vendredi 17 juin 2011

Moscou enrôle Pékin contre le bouclier antimissile - Isabelle Lasserre


Le Figaro, no. 20800 - Le Figaro, vendredi 17 juin 2011, p. 8

La République tchèque se retire en outre du projet américain auquel elle devait participer.

Le projet de bouclier antimissile que les États-Unis veulent installer en Europe vient de subir deux revers successifs. Le premier est venu de l'Organisation de coopération de Shanghaï, un groupe dominé par la Chine et la Russie, dont la dernière déclaration affirme qu'il s'opposera aux plans occidentaux d'une défense antimissile pouvant « menacer la stabilité internationale ». Le second provient de la République tchèque, qui s'est retirée mercredi du projet américain auquel elle devait participer. Défendu depuis longtemps par les Administrations américaines, qui le considèrent comme une protection indispensable contre les menaces liées à la prolifération nucléaire, émanant de pays, comme l'Iran, qui se dotent de capacités balistiques de plus en plus performantes, le projet de troisième site en Europe a été revu à la baisse par Barack Obama en septembre 2009. Plus légère, la nouvelle version prévoit que des intercepteurs et des radars soient installés dans des pays d'Europe centrale - Pologne, République tchèque et Roumanie - en 2015. Elle n'a cependant pas calmé l'opposition de Moscou, qui en fait toujours un cheval de bataille et considère que le troisième site américain est dirigé contre elle.

La Russie refuse une extension de la présence militaire américaine dans une zone qu'elle considère toujours comme sa sphère d'influence. Elle exige aussi l'assurance que ce système n'affaiblira pas son arsenal nucléaire. En novembre 2010, le Kremlin a tenté de noyer le projet américain en demandant d'y être pleinement associé. Il a aussi proposé une nouvelle architecture de la sécurité en Europe, destinée à tenir les États-Unis éloignés de la région et à affaiblir l'Otan. Les critiques à l'égard du projet américain se sont depuis durcies. Le président Dmitri Medvedev a même évoqué un possible retour à une course aux armements semblable à celle qui prévalut pendant la guerre froide.

Le fait que la Chine, puissance montante qui veut, elle aussi, limiter l'engagement américain dans sa sphère d'influence, se soit ralliée à la Russie sur le bouclier antimissile, révèle les capacités de Moscou à développer son influence diplomatique en dehors de la région, pour contrer l'Otan. C'est la première fois, en effet, que Pékin fait une déclaration publique sur ce sujet qui concerne la sécurité européenne et divise Moscou et Washington.

Nouveaux adversaires

Quant au retrait de la République tchèque, qui estimait que le rôle que lui réservait Washington dans le bouclier n'était pas suffisamment important, il montre que les pressions exercées par Moscou dans la région ne sont pas sans effet. La décision de Prague permettra à Moscou de démontrer que la Russie n'est pas considérée comme une menace par tous les pays d'Europe centrale ou orientale...

En attendant, la polémique éloigne les chancelleries occidentales du sujet principal : la menace que constitue, pour l'Europe et les États-Unis, la montée en puissance de nouveaux adversaires potentiels dotés de capacités nucléaires et balistiques de plus en plus modernes. Le scénario d'une « attaque balistique sur le territoire national » a pourtant été retenu par le livre blanc sur la défense publié en 2008.

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