Les Echos, no. 20924 - High-tech & Médias, mardi 3 mai 2011, p. 26
Le groupe chinois, deuxième équipementier mondial de télécommunications avec 14 à 15 % de part de marché, va développer sa propre marque dans le mobile, ouvrir des boutiques vitrines et se diversifier auprès des entreprises.
Les grosses berlines roulent au ralenti sur la voie rapide ultralarge qui mène à la zone économique spéciale de Shenzhen. Il y a toujours du monde dans cet îlot industriel du sud de la Chine. A gauche, les usines du taïwanais Foxconn, qui assemble l'iPad et l'iPhone : 400.000 ouvriers entassés dans des dortoirs. A droite, le siège de Huawei, le deuxième équipementier mondial de télécommunications avec 14 à 15 % de part de marché, juste derrière Ericsson. Près de 40.000 personnes se pressent chaque jour dans cette ville champignon, semée de bâtiments au design orgueilleux. Ce sont essentiellement des cols blancs, ingénieurs télécoms et diplômés de marketing, car Huawei s'est concentré depuis l'origine sur la conception des réseaux et des terminaux téléphoniques plutôt que sur la production, qui n'occupe que 5 % de son effectif. A contrario, 46 % des 110.000 salariés du groupe à l'échelle mondiale se consacrent à la R & D. Un chercheur coûte en Chine quatre à cinq fois moins cher qu'à l'Ouest.
Il y a là un entrepôt ultramoderne de 11.000 mètres carrés, où les composants étiquetés avec une puce sont manipulés par des automates et seulement 35 employés ; un centre de formation qui mobilise un millier de professeurs dispensant leur enseignement à 20.000 salariés ou clients chaque année ; un « data center » ; une bibliothèque ; un centre de tests où l'on fait subir les pires mauvais traitements aux équipements ; une « Maison-Blanche » copie de l'originale avec ses pilastres blancs et son showroom géant, où les délégations d'honorables visiteurs africains ou européens se succèdent. A l'heure du déjeuner, une foule compacte de jeunes gens (moyenne d'âge : 29 ans) marche droit sur les cantines, qui ressemblent à des supermarchés avec huit caisses et des dizaines de milliers de baguettes dans des seaux. Les immeubles d'habitation sont environnés de piscines, de terrains de sport, d'une clinique. Les salons de réception donnent sur un jardin paysager luxuriant, là où, neuf ans plus tôt, on ne voyait que la terre aplanie par les bulldozers.
Une irrésistible ascension
Un nouveau bâtiment est d'ailleurs en construction pour accueillir une partie des 26.000 embauches prévues cette année. Car Huawei a gardé le profil de croissance d'une « petite jeune » (+ 29 % par an depuis cinq ans), malgré la crise de 2009. Le chiffre d'affaires a atteint 28,2 milliards de dollars l'année dernière. « Nous sommes prêts pour le prochain bond, nous avions prédit une croissance de 20 % en un an, mais nous avons fait + 24 % ! », s'est émerveillé le contrôleur de gestion du groupe, Fan Chen, lors d'une conférence d'analystes à Shanghai la semaine dernière.
Le rythme devrait se tasser cette année, avec un objectif de 31 milliards de dollars. Mais le groupe, qui dispose de 5,8 milliards de dollars de cash et d'une marge opérationnelle de 15,8 %, voit l'avenir très loin et veut devenir « une entreprise de 100 milliards de dollars dans dix ans », a confié Richard Yu, le directeur marketing.
Pour cela, Huawei va se diversifier au-delà des télécoms, qui lui offrent trop peu d'espace. Le chinois développe ses services informatiques aux entreprises, avec une offre de « cloud » (stockage des applications et données à distance). Il veut également vendre 80 % de ses terminaux sous sa propre marque au lieu d'apposer celle des opérateurs, inversant la proportion de 2010. L'an dernier, il a vendu 40 millions de cartes de type clef 3G, 31 millions de mobiles dont 3 millions de « smartphones » et 40 millions de « box » Internet et assimilés. Huawei va donc lancer des campagnes publicitaires et ouvrir 5 magasins vitrines en Chine pour accompagner sa montée en gamme. Peut-être les Européens vont-ils bientôt apprendre à prononcer « Hua-wei », eux aussi.
Solveig godeluck
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