mardi 6 septembre 2011

ANALYSE - Pourquoi le risque de rechute inquiète aussi la Chine - Gabriel Grésillon


Les Echos, no. 21010 - Idées, mardi 6 septembre 2011, p. 16

L'économie chinoise peut-elle sauver le monde ? A l'heure où plane la menace d'une rechute généralisée, les yeux se tournent vers la deuxième économie mondiale. A peine secouée en 2008 et 2009, a-t-elle les moyens de réitérer son exploit d'alors et de confirmer son rôle de locomotive planétaire ?

On pourrait être tenté de répondre positivement. Qui peut nier que Pékin dispose toujours de la ressource financière qui l'a tiré d'affaire en 2009 ? C'est bien par un massif plan de relance que la Chine est alors parvenue à maintenir sa croissance à 8,7 %. Ce sont les 4.000 milliards de yuans (14 % du PIB !) injectés dans l'économie qui ont permis de faire oublier l'hécatombe du secteur exportateur. Et de redonner du travail aux millions de migrants désertant les provinces côtières sinistrées.

Aujourd'hui, en agrégeant tout le passif des administrations chinoises, on voit que la dette publique dépasse tout juste les 50 % du PIB. Ce sont, certes, 10 points de pourcentage de plus qu'avant la relance. Mais cela reste extrêmement confortable, comparé aux pays développés. Quant aux rentrées fiscales, elles ont été multipliées par plus de huit en dix ans, ce qui donne au régime une réelle force de frappe en cas de nécessité. Sur le papier, Pékin peut donc, à tout moment, débloquer un nouveau plan de relance en cas de choc violent.

Et pourtant, la Bourse de Shanghai a le blues. Hier, elle a très mal pris les mauvais chiffres du chômage aux Etats-Unis, atteignant son point le plus bas en quatorze mois. Car, en réalité, la probabilité d'une nouvelle perfusion de fonds publics semble faible. Deux ans après le plan de relance de Pékin, la Chine est encore en train d'en payer les effets pervers. Inondée de liquidités en 2009, elle peine à reprendre la main sur la circulation monétaire dans le pays : l'inflation dérape. Le Premier ministre, Wen Jiabao, répète inlassablement que la lutte contre la vie chère est son combat prioritaire. Et le pouvoir joint les gestes à la parole. La banque centrale ne cesse de serrer la vis depuis octobre 2010.

Mais, pour l'heure, l'efficacité de cette politique reste à démontrer. Ces derniers mois, la publication du chiffre d'une inflation toujours plus élevée a systématiquement donné lieu au même commentaire des économistes : cette fois, c'est la dernière. Le pic est atteint. Promis, la hausse des prix va s'assagir. Nous en étions, en juillet, à une appréciation moyenne des prix de 6,5 % sur un an - à comparer avec un objectif de 4 % sur l'année fixé par le gouvernement. Quand bien même le reflux tant attendu se serait enfin produit en août - ce que l'on saura dans trois jours -, il faut se rendre à l'évidence : il sera faible. L'inflation s'est désormais installée en Chine. Andy Rothman, l'économiste Chine du courtier CLSA, qui pourtant se singularise par son grand optimisme sur l'économie chinoise, le reconnaît d'ailleurs : « L'inflation est partie pour être plus élevée au cours des cinq prochaines années qu'auparavant. »

Qu'en déduire ? C'est là que les points de vue divergent. Il y a ceux, comme Andy Rothman, qui y voient un processus sain lié à la hausse du niveau de vie et des salaires. De fait, le salaire minimum a plus que doublé en dix ans, et cette tendance s'accélère, avec des hausses de salaires actuellement autour de 20 % sur douze mois. Quant au revenu moyen des ménages, même corrigé de l'inflation, il est en nette hausse : autour de 7 % par an dans les villes et de 12 % dans les campagnes. Alors que le monde entier reproche à la Chine le sous-développement de sa consommation des ménages, l'économiste de CLSA rétorque que la Chine connaît aujourd'hui « le scénario de consommation des ménages le plus impressionnant de la planète ». Les ventes de détail, l'année dernière, ont augmenté de 19 %.

Et puis il y a les autres. Peu audibles il y a un an, ils retrouvent de la voix. Leur hantise : que la Chine ait en partie perdu le contrôle de sa masse monétaire. D'après certaines estimations, le volume de prêts qui sera réellement accordé dans le pays cette année pourrait être le double du quota officiel. Lettres de crédit, prêts non déclarés octroyés par des entreprises ou par des particuliers, trusts et autres fonds de gestion de portefeuille sont autant de vannes par lesquelles le crédit continue d'affluer en échappant au contrôle de Pékin. Cela apparaît comme le symptôme de l'addiction de l'économie chinoise à l'investissement. Même si le secteur exportateur est d'une importance capitale au plan social (il fournit des emplois à des millions de travailleurs peu qualifiés), ce n'est pas lui, mais bien l'investissement, qui a généré près de la moitié de la croissance ces dernières années.

