jeudi 31 mars 2011

REVUE DE PRESSE - Nicolas Sarkozy en Chine


G20 : Sarkozy courtise la Chine
Arnaud Rodier

Le Figaro, no. 20733 - Le Figaro Économie, jeudi, 31 mars 2011, p. 21

Le président français s'est entretenu, hier, avec son homologue chinois à Pékin à la veille du séminaire du G20 à Nankin.

« La France, présidente du G20, a besoin de la participation de la Chine pour faire avancer tous les grands dossiers », a expliqué Nicolas Sarkozy, hier à Pékin, devant un parterre de diplomates et de chefs d'entreprise français. Le chef de l'État, qui a dîné hier soir avec son homologue chinois, Hu Jintao, avant d'inaugurer ce matin un séminaire sur les monnaies, à Nankin, courtise la Chine sur ses priorités pour le G20 : lutte contre la volatilité des prix des matières premières qui explosent et contre « l'instabilité monétaire qui risque de pénaliser la compétitivité ou la paix dans le monde ». Et Nicolas Sarkozy d'ajouter : « Le partenariat stratégique entre la France et la Chine est quelque chose à quoi je tiens tout particulièrement. »

Le président prononcera aujourd'hui le discours d'introduction du séminaire sur les changes avant de s'envoler pour Tokyo, «pour porter l'expression de la solidarité de la France à l'endroit de nos amis japonais». Il sera reçu par le premier ministre Naoto Kan. Malgré une présence éclair de Nicolas Sarkozy, le séminaire de Nankin, voulu par l'Élysée, sera dominé par les personnalités françaises : la ministre de l'Économie, Christine Lagarde, conduira les travaux ministériels; Jean-Claude Trichet mènera les débats entre gouverneurs des banques centrales. Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, fera quant à lui des remarques très attendues sur les changes ou les flux de capitaux, devant le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, et le ministre chinois des Finances, Xie Xuren.

Polémique sur le yuan

La réunion de Nankin se déroule dans la plus grande discrétion. Les quatre principaux « panels » de discussion - l'état du système monétaire international, la gestion des flux de capitaux, la circulation des liquidités et le renforcement de la surveillance - seront fermés à la presse. De nombreux chefs d'entreprise français installés à Pékin semblaient également tout ignorer de cette conférence alors qu'ils font tourner 2 000 entreprises dans le pays. Et si cette ville historique, ex-capitale impériale, a été choisie, c'est parce que la Chine entend en faire un nouveau pôle de développement après Shanghaï, Canton, Chengdu ou Chongqing.

En attendant, Nankin se retrouve, le temps d'une journée, au coeur de la polémique qui oppose la Chine au reste du monde : le yuan. Une monnaie sous-évaluée selon l'Europe et les États-Unis. Pékin est d'accord en coulisses pour le laisser s'apprécier. Mais les Chinois entendent le faire à leur rythme. Ils ne veulent surtout pas que cette question soit posée sur la place publique. D'une certaine manière, la visite écourtée de Nicolas Sarkozy, si elle peut paraître blessante, est de nature, cette fois-ci, à les arranger. Les Américains, quant à eux, espèrent que la politique de la Fed, accusée l'an dernier de faire marcher la « planche à billets »,ne sera plus stigmatisée comme à Séoul.


G20 : Nicolas Sarkozy arrive en Chine pour un séminaire international que Pékin minimise

Gabriel Grésillon

Les Echos, no. 20901 - International, mercredi, 30 mars 2011, p. 8

Si Paris se réjouit d'organiser sur le sol chinois une réunion consacrée aux déséquilibres monétaires mondiaux, Pékin a fait le nécessaire pour s'assurer que celle-ci ne déboucherait sur aucune déclaration sensible.

Discrétion et profil bas. L'Elysée s'est bien gardé de tout enthousiasme excessif, ces derniers jours, à l'approche de la visite de Nicolas Sarkozy en Chine. Celui-ci doit arriver cet après-midi à Pékin, avant de se rendre, demain, dans la ville de Nankin, près de Shanghai, pour ouvrir un « séminaire de haut niveau » du G20 consacré à la réforme du système monétaire international et aux flux de capitaux. Mais qu'il s'agisse de la relation bilatérale entre Paris et Pékin, qui doit être évoquée aujourd'hui, ou des projets de refonte de l'architecture monétaire mondiale, Paris est bien obligé de jouer la carte de la modestie.

