anne Hommel, conseillère com de DSK chez EuroRSCG, et le politologue Pierre Giacometti. C'est là que pendant la dernière campagne présidentielle s'étaient affichés Royal et Hollande. "Le café est bon, moins la bouffe, raconte un habitué, journaliste politique. Ce qui est bien, c'est qu'on y croise des happy few, mais beaucoup moins qu'au Bristol. C'est un endroit où l'on est vu, mais qui est tranquille. Il y a des députés, mais beaucoup moins qu'au Bourbon, des journalistes, mais moins qu'à L'Avenue. Et c'est plus simple que le Lutétia."

LOGÉS DANS LES STADES

Il faut y être invité, ou, mieux encore, y inviter. Les loges VIP du Stade de France attirent les patrons du CAC 40 fans de rugby, qui y croisent les politiques et patrons de presse. On y boit du champagne en discutant avec Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France. On y a vu, lors d'un match Stade français-Perpignan, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, l'un de ses vieux copains, Max Guazzini, l'ex-patron de NRJ, et le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy... "C'est un endroit couru, du relationnel de haut niveau. Ne viennent que les gens les plus importants, souligne un habitué. Cela permet de tisser des liens tout en se faisant plaisir. Dans les loges, les entreprises invitent aussi leurs meilleurs clients pour les chouchouter, des PDG." Ces opérations de relations publiques coûtent cher aux entreprises : entre 100 000 et 200 000 € la loge à l'année, pour ne recevoir qu'une douzaine d'invités. Qu'ils siègent au Palais-Bourbon ou au Parlement européen, à Strasbourg, les députés sont énormément sollicités. Le rugby fédère : on compte de grands patrons parmi les aficionados, Claude Bébéar ou Jean-René Fourtou... Créé en 2010, le cercle Entreprise & rugby (522 membres) organise des soirées dans les salons de l'Automobile Club de France : Fabien Pelous y a récemment croisé Manuel Mallen, directeur général de l'horloger de luxe Baume et Mercier.

L'ENTRE-SOI SCOLAIRE

Rien de clinquant, juste un mur de brique rouge qui abrite l'école Jeannine-Manuel, dite l'"Ecole bilingue" : c'est là, rue du Théâtre, dans le XVe arrondissement à Paris, que se crée, dès le berceau ou presque, le réseau des enfants du microcosme des affaires, politique, médiatique et du show-biz. Cet établissement privé, à la fois école primaire, collège et lycée, est l'un des plus prisés des élites. Les résultats au bac y sont aussi élevés que les frais de scolarité : jusqu'à 4 700 € par trimestre en terminale. S'y côtoient les fils et les filles de diplomates, d'aristos, de pilotes de ligne, de grands médecins, de grands avocats, de grands journalistes. Un ancien élève égrène la liste de ses camarades : "Mmm... Le fils de Marin Karmitz... On avait aussi la fille du patron du Figaro, le fils de Victoria Abril, le petit-fils de Monet, le fils du patron de Mercedes France, le fils du plus grand spécialiste de la chirurgie de la main, la fille d'un haut placé à la Fifa, le fils du patron de Disney France..." Des liens se tissent entre les familles étoffant le réseau des connivences. L'été, tout ce petit monde s'invite dans les propriétés familiales, en France ou aux Etats-Unis... "C'est "Gossip Girl" en vacances", raconte une ancienne élève. Pas facile d'intégrer l'Ecole bilingue en sixième. Il faut passer des tests. "Cela ne suffit pas d'avoir de l'argent et le niveau, il faut aussi être coopté, dit-elle. Ensuite, le réseau dure toute la vie. C'est tellement international qu'aujourd'hui je peux choisir n'importe quel pays, je connais quelqu'un." Qui est à son tour avocat, psychiatre, agent de cinéma.



DSK a-t-il profité de connivences ?
Daniel Bernard

La popularité, la stature, les réseaux du leader déchu de la gauche l'ont-ils protégé au-delà du tolérable ? Peut-être est-il trop facile de voir de la connivence là où s'installait juste une dynamique "politique".

Le mot s'est imposé très vite après le premier tweet annonçant l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn. Passé la stupeur, les interprétations ont convergé vers un pont aux ânes, "connivence" ! La couverture médiatique française des premiers actes de la procédure judiciaire, puis le rappel de la présomption d'innocence et, a fortiori, les réactions de Jack Lang et consorts ? Autant de preuves de connivence ! De fil en aiguille, il n'a plus été question que de la "connivence" d'une élite machiste envers un violeur en puissance. Enfin, toute la carrière du quasi-candidat à la présidentielle a été revisitée au prisme unique de l'odieuse "connivence". Une accusation doublement commode : primo, elle dispense d'établir des faits en s'inscrivant dans le registre de la conspiration ; secundo, elle évite de formuler les remèdes aux maux qui rongent vraiment l'esprit public.

