À l'image de la loi russe de 2012 sur les associations, le pouvoir chinois est sur le point d'adopter une législation instaurant un contrôle drastique sur les ONG. Premières visées, les organisations internationales qui aident aujourd'hui les associations chinoises. De la procédure d'enregistrement au recrutement d'employés, un parcours d'obstacles devra se faire sous l'oeil des autorités.
« L'hiver arrive... » C'est ainsi qu'un militant qui travaille dans une ONG chinoise commente la publication du projet de loi « sur la gestion des ONG dont le siège est basé hors de Chine continentale » . Comme il se doit, ce projet de loi est ouvert aux commentaires du public jusqu'au 4 juin (également 26e anniversaire du massacre de Tiananmen). Plusieurs dispositions confirment le raidissement du régime à l'égard de la société civile. Il entend soumettre les ONG dont le siège est basé hors de Chine continentale et les ONG chinoises recevant des financements de l'étranger ou de Hong Kong, Macao et Taïwan à un contrôle renforcé du gouvernement.
Ce contrôle concerne l'ensemble des aspects de l'activité des ONG internationales. Cela va de leur enregistrement auprès des autorités chinoises au recrutement de leur personnel, en passant par la supervision de la gestion financière et opérationnelle de leur projets. Les ONG chinoises n'ont plus le droit de recevoir de financements d'organisations internationales qui n'ont pas de bureau de représentation en Chine continentale. Selon Maya Wang, chercheuse à Human Rights Watch , « le but fondamental de la loi est de renforcer le contrôle du gouvernement sur la société civile de façon significative » .
Jusqu'à présent, aucune loi spécifique ne gérait précisément ces activités. Ainsi, seules une trentaine d'ONG internationales étaient effectivement enregistrées et avaient le droit de lever des fonds en Chine, tandis que les centaines d'autres ne disposaient d'aucun statut légal pour exercer leur activité. Elles étaient tolérées par le gouvernement et devaient se débrouiller seules ou avec leurs partenaires locaux pour trouver visas, bureaux, financements, etc. Ces dernières années, plusieurs d'entre elles ont demandé une loi dans l'espoir d'obtenir un statut légal qui leur permettrait de simplifier leurs démarches administratives et d'exercer leur activité plus sereinement. Beaucoup déchantent aujourd'hui.
Car la loi en cours d'adoption laisse une grande marge de manoeuvre aux autorités. La définition de l' « ONG internationale » reste floue. Elle est décrite comme toute entité qui « travaille dans les domaines de l'économie, de l'éducation, de la science et de la technologie, de la santé, de la culture, des sports, de la protection environnementale et de la charité » (article 3) et qui est « enregistrée hors de Chine continentale en tant qu'organisation non gouvernementale ou à but non lucratif » (article 2). Cette définition couvre donc des organisations aussi différentes que la Fédération française de football et Médecins sans frontières. Par ailleurs, le terme d' « activité » n'est expliqué nulle part, ce qui laisse une grande marge d'interprétation aux organes de sécurité publique.
Jia Xijin, professeure associée au centre de recherche sur la gestion des ONG de l'université Tsinghua à Pékin, souligne ce problème dans une interview donnée au site chinois ngocn.org : « Le problème est que la définition "d'organisation" est très vague, elle inclut l'ensemble des activités des entreprises sociales. Par ailleurs, elle adopte un point de vue très étroit pour aborder ces problématiques, celui de la sécurité nationale. Le résultat est que toutes les activités de toutes les organisations sociales internationales sont analysées sous l'angle de la sécurité nationale. »
Parmi les mesures qui renforcent encore le rôle de l'État-parti, on peut citer les articles 6 et 7 qui obligent toute ONG internationale ayant des activités en Chine à enregistrer un bureau de représentation auprès du bureau de la sécurité publique plutôt qu'auprès de celui des affaires civiles (ce qui est pourtant le cas des ONG chinoises). On voit ici l'influence de la loi sur « les agents de l'étranger » passée en Russie en 2012 et qui a permis au pouvoir d'accroître son contrôle sur les associations.