Première étape de cette visite éclair : le président français doit inaugurer la nouvelle ambassade de France en Chine, un investissement que l'on présente, à l'Elysée, comme symbolique de l'importance de la nouvelle relation avec Pékin. Une relation qui devrait subir un test deux heures plus tard, lors de l'entretien en tête à tête entre Nicolas Sarkozy et son homologue, Hu Jintao. Après s'être exceptionnellement abstenu lors du vote de la résolution des Nations unies rendant possible l'intervention aérienne en Libye, Pékin est aujourd'hui vent debout contre une guerre qu'il estime illégitime. Nicolas Sarkozy risque d'avoir bien du mal à en défendre le principe, face au numéro un d'un régime cramponné à l'argument du refus de toute ingérence, en particulier lorsque celle-ci est fondée sur des objectifs humanitaires.

Les médias n'ont pas de mots assez durs, ces derniers jours, contre les pays de la coalition, et en particulier la France. Nicolas Sarkozy a été soupçonné par le « Quotidien du Peuple » d'utiliser la Libye comme une diversion après l'échec des élections cantonales. Le résultat est l'étonnant silence des médias chinois à l'approche de la venue du chef de l'Etat français. Son entrevue avec Hu Jintao est tout juste évoquée dans les dépêches et les articles de presse.

« Non-officiel et académique »

Une apathie médiatique comparable entoure le séminaire du G20. Jiang Yu, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, s'est lui-même chargé de préciser que la réunion de Nankin n'était qu'un séminaire « non-officiel et académique » organisé par la France. Il a également prévenu que la question du taux de change du yuan ne serait pas à l'ordre du jour. De fait, Pékin semble s'être employé, ces derniers mois, à faire en sorte que la rencontre de Nankin ne débouche en aucun cas sur une mise en cause explicite de la Chine au plan international. La plupart des sujets potentiellement conflictuels ont été retirés de l'ordre du jour. Surtout, aucune conclusion officielle n'est attendue au terme de ces réunions à huis clos. Quant à l'idée d'impulser une refonte du système monétaire international grâce à la convergence de vue entre Pékin et Paris, elle semble avoir fait long feu. Si Nicolas Sarkozy s'était notamment fixé comme objectif, pour sa présidence du G20, de pousser les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI afin de réduire la suprématie du dollar, la partie chinoise semble aujourd'hui nettement moins pressée sur ce dossier. A l'Elysée, on préfère se réjouir du caractère « extrêmement symbolique » du fait qu'une telle réunion se déroule sur le sol chinois. Cette réunion, qui ne « réinventera pas le monde » selon une source diplomatique, pourrait au moins permettre de « faire avancer le débat, ce qui est déjà beaucoup dans un groupe de 20 membres qui ne fonctionne que par consensus ».


G20 : Nicolas Sarkozy confronté aux réticences de la Chine

Gabriel Grésillon

Le séminaire du G20, que Paris se félicite d'être parvenu à organiser sur le sol chinois, doit être l'occasion de discussions entre grandes figures de l'économie mondiale. Certaines convergences de vues espérées par la France il y a quelques mois semblent hors d'atteinte.

L'atmosphère promet d'être des plus consensuelles, aujourd'hui, lors du séminaire du G20 organisé par la France, à Nankin. Non que les divergences de fond aient disparu entre les poids lourds de l'économie mondiale : Nicolas Sarkozy n'a pas caché, hier à Pékin, qu'il puisse exister des divergences avec la Chine. Mais plutôt parce que Pékin a fait le nécessaire pour s'assurer que cette réunion garderait une ambition modérée dans sa forme, ne déboucherait sur aucune conclusion formelle et éviterait les sujets qui fâchent.

Concentration de grands noms

La France est certes parvenue à rassembler sur le sol chinois une concentration exceptionnelle de grands noms de l'économie internationale : nombreux banquiers centraux et ministres des Finances, dirigeants d'institutions internationales, et figures du monde académique, comme le prix Nobel Robert Mundell. Mais les autorités chinoises, de leur côté, ont choisi pour cet événement la ville de Nankin, cité de faible importance. Et elles ont envoyé le vice-Premier ministre Wang Qishan pour partager avec Nicolas Sarkozy la charge d'ouvrir les débats. Si Wang Qishan semble « appelé à jouer un rôle politique de premier plan » dans les prochaines années en Chine, comme le rappelle l'Elysée, il reste protocolairement situé à un rang inférieur au président français, qui sera le seul chef d'Etat présent.