Au sens du dictionnaire, nul ne saurait être de connivence qu'avec un individu qu'il côtoie - et dont il dissimulerait une faute. Or, si Dominique Strauss-Kahn avait de l'entregent, son aura dépassait largement le petit cercle des mondanités parisiennes. Il déjeunait, il dînait en ville, avec ou sans son épouse, Anne Sinclair. A Noël et l'été, le couple hébergeait aussi quelques intimes dans le luxueux riad de Marrakech. Soit. Aussi célèbres soient-ils, ses amis choisis ont gardé leur lustre, mais leur influence s'est délavée : les Badinter, Bernard-Henri Lévy, Simone et Antoine Veil, Pierre Arditi et Patrick Bruel, Jean-François Kahn et sa femme, Rachel... Une telle brochette de préretraités plus ou moins actifs aurait le pouvoir de propulser un homme à l'Elysée en 2012 alors qu'elle n'est même pas parvenue à l'imposer au sein du PS en 2007 ?

Il faut chercher ailleurs que dans la connivence la troublante mansuétude dont bénéficiait Dominique Strauss-Kahn chez les grands patrons et quelques très hauts cadres, dans la haute fonction publique, auprès des dirigeants politiques, ainsi que dans la presse. A distance, sans contact personnel, d'autres ressorts expliquent un soutien aveugle. "Son intelligence, son magnétisme !" avancent ses admirateurs. Certes. Mais aussi, d'abord et surtout, le conformisme social-libéral, la solidarité de classe, l'instinct grégaire, l'esprit communautariste juif, ainsi que sa perméabilité personnelle au lobbying. Le titre choisi par son dernier biographe Michel Taubmann, le Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn (éditions du Moment), est typique d'un contresens qui fait primer la littérature sur l'histoire économique et la science politique.

Six jours avant que l'épopée strauss-kahnienne ne tourne au fait divers, Jean-Pierre Chevènement analysait, dans l'Expansion, la "conversion au néolibéralisme" de la gauche française. Les étapes sont connues : 1983, 1992, 1997, tournant de la rigueur, traité de Maastricht, renoncements jospiniens. Or, précisément, cette métamorphose est celle de Dominique Strauss-Kahn, marxiste dans les années 70-80, glissant, au fil des ans, vers le libre-échange et révisant, à la baisse, le rôle de l'Etat. Parallèlement, la gauche s'est complu dans la défense des droits des individus - droit de migrer, de partir en RTT, d'assumer sa différence, de faire la fête, de s'aimer comme on le veut, etc. -, revendiquant parfois, comme l'hédoniste de la place des Vosges, le "libéralisme politique". Ce mouvement a été trop bien analysé pour être, sous le choc du Sofitel, brutalement escamoté derrière la si romanesque "connivence". Il n'est pas toujours inutile d'enfoncer des portes ouvertes : Strauss-Kahn n'a jamais été aussi populaire, dans l'élite et bien au-delà, que lorsqu'il défendait, avec plus de talent que d'autres, l'ouverture du capital des monopoles publics de l'énergie (EDF-GDF) "sans graver dans le marbre le seuil des 50 %", ou lorsqu'il déclarait, à propos de la retraite à 60 ans : "Je ne pense pas qu'il faille y voir de dogme. Le monde change très vite et on vit dans la mondialisation, qui a des avantages, des inconvénients, mais c'est la réalité, il faut tenir compte de cela." Divertissante, la traque des accointances privées ne devrait pas éluder la question stratégique majeure : un responsable de gauche est-il fondé à chercher un supplément de popularité dans l'électorat de droite ?

L'immense admiration suscitée par la journaliste Anne Sinclair, quatorze ans après l'extinction des lumières sur le plateau de son émission "7/7", a sans doute rejailli sur son homme. Grâce à elle, "Domi" a franchi le fossé qui sépare le magma des tâcherons de la politique des rares people aptes à faire la couverture de Paris Match et de Gala. Mais sa promotion par le Point, les Echos ou les pages saumon du Figaro n'est pas à mettre sur le compte de la "connivence". Lors de la publication de son essai théorique, certains bons lecteurs, dans ces journaux, ont dépassé l'accroche jaurésienne du titre, la Flamme et la cendre, et autres fanfreluches. Ainsi, le philosophe François Ewald salue dans une critique la "valorisation du risque" par DSK. Ce compliment n'est pas anodin, venant d'un idéologue de la droite qui distingue dans la société "riscophiles" et "riscophobes", conseiller, à l'époque, du président du Medef, Ernest-Antoine Seillère !

