Le Monde - Economie, samedi 18 juin 2011, p. 19
La hausse des prix en Chine oblige les entreprises à fermer ou à se reconvertir. Ce changement de modèle se fait dans la douleur
L'inévitable hausse des salaires pèse sur les usines chinoises. Leur succès s'appuyait sur une main-d'oeuvre peu onéreuse et réputée pour sa capacité à ravaler son amertume. Mais, un an après une série de suicides et de grèves, le salaire minimum a grimpé d'environ 20 %, avec des variations selon les régions. Un impayé de longue date, jugent les associations de défense des droits des travailleurs, mais les petites et moyennes entreprises souffrent.
Bu Quangang, le vice-directeur de Yaorui, une entreprise spécialisée dans la production de briquets à Wenzhou, ville côtière à 500 kilomètres au sud de Shanghaï, explique que le besoin de relever les salaires « dans l'urgence » s'est fait sentir dès 2010. Il a fallu motiver les travailleurs migrants du centre du pays pour les faire venir alors que le coût de la vie ne cessait d'augmenter.
Depuis, dit M. Bu, les petites et moyennes entreprises (PME) subissent des augmentations annuelles des salaires à un rythme de 15 % à 30 % déduit de leurs marges. « Les ouvriers sont jeunes, leurs besoins sont différents de ceux de leurs parents. Ils veulent le salaire ainsi que la sécurité sociale, des divertissements, de meilleuresconditions de vie, constate M. Bu. Ils vont simplement dire qu'ils savent qu'une autre entreprise propose davantage qu'ici, qu'ils vont bientôt démissionner. Ils se fichent de vous puisqu'ils savent qu'il y a pénurie de main-d'oeuvre. »
Jack Huang, le patron de Fengyuan, un concurrent dans la production de briquets à Wenzhou, confirme que certains ateliers mettent la clé sous la porte : « Ce sont de petites usines qui demandent un travail essentiellement manuel, beaucoup ferment. » Les salaires moyens des ouvriers s'approchent de 2 000 yuans (220 euros) par mois selon lui. « Les gens de Wenzhou préfèrent investir dans l'immobilier et les travailleurs cherchent plutôt à devenir serveurs dans la restauration qu'à aller à l'usine », précise-t-il.
Les doléances des chefs d'entreprise opérant en Chine se multiplient avec la hausse des prix et des salaires. « C'est douloureux », explique Edward Tsui Ping Kwong, le vice-président de l'Association des producteurs chinois d'Hongkong. « Les salaires augmentent de 20 % en un an et vont doubler dans les prochaines années », dit-il.
La montée du yuan est un autre sujet de complainte, les commandes étant réglées en dollars, tandis que les salaires des ouvriers sont payés en monnaie locale.
S'ajoute enfin la politique de lutte contre l'inflation, devenue le principal objectif de Pékin. Elle se traduit par un resserrement du crédit qui frappe les entreprises, au moment où les prix des matières premières augmentent. Par ailleurs, des coupures d'électricité rendent nécessaire l'utilisation de générateurs, donc de pétrole, dont le prix augmente aussi.
Certains déménagent leurs usines vers le centre du pays, moins cher, la croissance ayant d'abord bénéficié aux régions côtières. A Chengdu, dans la province du Sichuan, le salaire mensuel minimum est de 850 yuans (93 euros), tandis qu'il est de 1 300 yuans dans le Guangdong (142 euros).
Edward Tsui, lui-même président de Shing Hing, qui produit des vis pour l'industrie automobile dans la ville-usine de Dongguan, estime que la Chine a toujours ses avantages : « La logistique et la chaîne d'approvisionnement sont là, et le peuple chinois est travailleur. »
Une autre motivation, plus récente, est la présence croissante de clients en Chine, devenue le premier marché automobile mondial. M. Tsui optera, lui, pour l'automatisation des chaînes de production, car les machines sont « stables et font de la qualité ».
Le rééquilibrage de l'économie chinoise d'un modèle de production à bas coût destinée à l'exportation vers une société de consommateurs ne se fera pas sans sacrifices pour le tissu industriel qui s'est établi en trois décennies.
Il est accéléré par les débats sur l'approche ou le passage par la Chine du « tournant de Lewis », la fin du surplus produit par de petites mains. « C'est une bonne nouvelle pour la Chine, les industries intensives en main-d'oeuvre ne peuvent pas perdurer des siècles, il faut se tourner vers la technologie », explique le professeur Yin Xingmin, vice-directeur du Centre d'études économiques de l'université de Fudan à Shanghaï.
Et il poursuit : « C'est une bonne nouvelle aussi pour les travailleurs qualifiés et les vendeurs de machines; une mauvaise nouvelle certes pour certaines entreprises, qui devront fermer. »
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Il y a 1 an
1 commentaires:
Le marché des entreprises chinoises se porte un peu moins bien mais personne n'en parle. Un article comme celui-ci permet de se rendre compte du fait que la Chine est certes toujours en croissance, mais que cela ralentit.
Cela dit, le pays est toujours attractif pour les entreprises étrangères.
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