Pékin a, par ailleurs, « mobiliséses économistes les plus présentables aux yeux des Occidentaux », note un fin connaisseur des rouages de la Banque centrale chinoise. Si les représentants de la « People's Bank of China » seront nombreux à Nankin, c'est probablement parce que leur institution est de loin la plus ouverte sur la question du yuan. Yu Yongding, un ancien conseiller de la Banque centrale qui doit présider l'une des deux tables rondes, est notamment connu pour avoir plaidé pour une hausse du yuan. Une position que sont loin de partager d'autres instances chinoises, moins représentées aujourd'hui ... et plus puissantes que la Banque centrale.

Sur le fond, surtout, Paris a dû revoir certains objectifs à la baisse. En 2009, le gouverneur de la Banque centrale chinoise avait publié un texte dans lequel il militait pour un ordre monétaire mondial moins dominé par le dollar, et appelait au développement des Droits de tirage spéciaux du FMI comme alternative. Séduite par cette vision multipolaire, la France avait espéré pouvoir faire avancer ce dossier. Mais la Chine a plusieurs fois fait savoir que la position du gouverneur de la Banque centrale était « personnelle ». De fait, plus que la suprématie du roi dollar, c'est la dépréciation potentielle de celui-ci qui inquiète aujourd'hui Pékin. Avec environ deux tiers de ses 2.800 milliards de dollars de réserves libellés en monnaie américaine, Pékin craint par-dessus tout de voir fondre son trésor de guerre.

Internationalisation du yuan

Or, la création d'une nouvelle unité de réserve internationale se traduirait par un glissement du billet vert. Pour l'heure, la Chine semble donc avoir privilégié une autre stratégie, axée notamment sur l'internationalisation du yuan. En libellant une proportion croissante de ses ventes à l'étranger en monnaie chinoise, Pékin met en place un mécanisme destiné notamment à accumuler moins rapidement des dollars à la Banque centrale. Enfin, l'actualité internationale de ces dernières semaines ne simplifie pas les choses pour l'Elysée. Comme le note Ken Peng, économiste chez Citigroup à Pékin « il y a aujourd'hui des sujets autrement plus importants pour les marchés que ce dont va parler le G20 ». Guerre en Libye, crise nucléaire au Japon, envolée du baril de pétrole, nouvel accès de fièvre en zone euro « il faut bien reconnaître que, provisoirement, la question monétaire est passée au second plan », confirme Mitul Kotecha, chez CA-CIB.



Changes : une conférence a minima en Chine, à défaut de réformes

Brice Pedroletti (à Pékin) et Marie de Vergès

Le Monde - Economie, jeudi, 31 mars 2011, p. 18

L'Elysée souhaitait faire de ce séminaire un moment fort de sa présidence du G20. Pékin a minimisé la rencontre

L'affiche est belle. A Nankin, dans l'est de la Chine, le président français Nicolas Sarkozy doit ouvrir, jeudi 31 mars, une conférence sur la réforme du système monétaire international réunissant ministres des finances, banquiers centraux et économistes hauts placés des pays du G20. Le prix Nobel d'économie 1999 Robert Mundell, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, ou l'investisseur américano-hongrois George Soros figurent parmi la centaine de participants de ce « séminaire de haut niveau ».

Pari gagné pour M. Sarkozy ? Le chef de l'Etat avait voulu faire de cette rencontre chinoise sur les changes l'un des points d'orgue de la présidence française du G20. Annoncé dès août 2010, le rendez-vous a eu toutes les peines du monde à se concrétiser, la Chine montrant peu d'enthousiasme à jouer les maîtres de cérémonie. Pékin n'a eu de cesse de prendre ses distances avec une réunion que la porte-parole du ministère des affaires étrangères a qualifié d'« informelle » et de purement « académique ».

Cette réserve se ressent dans le format de la rencontre, à mi-chemin entre sommet officiel et colloque universitaire. L'événement n'a pas été organisé à Pékin, sans doute trop symbolique, mais à Nankin, à plus de 1 000 kilomètres au sud de la capitale. Les débats ne dureront pas plus d'une journée. Résultat, le temps de parole des intervenants est limité, pour la plupart à quelques minutes. Au risque de seulement « effleurer » des thèmes pourtant complexes. L'Elysée a déjà fait savoir qu'il n'y aurait ni « conclusions » ni communiqué conjoint à l'issue des débats.