Populaire, intouchable

De fait, Strauss-Kahn a rallié à son panache tous ceux qui estiment que l'avenir dépend des créatifs (industriels et chercheurs), qu'il faut encourager par des incitations fiscales, l'Etat se bornant à assurer l'égalité des chances, tandis que les dégâts sociaux du progrès sont réparés par les assurances. Plus que le joueur d'échecs qu'ils pouvaient croiser dans les salons VIP des aéroports, c'est ce socialiste furieusement "moderne" qui était applaudi à Davos, rendez-vous hivernal des maîtres du monde.

Mieux valait un keynésien de cette engeance que la poussiéreuse droite étatiste. Merci à l'inventeur du "contrat DSK", une assurance vie défiscalisée qui avait ravi les banques ! Merci au ministre qui a su privatiser, selon l'expression enthousiaste de l'économiste Elie Cohen, "plus et mieux que ses prédécesseurs". Merci au visionnaire qui a réduit la fiscalité sur les stock-options et a ouvert la porte aux superrémunérations. A ce titre, Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn étaient, avant la présidentielle de 2007, interchangeables aux yeux de la "nouvelle aristocratie", ce "nouveau groupe dominant" analysé en 2005 par Lionel Jospin (Le monde comme je le vois, Gallimard).

Sans appartenir à cette caste autrement que par son train de vie, DSK n'avait rien fait pour s'en distinguer et la contrecarrer. Extrait du livre de Lionel Jospin : "Il peut venir à l'esprit de demander à ces chantres du sacrifice ce qu'ils sont prêts, pour les besoins de la bataille économique, à concéder eux-mêmes [...]. Mais la rationalité économique a réponse à tout. On ne saurait toucher aux profits, imposer davantage le capital, limiter les salaires extravagants sans décourager les initiatives et paralyser les énergies créatrices, sans provoquer des désinvestissements et des délocalisations d'entreprises [...]. Des tentations aussi fâcheuses seraient antiéconomiques et nuiraient finalement à tous. Elles ne sauraient donc être envisagées." Réponse de DSK dans 365 jours, son propre livre publié en 2006 (Grasset) : "Sans être révolutionnaire, c'est un très bon livre. La "nouvelle aristocratie" est une formule bien trouvée. Voilà une contribution de gauche à la lecture de notre société. Il y a là du grain à moudre pour une présidentielle." Plus sobre, ce n'était pas jouable !

Aussi contestable soit-elle, cette ligne idéologique ne le disqualifiait pas, bien au contraire. Non seulement aux yeux de quelques "connivents", mais encore auprès d'une large part de l'opinion. Impossible de dépasser le seuil de 50 % de souhaits de victoire à la présidentielle sans le soutien d'une part des sans-grade qui ne fréquentaient pas les clubs, diurnes ou nocturnes, où Strauss-Kahn avait ses entrées. Bonnes audiences, bons sondages, il n'en faut alors pas plus pour emballer la machine médiatique. La présomption de popularité rend intouchable, connivence ou pas. Plus encore que les puissants, la presse révère les personnalités qu'elle croit populaires, de Zinedine Zidane à Simone Veil en passant par Arlette Laguiller, quand la trotskiste obtuse fut à la mode.

Les journalistes ne se sont donc pas précipités pour casser le mythe DSK, astucieusement promu par d'habiles propagandistes. Prudence renforcée par la crainte qu'une critique trop appuyée puisse être ramenée, comme l'avait fait Jean-Christophe Cambadélis en réponse à Jean-Luc Mélenchon, à "des arguments que l'on entendait dans les années 30". Excepté Jean-Pierre Chevènement, qui osait relire le rapport remis par DSK au président de la Commission européenne, Romano Prodi, en 2004, et pointer "la volonté de gommer la nation" ? L'accusation d'antisémitisme a également dissuadé d'aller voir du côté de Sarcelles, la commune d'élection de Strauss-Kahn, la mise en oeuvre d'une politique communautariste orthodoxe.

