Les uns après les autres, les grands groupes chinois disposent leurs pions à l'étranger avec l'ambition de devenir des leaders mondiaux.
Un Russe conduit sa voiture Geely dans la toundra, un Américain prend une bière dans son minibar Haier, une BYD fend l'autoroute de Dubaï, pendant qu'un Européen pianote sur son ordinateur portable Lenovo... Il ne s'agit pas d'une fiction futuriste : ces marques chinoises ont déjà débarqué sur tous les continents. Longtemps usine du monde qui produisait pour des marques occidentales ou japonaises, le visage du « made in China » se redessine peu à peu.
Les groupes qui ont réussi à sortir de leurs frontières se comptent encore sur les doigts de la main. Mais « d'ici cinq à dix ans, nous allons assister à l'émergence de marques chinoises extrêmement pointues », estime Shaun Rein, directeur du cabinet China Market Research Group, à Shanghaï. À côté d'Adidas, c'est maintenant Lining, marque de vêtements de sport créée par le premier médaillé d'or olympique chinois du même nom, qui séduit les Chinois et a posé sa première pierre à l'étranger, à Singapour.
La politique du « zou chuqu »
Avec un marché national en plein boom, ces nouveaux étendards de l'empire du Milieu amassent des fonds pour financer leur conquête du monde. « Ils profitent de la crise avec des consommateurs qui veulent acheter moins cher et le gouvernement qui achète de plus en plus chinois », souligne David Tse, professeur à la Hongkong University. Jouant sur les effets de volume, la plupart restent dans l'entrée de gamme et s'approprient de plus en plus des technologies banalisées, surtout dans l'électronique.
Pékin a placé la barre très haut, en voulant compter, d'ici aux dix prochaines années, 50 marques chinoises dans le classement Fortune des 500 premières entreprises mondiales. Au dernier pointage, l'année dernière, l'empire du Milieu plaçait déjà 37 de ses champions dans ce top 500. En tout cas, ces ambitions ont valu des frictions commerciales à la république populaire, objet d'une plainte américaine devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour subventions illégales à des entreprises pour développer leur marque.
La velléité de la Chine de créer des géants internationaux n'est pas nouvelle. Le gouvernement lance sa politique du zou chuqu, littéralement « aller dehors », dès les années 1990. Pékin est alors en plein nettoyage de ses sociétés d'État et le gouvernement pense que seule une concurrence venue de l'extérieur pourra doper les performances de ses entrepreneurs. C'est ainsi que commencent les négociations pour entrer à l'OMC, dont la Chine est membre depuis 2001. Les leaders chinois n'ont plus qu'à aller chercher d'autres marchés pour conserver leur position dominante. C'est ce qui a poussé des entreprises comme Huawei et ZTE, équipementiers télécoms, ou encore Haier, numéro un de l'électroménager en Chine et leader mondial de la fabrication de réfrigérateurs, à s'internationaliser.
Depuis, une nouvelle génération d'entrepreneurs est arrivée et ne fait qu'amplifier le phénomène. Ils ont souvent démarré leur propre entreprise - sans passer par l'acquisition d'une société d'État et débordent d'ambitions. À 41 ans, Feng Jun, PDG d'Aigo, fabricant d'appareils électroniques, tire 20 % de ses revenus de l'international et espère bien porter ce chiffre à 50 % rapidement pour devenir le « prochain Samsung ».
Constructeurs de voitures hybrides et électriques, BYD a, de son côté, annoncé son intention de se lancer sur le marché américain cette année. L'entreprise installée à Shenzhen compte Warren Buffett parmi ses actionnaires. Déjà présents au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est, d'autres constructeurs automobiles comme Chery et Geely espèrent aussi pouvoir conquérir les pays développés. Dans un contexte de consolidation du marché chinois, certains se disent qu'une notoriété hors des frontières pourrait leur éviter d'être avalé par un concurrent à domicile.
Mais cette conquête est ardue. Le « made in China » conserve une image désastreuse sur le plan de la qualité, régulièrement alimentée par des rappels de produits. Les consommateurs européens ne paraissent pas encore prêts à conduire des voitures chinoises. La barrière culturelle reste aussi un obstacle de poids. Les managers chinois d'aujourd'hui ne sont pas formés pour gérer des équipes étrangères. Ce choc des mondes a sans aucun doute contribué à l'échec de Lenovo dans le développement de la branche PC d'IBM rachetée en 2005. La compagnie vient d'annoncer un recadrage de sa stratégie, qui se concentrera essentiellement sur le marché chinois.