La Chine veut à tout prix éviter de parler du yuan (renminbi), sa devise jugée sous-évaluée par ses partenaires commerciaux, Etats-Unis en tête. Paris se montre soucieux de ne pas froisser Pékin et les sujets qui fâchent devraient être soigneusement esquivés.

Politiques monétaires

Le Dongfeng Zaobao, quotidien économique de Shanghaï, titrait toutefois lundi, sur le fait que « le séminaire de Nankin ne pouvait pas éviter de parler du renminbi » - tout en faisant principalement référence à des articles de presse étrangère. Le taux de change de la devise chinoise n'a certes jamais été directement au menu des discussions, et les autorités chinoises ne souhaitent pas que Nankin soit à l'origine d'évolutions qu'ils n'auraient pas eux-mêmes initié. Différents aspects de la politique monétaire chinoise seront toutefois évoqués, comme les réserves de devises.

Malgré le souci de Pékin de ne pas faire trop de publicité à l'événement, le ministère des finances et la banque centrale, considérés comme les plus libéraux, seront bien représentés à Nankin. Ils n'ont eu de cesse de pousser à une réforme du système monétaire chinois, et la présentent comme utile, si ce n'est nécessaire, au rééquilibrage du modèle économique du pays, même s'ils souhaitent qu'elle se fasse selon leur rythme.



M. Sarkozy veut faire évoluer les changes à petits pas

Arnaud Leparmentier et Harold Thibault

Le Monde - Economie, vendredi, 1 avril 2011, p. 17

Nicolas Sarkozy ne parle plus de refonder le système de Bretton Woods, du nom de la petite ville du New Hampshire où furent jetées les bases de l'étalon dollar en 1944. Plus modestement, le président de la République s'est contenté de faire des propositions, lors du séminaire sur la réforme du système monétaire international réunissant, à Nankin, jeudi 31 mars, ministres des finances et banquiers centraux des pays du G20.

L'un des chemins consisterait à inclure la monnaie chinoise dans le panier de devises utilisé par le Fonds monétaire international (FMI) : les droits de tirage spéciaux (DTS). Paris constate un excès de demandes d'actifs de placement des réserves mondiales de change, dont le volume a doublé en une décennie. La présidence française du G20 voudrait voir ces DTS jouer un rôle accru et élargi au yuan, aux côtés des quatre grandes monnaies internationales actuelles : le dollar, l'euro, la livre et le yen.

Mercredi, abordant le sujet, le président chinois, Hu Jintao, avait passé la parole à Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de Chine. Celui-ci a expliqué au président français qu'" il est un jour envisageable que le yuan rejoigne les DTS, mais qu'il y a du chemin à parcourir ", comme l'ont rapporté les conseillers de M. Sarkozy à l'issue de la rencontre. En présence du vice-premier ministre chinois, Wang Qishan, M. Sarkozy a proposé de " s'accorder sur le calendrier de l'élargissement du DTS à de nouvelles monnaies émergentes comme le yuan ". L'entourage du président précise qu'il s'agit d'abord de s'entendre sur les principes plutôt que sur les dates.

Il faudrait en effet pour cela que Pékin se résolve à la pleine convertibilité de sa monnaie, ce qui n'est pas le cas actuellement. Des pas ont certes été franchis ces derniers mois dans le sens d'une internationalisation du rôle du yuan. La Chine craint cependant que rendre sa monnaie pleinement convertible n'engendre des afflux de capitaux, donc une appréciation de sa monnaie, au détriment de ses industries exportatrices.

Pas question toutefois de dénoncer ouvertement la sous-évaluation du yuan, l'hôte chinois ayant précisé en amont que le sujet n'était pas au programme. Le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, a néanmoins estimé que les politiques de taux de change et le contrôle des flux de capitaux pratiqués par certains pays sont les plus importants problèmes dans le système monétaire international.

Autre sujet, M. Sarkozy souhaite généraliser les interventions concertées sur les marchés des changes. Celles-ci ont lieu habituellement entre pays du G7, qui ont agi contre l'envolée du yen après le séisme du 11 mars au Japon. Parfois, la Chine intervient, comme lors de la crise financière de l'automne 2008. " Ne devrions-nous pas réfléchir à une nouvelle enceinte de concertation qui soit davantage représentative ? ", a demandé M. Sarkozy.