L'enregistrement du bureau est soumis au parrainage d'une « unité de supervision professionnelle » (USP) qui doit être une entité administrative gouvernementale chinoise, une organisation de masse (organisations telles que la Fédération des femmes, la Fédération des personnes handicapées, etc., qui sont des émanations directes du Parti communiste chinois), une institution publique ou une ONG enregistrée auprès des affaires civiles qui travaille dans le même domaine que l'ONG internationale partenaire. À titre d'exemple, une organisation qui couvre les questions de santé doit demander le parrainage du ministère de la santé ou du département provincial de la santé. Si elle travaille sur les droits des femmes, elle doit être parrainée par la Fédération des femmes de Chine ou par une organisation de défense des droits des femmes approuvée par celle-ci.
Cette obligation fait porter le poids et l'éventuel risque politique de l'enregistrement sur les USP. Il est plus que probable qu'elles rechigneront à accorder leur parrainage et exigeront de nombreux détails sur les activités à mettre en oeuvre avant de le faire. Le rayon d'action des ONG est fortement limité, puisqu'elles ne peuvent établir qu'un seul bureau et n'agir que dans les régions et sur les projets acceptés par le gouvernement au moment de la création du bureau. Il sera donc très difficile pour elles d'avoir une action au niveau national ou de diversifier leurs activités. Elles auront par ailleurs interdiction de lever des fonds en Chine sans l'autorisation expresse du gouvernement.
Un net durcissement depuis 2012
En matière de recrutement, plusieurs clauses visent à limiter leur indépendance et l' « influence étrangère » sur le pays : elles auront l'obligation de passer par le bureau des affaires étrangères pour procéder au recrutement d'employés et de bénévoles (art. 32) et ne pourront pas compter plus de 50 % d'employés étrangers en leur sein. Elles devront enfin fournir des rapports d'activité annuels à leur USP et au bureau de la sécurité publique qui pourra mener des enquêtes, interroger le personnel, confisquer des documents de leurs bureaux et accéder à leurs comptes bancaires et à ceux de leurs employés. Tout manquement à ces différentes obligations pourra conduire à la fermeture du bureau, à une amende de plusieurs dizaines de milliers de yuans (milliers d'euros) et à une période de détention de 10 jours maximum pour les chefs de bureau.
Ce projet de loi met de sérieux bâtons dans les roues des ONG qui travaillent en Chine. L'obligation d'établir un bureau de représentation et les nombreux documents à fournir et critères à respecter pour y parvenir risquent d'être des obstacles impossibles à franchir pour les organisations de petite taille, ainsi que pour celles qui n'ont pas de bons contacts au sein des USP.
Ce texte s'inscrit dans la continuité du virage conservateur opéré par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir. Comme l'explique Teng Biao, cofondateur de l'ONG Gongmeng avec Xu Zhiyong, et ancien maître de conférences à l'Université de droit et de sciences politiques de Chine : « Après l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la répression de la société civile s'est renforcée de façon notable. Un grand nombre de personnes clefs du mouvement de défense des droits a été arrêté, plusieurs directives recommandant un contrôle idéologique plus strict ont émergé et le contrôle de l'Internet s'est intensifié encore davantage. La position des autorités par rapport à la société civile et aux droits de l'homme est passée d'une stratégie de limitation et de contrôle à celle d'une répression pure et simple. »
Depuis 2012, plusieurs militants, avocats et intellectuels chinois ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison ou à une surveillance renforcée. En établissant un strict contrôle sur les ONG internationales, le pouvoir tente de se débarrasser des ONG chinoises de défense des droits, qui sont souvent largement dépendantes des financements étrangers et hongkongais étant donné que les bailleurs locaux refusent de les financer de peur de s'attirer des ennuis. Dans un contexte social de plus en plus tendu, ce choix peut s'avérer risqué pour le pouvoir, parce que ces organisations jouent un rôle de modérateur des frustrations de la population et tentent, pour la grande majorité d'entre elles, de résoudre les nombreux conflits qui opposent les citoyens à l'État, ou les ouvriers à leurs entreprises en se fondant sur la législation chinoise.
De nombreux universitaires et employés d'ONG chinois et étrangers s'organisent pour envoyer des commentaires à l'Assemblée nationale populaire avant le 4 juin, en vue d'infléchir un texte très répressif. S'ils échouent, il ne pourront qu'espérer que, comme beaucoup d'autres lois chinoises, celle-ci ne sera pas appliquée à la lettre.
Mediapart (site web) - International, mardi 26 mai 2015 - 08:43:01+02:00
Gilles Taine
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