C'est un point faible du système : les dirigeants locaux utilisent massivement le levier de l'investissement. Sans même parler des pots-de-vin liés à ces activités, construire des routes, des ponts ou des bâtiments dope le PIB du territoire dont ils ont la charge et reste, pour eux, le meilleur accélérateur de carrière. Cela explique autant la vitesse à laquelle le pays du Milieu s'est développé que le mal qu'ont maintenant les autorités à calmer le jeu. Car l'utilité de ces infrastructures diminue tendanciellement. La Chine n'est plus ce pays où tout reste à construire.

Au moment où l'on découvre que le ministère des Chemins de fers a surinvesti dans les TGV, construisant à toute vitesse un gigantesque réseau que nul ne sait réellement rentabiliser, Pékin sait qu'il est urgent de freiner l'investissement. D'une part, son effet démultiplicateur sur l'économie diminue, et chacun s'interroge aujourd'hui sur le volume des dettes qui, un peu partout dans le pays, risquent de ne jamais être remboursées. D'autre part, il alimente l'inflation. Un nouveau plan de relance irait à l'encontre de cet impératif. Si le monde cale à nouveau, Pékin risque de se retrouver face à un délicat dilemme : subir un coup de frein douloureux ou impulser un stimulus dangereux.

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Un investisseur chinois veut créer un parc touristique géant en Islande

Huang Nubo, magnat de l'immobilier, veut acheter 300 kilomètres carrés de terrain pour y développer l'écotourisme. Un projet économiquement alléchant mais politiquement sensible.

Un parc d'attractions chinois pour sortir de la crise ? C'est le projet qu'a proposé l'investisseur chinois Huang Nubo aux autorités islandaises. Le rêve de ce patron chinois, classé au 161e rang des fortunes dans le pays par le magazine « Forbes », est simple : acheter 300 kilomètres carrés dans le nord-est de l'île pour y créer un club orienté vers l'écotourisme : randonnée, golf, VTT, survol de l'île seraient proposés à ses membres. Huang Nubo vise les 300.000 adhérents, dont la moitié de Chinois. Avec son budget prévisionnel de 200 millions de dollars investis sur cinq ans, il a de quoi faire réfléchir un pays qui a pris de plein fouet la crise financière internationale, dont trois des principales banques ont fait faillite, et qui vit aujourd'hui sous perfusion du FMI.

Des réactions ambivalentes

La demande a officiellement été faite auprès des autorités, qui se prononceront d'ici au 24 février 2012. Elle suscite toutefois des réactions ambivalentes. L'opportunité économique est indéniable. Le seul achat du terrain rapporterait 8,9 millions de dollars à l'Etat islandais. Kristin Arnadottir, l'ambassadeur d'Islande en Chine, y est manifestement sensible. « C'est la meilleure promotion de l'Islande que j'ai entendue depuis longtemps », a-t-elle affirmé. Mais l'idée de céder 0,3 % du territoire national à un ressortissant chinois fait grincer les dents de certains, dans un pays où il est normalement interdit de vendre la terre à toute personne extérieure à l'Union européenne. Le ministère de l'Intérieur a donc été saisi d'une demande d'exemption.

Se pose également la question des éventuelles arrière-pensées politiques du magnat chinois de l'immobilier et des parcs d'attractions. Celui-ci affiche sa passion pour le petit pays nordique, qu'il dit tenir de son amitié de trente ans pour un camarade d'université islandais. Il a notamment donné 1 million de dollars pour la création d'un festival de poésie liant la Chine et l'Islande - sa fortune personnelle représenterait environ 900 fois cette somme. Mais son passé d'officiel inquiète. Il n'a quitté ses fonctions au ministère de la Propagande chinois qu'au début des années 1990. La Chine cherche-t-elle à prendre pied sur une île stratégiquement située entre l'Europe et les Etats-Unis ? « Mon projet est purement commercial », a rétorqué devant la presse Huang Nubo, vendredi à Pékin, avant de moquer la réaction de frilosité de certains. « Comme la Chine possède maintenant un porte-avions, cela va faire penser aux gens qu'il va aller jusqu'en Islande », a-t-il plaisanté. De son côté, l'agence officielle chinoise Chine nouvelle, reprise par le « China Daily », citait un expert qui critique l'état d'esprit de l'Occident, selon lui inchangé depuis la guerre froide. « Il faudra du temps avant que les autres pays réalisent le rôle positif des investissements chinois », a prévenu Mei Xinyu, membre de l'Académie chinoise du commerce international et de la coopération économique.

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