La présidence française du G20 veut par ailleurs donner au FMI la possibilité de s'endetter pour se porter au secours de pays souffrant d'un manque ponctuel de liquidités. Le chef de l'Etat voudrait aussi que les pays dont la monnaie s'envole pour cause d'afflux de capitaux puissent adopter des mesures de contrôle. A charge pour le FMI de s'assurer qu'il ne s'agisse pas de protectionnisme. Le but est justement d'éviter qu'" une multiplication de mesures unilatérales, précipitées par les temps de crise, n'aboutisse à un nouveau protectionnisme financier dont toutes nos économies souffriraient ".

Ces sujets ne furent qu'abordés à Nankin, les organisateurs ayant précisé qu'il ne fallait en attendre aucune décision politique. Pékin avait d'ailleurs pris soin d'en faire un séminaire académique, délocalisé à plus d'un millier de kilomètres du pouvoir central.

Paris espère que ces débats permettront de voir se profiler un consensus au sommet du G20 à Cannes, en novembre. M. Wang, le plus haut officiel envoyé par Pékin, a prévenu qu'améliorer le système monétaire international sera un processus " long et complexe ".



Sarkozy veut conforter le nucléaire français en Chine

Fabrice Nodé-Langlois

Le Figaro, no. 20732 - Le Figaro, mercredi, 30 mars 2011, p. 15

La catastrophe nucléaire de Fukushima devrait s'imposer parmi les sujets prioritaires du tête-à-tête prévu, ce soir à Pékin, entre Nicolas Sarkozy et son homologue chinois Hu Jintao, au Grand Palais du peuple. À sa visite en Chine, prévue dans le cadre de la présidence française du G20 et du séminaire sur les monnaies à Nankin, Nicolas Sarkozy vient d'ajouter une étape de quelques heures, demain, dans le Japon sinistré.

Pour la forme, les présidents de deux des pays les plus nucléaires du monde - la France compte 58 réacteurs, la Chine prévoit d'en mettre 66 en service en 2020 - devraient s'attacher à tirer les leçons de la catastrophe japonaise en matière de sûreté. Mais Paris et Pékin vont surtout parler coopération atomique, car « Fukushima n'invalide pas la pertinence du nucléaire civil », insiste-t-on à l'Élysée.

Dès le lendemain du tsunami, le vice-ministre chinois de l'Environnement, Zhang Lijun, avait déclaré que la Chine maintiendrait son cap nucléaire. Pas moins de 27 réacteurs sont en chantier dans l'empire du Milieu, qui accueillera 45 % des nouvelles centrales du monde d'ici à 2030. Devant l'évolution inquiétante de la crise à Fukushima, le 16 mars, Pékin a toutefois annoncé qu'il suspendait momentanément l'approbation de nouveaux réacteurs et ordonné une inspection générale de ses centrales. La Chine n'en reste pas moins le premier marché de la planète pour les fabricants de centrales atomiques. Et Paris entend bien y consolider ses positions. Areva construit deux EPR, réacteurs de troisième génération dont les protections supplémentaires sont redevenues depuis le 11 mars des atouts commerciaux.

Dans le cadre de la remise en ordre de l'« équipe de France du nucléaire », l'Élysée a chargé, le 21 février dernier, non pas EDF ou Areva mais le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de piloter la relation nucléaire francochinoise. Le CEA entretient des coopérations de longue date avec la Chine en matière de recherche.

Trois semaines avant Fukushima, le communiqué de l'Élysée mentionnait « la sûreté » parmi les sujets de coopération. Un thème plus que jamais au coeur du développement des réacteurs de troisième génération. L'électricien chinois CGNPC souhaite collaborer avec EDF pour construire l'équivalent d'un EPR en version moins puissante d'un tiers : 1 000 MW contre 1 650 MW. Ce réacteur de moyenne puissance, parfois désigné sous le nom d'ACPR 1000, auquel EDF tient pour poursuivre sa conquête du marché chinois, et de pays tiers, en coopération avec Pékin, pourrait être un concurrent direct de l'Atmea développé par Areva. La firme dirigée par Anne Lauvergeon conçoit ce projet de 1 000 MW en partenariat avec le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries. En attendant de prendre la mesure de l'effet Fukushima sur l'ensemble des constructeurs japonais, la Chine et la France gardent un cap commun, vers un avenir nucléaire.