INTERVIEW - Charles-Edouard Bouée, directeur général en Chine du cabinet de stratégie roland berger
Quelles sortes d'entreprises chinoises cherchent à imposer leur marque à l'export ? Essentiellement des sociétés qui ont une position très installée sur leur énorme marché intérieur. Ainsi, Haier qui fait de l'électroménager (frigidaires, climatiseurs, téléviseurs...) est leader du marché national en Chine. Ce qui lui a permis de s'implanter à l'étranger, notamment aux États-Unis, où leur réfrigérateur pour célibataires a été un vrai succès. Néanmoins, pour Haier comme pour les autres, le gros du chiffre d'affaires se fait toujours en Chine. Dans quel secteur les groupes chinois s'implantent-ils le plus à l'étranger ? Dans l'industrie pétrolière et, de façon plus globale, dans toutes les activités liées aux ressources naturelles. L'explication est simple : hormis le charbon, la Chine n'a pas beaucoup de réserves naturelles. Du coup, le gouvernement a incité les groupes oeuvrant dans ces domaines à se développer hors de leurs frontières. Ainsi, les Chinois ont pris des participations dans les mines australiennes. Quel rôle jouent les pouvoirs publics dans ce mouvement ? Ils incitent leurs groupes leaders à s'internationaliser, mais à prendre leur temps quand il s'agit d'acquérir des entreprises étrangères. Il y a eu, en effet, quelques échecs comme le rachat de la branche téléviseurs de Thomson par TCL ou des cas difficiles, mais aussi des acquisitions réussies comme celles d'Adisseo et de la branche silicones de Rhodia par China National Chemical Corp. J.-Y. G. La stratégie de rachat des entreprises occidentales pour aller plus vite POURQUOI chercher la notoriété quand on peut l'acheter ? C'est le raisonnement de certaines sociétés chinoises qui, à défaut de pouvoir rapidement se faire un nom hors de leurs frontières, s'offrent des marques internationales. « Cela reste le cas le plus courant. Les entreprises génèrent des profits sur le marché domestique et saisissent l'opportunité quand elle se présente », résume Terence Tsai, professeur de marketing à la China Europe International Business School (CEIBS), à Shanghaï. Récemment, le secteur automobile s'est distingué par cette stratégie. Fin décembre, Geely a signé un accord pour acquérir le suédois Volvo. En octobre dernier, Tengzhong avait finalisé le rachat de l'américain Hummer. Et si Baic n'a pas concrétisé son projet, il s'était positionné pour reprendre Opel à General Motors. Des opérations qui, à chaque fois, valent aux groupes chinois la une des journaux occidentaux. Mais ces nouveaux géants ne cherchent pas seulement à accroître leur notoriété avec cette politique. Réseau de distribution, nouvelle technologie, ils ont compris tout l'intérêt d'acquérir des sociétés déjà connues en Occident, les aidant aussi à pallier leur incompréhension des règles de management sur ces marchés. D'ailleurs, les échecs retentissants de plusieurs entreprises chinoises mettent au jour les difficultés de ces dernières à s'internationaliser. En Europe, TCL rachète la branche téléviseurs de Thomson en 2004 pour déposer le bilan deux ans après. En Asie, le constructeur Shanghai Automotive Industry Corporation, qui a pris 51 % du capital de Ssangyong, a dû se résoudre aussi à déposer le bilan de sa filiale sud-coréenne début 2009. Les fleurons de l'économie chinoise n'ont cependant pas beaucoup le choix. Le Congrès n'est pas d'accord Car, quand il ne s'agit pas d'une opération de sauvetage, les fonds chinois sont rarement les bienvenus. En 2005, l'offre de CNOOC (China National Offshore Oil Corporation), troisième pétrolier chinois, pour le rachat du numéro six américain, Unocal, provoque une levée de boucliers au Congrès. L'an dernier, ce sont les dirigeants australiens qui se sont émus de l'offre d'augmentation de capital de Chinalco, numéro un de l'aluminium en Chine, dans le groupe minier Rio Tinto. L'argument souvent objecté est que ces rachats touchent des secteurs stratégiques. Mais les biens de consommation sont aussi dans le viseur. Haier avait fini par renoncer à son offre pour le rachat de l'américain Maytag en 2005, face à l'hostilité de l'opinion publique et après une âpre bataille contre Whirlpool, qui avait revu sa copie et déboursé 1,4 milliard de dollars pour l'emporter. - © 2010 Le Figaro. Tous droits réservés.
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