vendredi 15 mai 2015

Cameron, les secrets de son triomphe - Folch Arnaud

Réélu à la surprise générale à la tête d'une majorité absolue, le premier ministre britannique et chef des conservateurs n'a pas craint d'affronter le politiquement correct. Qu'importe d'être taxé de "candidat des riches" : il assume la rigueur, l'austérité, les coupes budgétaires. Et leur poursuite pour cinq ans.

Même ses propres amis n'y croyaient pas. Ou si peu. « Cameron est le meilleur atout des tories, mais sa campagne exclusivement axée sur la reprise économique oublie que beaucoup d'électeurs n'en voient pas les bénéfices, confiait, à quelques jours du scrutin, l'un de ses proches à l'hebdomadaire The Economist, lui-même soutien du premier ministre. Il passe à côté des principales préoccupations des électeurs que sont la santé, la sécurité ou l'éducation. » Tout faux ! Contrairement à ce qu'annonçait l'ensemble des sondages prédisant « le résultat le plus serré de l'histoire », c'est une victoire triomphale qu'a obtenue David Cameron, 48 ans, le 7 mai : la majorité absolue à la Chambre - dont il ne disposait pas jusque-là.

Certes, le mode de scrutin, "first past the post" (le candidat arrivé en tête au premier tour remporte la mise), l'a favorisé. Avec 37 % des voix, les conservateurs ne distancent les travaillistes (Labour) d'Ed Miliband, dit "Ed le Rouge" (qui a démissionné de la tête de son parti) , que de 6,5 points, tandis qu'en Écosse les indépendantistes arrachent la quasi-totalité des circonscriptions (56 sur 59). Il n'empêche : alors qu'en 2010 Cameron, pour sa première élection, s'était vu contraint de partager le pouvoir avec les libéraux-démocrates (Lib Dems), dont il a siphonné les voix, il va pouvoir, cette fois, gouverner seul. Afin, comme il s'y est engagé, de « finir le job ».

Rien, durant cette campagne à couteaux tirés, n'aura été épargné à ce descendant du roi Guillaume IV (1765-1837), ancien étudiant du prestigieux Eton College et de l'université d'Oxford. Dénoncé, tout le long de celle-ci, comme le "candidat des riches", il n'a pourtant jamais varié. "Droit dans ses bottes" devant les propos accusateurs du très influent directeur général de l'organisation caritative The Equality Trust, Duncan Exley : « Le Royaume-Uni est désormais l'un des pays au monde où les inégalités sont les plus prononcées et ce fait devrait nous faire honte. » Imperturbable devant le rappel, devenu argument de campagne numéro un des travaillistes, qu'à l'issue de ses cinq ans de mandat, la fortune totale des 1 000 personnes les plus riches du pays (547,13 milliards de livres sterling, soit 755 milliards d'euros) dépasse désormais la richesse cumulée des 40 % de Britanniques les plus pauvres.

Qu'importe les attaques cent fois répétées sur son « injustice sociale ». Le 26 mars au soir, pour son premier grand rendez-vous télévisé devant plus de 3 millions de téléspectateurs, celui qu'on présentait alors comme un premier ministre en sursis se faisait sévèrement moucher par le présentateur vedette Jeremy Paxman. Sans même un "bonsoir, monsieur le Premier Ministre", comme l'a raconté le Monde, la question a immédiatement fusé : « David Cameron, savez-vous combien il y avait de banques alimentaires quand vous êtes arrivé au pouvoir ? » Réponse gênée du candidat : « Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je sais que leur fréquentation a augmenté. » Coup de poignard du journaliste : « Il y en avait 66; il y en a 421 aujourd'hui. »

Qu'importe, encore et toujours, les moqueries le dépeignant en notable peu en phase avec le "petit peuple". Le 6 avril, il devient la risée des médias et des réseaux sociaux pour avoir, au cours d'un barbecue censé lui donner l'allure d'un "homme comme tout le monde", mangé un hot dog avec... un couteau et une fourchette. Un « snob » raille en une le Daily Mail, à l'unisson de toute la presse. Partagé par des millions d'internautes, un tweet se montre particulièrement dévastateur : « Cameron mange un hot dog avec des couverts. Je fais la même chose chez McDonald's avec un Big Mac avant de demander la liste des vins. »

Mais rien n'y a fait. Jusqu'à son refus, incompris de ses propres électeurs et jugé « hautain » par les commentateurs, de débattre avec ses adversaires afin de ne pas brouiller, dans ces joutes politiciennes, son profil de "gestionnaire", uniquement préoccupé de la bonne santé économique du Royaume-Uni. Hors de question, jamais, de dévier de la "rigueur", des coupes budgétaires et, selon sa formule, des « choix difficiles ». Face au tsunami des critiques et aux doutes de ses troupes, l'homme n'aura eu qu'un argument, un seul, en plus de la promesse d'un référendum sur la sortie de l'Union européenne (lire notre encadré page de gauche) : « la compétence économique ou le chaos ». La clé de sa victoire.