Hu Jintao s'inquiète des frappes en Libye auprès de Nicolas Sarkozy

Arnaud Leparmentier et Brice Pedroletti

Le Monde - International, vendredi, 1 avril 2011, p. 10

Le régime chinois est préoccupé par les conséquences des frappes aériennes occidentales sur la Libye. Il a profité de la visite du président français Nicolas Sarkozy à Pékin, mercredi 30 mars - avant le séminaire du G20 sur la réforme du système monétaire international, jeudi, à Nankin -, pour faire passer son message : " L'objectif de la résolution de l'ONU est de mettre fin à la violence et de protéger les civils ", a expliqué Hu Jintao à son invité lors d'un dîner au grand hall du peuple mercredi soir, selon la transcription donnée par l'agence officielle Chine nouvelle.

Le numéro un chinois s'est inquiété d'une " crise humanitaire encore plus importante " si l'action militaire s'avérait " désastreuse pour les civils innocents ". La Chine, a-t-il répété, désapprouve " le recours à la force militaire dans les affaires internationales ".

M. Hu, reconnaissent les Français, " a exprimé une interrogation inquiète ". En réponse, le président français a précisé que les frappes n'avaient fait aucune victime civile, pour autant que l'on puisse le vérifier, a précisé un responsable de la diplomatie française au cours d'un briefing à l'issue du dîner. En privé, le président a reconnu que les Chinois étaient inquiets de ce qui n'était pas prévisible. Et qu'ils posaient surtout des questions.

Pékin, qui s'est abstenu lors du vote de la révolution 1973, cherche sur la question libyenne à donner l'image d'une puissance responsable, aussi bien vis-à-vis des autres pays de ce monde émergent dont il est devenu un partenaire économique privilégié, mais aussi à l'égard d'une opinion publique interne façonnée depuis de longues années par les prises de position " tiers-mondistes " de la diplomatie chinoise.

Vague de répression

Le lancement des frappes aériennes par les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne a été largement perçu comme une surréaction de puissances coloniales. Sur l'Internet chinois, le président français continue de pâtir d'une image d'incohérence, héritée de ce qui fut compris comme une volte-face sur la question du boycott des Jeux olympiques de 2008. Ainsi, un grand nombre d'internautes ont raillé le souhait du président français, rapporté par Chine nouvelle, de " résoudre la crise libyenne par le biais de moyens politiques et diplomatiques ", alors qu'il avait d'abord " appuyé sur la détente ".

La petite leçon de morale du président Hu Jintao sur la Libye, à laquelle la presse officielle a donné une large place, intervient pourtant à un moment où l'appareil policier chinois a lancé une vague de répression particulièrement sévère. Des mises en examen très lourdes sont tombées ces dernières semaines. Plusieurs avocats sont toujours portés disparus. Les organisations internationales de défense des droits de l'homme multiplient les cris d'alarme. Lors de l'entretien de mercredi soir, Hu Jintao ne s'est pas montré inquiet d'une éventuelle contagion des révolutions arabes en Chine, selon le président français, mais il a insisté sur les risques sociaux que connaissait la Chine en raison des inégalités de richesse. Un déséquilibre auquel le douzième plan quinquennal chinois est censé remédier, comme l'a expliqué Hu Jintao à son invité.

La question du nucléaire a davantage rapproché les deux présidents : selon les diplomates français, la catastrophe japonaise devrait entraîner un renforcement du partenariat franco-chinois. Areva est en train de construire en Chine deux réacteurs EPR, dits de troisième génération, un contrat signé lors de la première visite en Chine de M. Sarkozy en 2007. Le président français a vanté la sûreté de la technologie française à M. Hu : la double coque du réacteur d'Areva lui permettrait de résister à des missiles ou à la chute d'un airbus A 380. L'idée, selon l'Elysée, est d'avoir les mêmes exigences de sûreté en Chine et en Europe. Un groupe de travail sur le nucléaire va être créé, alors que Bernard Bigot, administrateur général du CEA, revient d'une visite à Pékin.

Selon un expert français du nucléaire, l'incident de Fukushima montre aux Chinois l'importance de recycler les combustibles nucléaires irradiés et de ne pas les laisser dans des piscines. Cela pourrait accélérer les discussions autour de la vente d'une usine de retraitement à la Chine. Mais celle-ci suppose un accord intergouvernemental afin de s'assurer que la Chine respecte les normes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur la non-prolifération.

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