Silence contraint

Pour autant, lorsque, en 1999, éclate le scandale de la Mnef, "Magic Strauss-Kahn" n'est pas épargné et doit quitter Bercy. "Pourquoi protège-t-il la droite ?" s'est-on encore interrogé lorsque la justice l'a suspecté d'avoir "soustrait un document qui était de nature à faciliter la découverte" des magouilles du RPR chiraquien, en omettant de transmettre au procureur le témoignage explosif du promoteur Jean-Claude Méry. Manifestement, la supposée connivence - qui empêcherait, dit-on, les enquêteurs d'enquêter - laisse souvent la place au panurgisme et au défaut de curiosité.

Ainsi, dans la dernière période, en arrachant depuis Washington le drapeau de "meilleur adversaire de Nicolas Sarkozy", l'alors directeur général du FMI avait cloué le bec à nombre de dirigeants politiques qui s'apprêtaient à voter pour lui avec une pince à linge sur le nez. Mais ce silence contraint, évidement contestable, était le résultat d'une croyance sincère : l'absence d'offre alternative. Protégé, au moins provisoirement, DSK l'aurait-il été malgré une réputation établie de dangereux malade sexuel ? Peu probable. Le Tout-Paris ne dissimule pas une collection de scandales sexuels comme ont été cachés, hier, les secrets de famille de François Mitterrand. En revanche, la tolérance française pour le sexisme - drague lourde, main aux fesses et inégalité salariale - relève du fardeau national. En haut, mais aussi en bas de l'échelle sociale...

En outre, depuis l'annonce de la plainte pour viol, seule la presse anglo-saxonne, en manque de traducteur sans doute, a pu lire de la complaisance dans le traitement réservé au présumé innocent.

De son art de fidéliser...

Au cours de sa carrière, DSK a eu le don d'additionner les fidèles. Des politiques séduits par son brio, des intellectuels stimulés par son goût du débat, des crânes d'oeuf estomaqués par son excellence technique, des journalistes voulant vivre au plus près une aventure politique, et aussi des aigrefins et des profiteurs. Strauss-Kahn a fait une place aux derniers comme aux autres. Entre 1993 et 1997, notamment, alors qu'il n'a plus aucun mandat, il commercialise son expérience d'ancien ministre auprès des grands patrons qui parient sur son prochain retour aux affaires. Le Cercle de l'industrie, qu'il a présidé avant de le transmettre à son ami Pierre Moscovici, n'est pas une association philanthropique mais un lobby. Jusqu'au 15 juin, les publicitaires d'Euro RSCG ont utilisé, eux aussi, le rayonnement promis de DSK pour capter de nouveaux clients. Jamais le présidentiable n'a jugé utile d'installer un cordon sanitaire entre son ambition politique et les agissements de quelques estampillés "strauss-kahniens" appointés par Lagardère, Veolia ou EDF.

D'une phrase, en novembre dernier, Anne Sinclair avait balayé cet embrouillement d'intérêts, cette confusion des lignes idéologiques, cet éclectisme dans les fréquentations : "Il faut être tordu pour se dire que Dominique n'est pas de gauche." En réalité, l'étiquette politique n'était qu'une des multiples questions soulevées par l'élection annoncée de Dominique Strauss-Kahn. Sa sortie de route en suscite encore de nouvelles. Ni les unes ni les autres ne se régleront par la publication de l'annuaire des clubs, cercles, golfs et restaurants où s'abrite ladite "connivence" des présumés puissants. D.B.

AU PS, DES PLACARDS DE LA CONNIVENCE ?
Gérald Andrieu

L'affaire DSK a fait remonter à la surface quelques affaires délicates sur lesquelles le PS préférait fermer les yeux. En mars 2010, la condamnation de Jacques Mahéas, sénateur-maire de Neuilly-sur-Marne, pour agression sexuelle envers une de ses employées était confirmée en cassation. Ce n'est qu'aujourd'hui, neuf ans après les faits, que la commission des conflits du PS vient d'être chargée de se pencher sur ce cas embarrassant : Mahéas peut-il rester membre du PS ? Dans un courrier à Martine Aubry dévoilé par Mediapart, Benoît Hamon estime, lui, que les "actes" et la "condamnation" de Mahéas "sont de nature à porter préjudice au parti". Autre affaire délicate, celle de Pascal Buchet. Le maire de Fontenay-aux-Roses a comparu début mai devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour "harcèlement moral" après le suicide, en 2007, de sa directrice de la communication. Aubryste, ce premier secrétaire fédéral des Hauts-de-Seine a été choisi pour briguer le poste de sénateur laissé vacant par l'irréprochable Robert Badinter. Un an de prison avec sursis a été requis. Jugement fin juin...


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