« On ne se fait pas élire en promettant du sang et des larmes », confiait récemment Nicolas Sarkozy au sujet du programme de François Fillon. En France, peut-être pas. En Grande-Bretagne, si. Pour avoir ignoré cela et mis le cap "à gauche toute", convaincu que la dénonciation des "inégalités" suffirait à lui offrir la victoire (« Pour Cameron, ce qui est bon pour les super-riches est bon pour le pays », a-t-il notamment déclaré), Miliband est tombé dans le piège de la "crédibilité" tendu par le prime minister. Lequel s'est appuyé, sans complexe, sur un bilan à faire pâlir la plupart de ses homologues dans le monde. Dix-huit jours seulement après son élection de 2010, celui qui était, à 43 ans, le plus jeune premier ministre de l'histoire de son pays, lançait un train de mesures sans précédent pour « remettre l'économie britannique sur les rails ». Quitte à transformer le Royaume-Uni en laboratoire de l'austérité.

Objectifs en partie atteints cinq ans plus tard (lire Valeurs actuelles du 23 avril) : baisse des dépenses publiques de 14 %, « l'effort le plus significatif depuis les années 1920 », diminution de 15 % du nombre de fonctionnaires et gel de leurs rémunérations, réduction de 43 % des dotations aux collectivités locales entraînant une baisse de 11 % des dépenses locales, le tout conjugué à une diminution des impôts sur les sociétés et le revenu (avec un taux maximal de 45 %)... Sur les trois derniers mois de 2014, la croissance est passée à 3 % en rythme annuel, le chômage sous la barre des 6 % (contre respectivement 0,4 % et 10,5 % en France, qui s'est vu dépasser, tout un symbole, par le Royaume-Uni, désormais cinquième puissance économique mondiale). Au total, 1,6 million d'emplois ont été créés, soit plus que... dans le reste de l'Europe !

La recette ayant fonctionné, on aurait pu imaginer que Cameron, pour des raisons électoralistes, promette pour la suite une "pause" dans les réformes. Tout faux, là encore. « Le Labour nous rendra aussi mauvais que la France », ironisait-il, donnant le ton, au sujet du programme jugé « démagogique » des travaillistes, partisans, notamment, d'une hausse des impôts pour les plus riches.

Publiquement soutenu durant sa campagne par la City et les patrons (« Nous pensons que l'actuel gouvernement [...] a été positif pour les entreprises, ont écrit, dans une lettre ouverte, 120 d'entre eux. Un changement de direction [...] mettrait en danger la reprise économique »), le premier ministre réélu l'a annoncé : c'est la rigueur, encore la rigueur, qui sera au rendez-vous pour les cinq ans à venir, avec la poursuite drastique des coupes budgétaires, y compris dans les aides sociales, les allocations chômage et l'armée. Mais avec l'engagement, grâce aux économies réalisées, d'inscrire dans la loi l'interdiction de toute hausse des impôts, de la TVA et des taxes durant le prochain mandat...

Folch Arnaud
Valeurs Actuelles, no. 4094 - Jeudi 14 mai 2015, p. 32


Référendum Une sortie de l'Union européenne avant 2017 ?
Arnaud Folch

C'était, pour David Cameron, le prix à payer pour enrayer une percée sur sa droite de l'Ukip (United Kingdom Independence Party), le parti europhobe de Nigel Farage : la promesse d'un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne « avant la fin de 2017 ». Promesse confirmée le soir de sa réélection. Tactiquement, le pari du premier ministre réélu a fonctionné. Alors qu'il était arrivé en tête lors des européennes de 2014 (27 %), l'Ukip n'a obtenu que la troisième place (13 %) et un seul député. Battu dans sa circonscription du Kent, où il était pourtant donné ultra-favori en début de campagne, Farage a démissionné de la tête de son parti (qu'il pourrait cependant retrouver rapidement). Reste, pour Cameron, un autre défi - de taille : organiser cette consultation à haut risque. Lui-même, comme les milieux d'affaires qui le soutiennent, est favorable au maintien. Mais son mouvement est profondément divisé. Comme le résume, dans le JDD, l'historien et maître de conférences au King's College de Londres Andrew Blick, « les députés tories rebelles constituent un parti à l'intérieur du parti ». Un cactus, donc, pour Cameron. Afin d'imposer son point de vue et d'éviter l'implosion du camp conservateur, il doit absolument obtenir de Bruxelles une modification des traités en faveur du Royaume-Uni (baisse des dotations, plus grandes garanties d'indépendance...). Dont l'Union, pour l'heure, ne veut pas entendre parler...

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