lundi 15 juin 2015

ANALYSE - Des dangers de l'opération « mains propres » chinoise - Patrick Saint-Paul

En abattant l'ancien « tsar » chinois de la sécurité, le président Xi Jinping s'est imposé comme le dirigeant chinois le plus puissant depuis Mao Tsé-toung. Toutefois, la condamnation de Zhou Yongkang à une peine de réclusion à perpétuité, pour corruption, abus de pouvoir et divulgation de secrets d'État, marquera très certainement un tournant dans la vaste campagne anticorruption lancée par le numéro un chinois.


Formidable outil pour éliminer ses ennemis, mettre au pas la fonction publique, l'armée et le Parti communiste chinois (PCC), son opération « mains propres » lui a aussi valu de multiplier ses ennemis au sein d'un Parti miné par les luttes fratricides.

Il y a trois ans à peine, Zhou Yongkang siégeait aux côtés de Xi Jinping au sein du Comité permanent du bureau politique du PCC, qui gouverne le pays. En charge de la Sécurité publique, organe vital de l'État policier chinois, Zhou était considéré jusqu'à sa retraite, fin 2012, comme l'un des dirigeants les plus puissants du régime. À l'annonce du verdict, l'ancien félin redoutable à la mâchoire carrée et à la crinière de jais est apparu à la télévision d'État, avec des cheveux blancs épars : une image symbolique forte signalant que le redoutable tigre est désormais inoffensif.

Zhou est l'homme le plus haut placé dans la hiérarchie à tomber « dans l'histoire de la République populaire » , a souligné vendredi le quotidien officiel Global Times. Mais si sa chute est généralement perçue avec satisfaction par une bonne partie de la population, le spectacle des violentes dissensions au sommet, accompagné de déballages sur les pots-de-vin et autres détournements de fonds, livre à nouveau l'image désastreuse d'un Parti unique miné par les « affaires » et le népotisme.

Le procès s'est tenu dans le plus grand secret, officiellement pour empêcher la propagation de secrets d'État, potentiellement embarrassante pour Xi et le Parti... mais aussi révélateurs des dessous peu reluisants du PCC. Xi a aussi fait preuve d'une certaine prudence en accordant une relative « clémence » à Zhou, qui encourait la peine de mort avec sursis. Dès la semaine dernière, la toute puissante Commission d'inspection et de discipline du PCC, bras armé du pouvoir dans l'opération « main propres » , a aussi amorcé un virage dans sa campagne lancée il y a plus de deux ans.

« La tâche a changé » , a-t-elle annoncé sur son site Internet avant l'annonce du verdict. La Commission affirme que de nouvelles règles robustes garantiront une réforme à long terme au sein du Parti, afin d'éradiquer la corruption, suggérant ainsi que le pouvoir s'apprête à lever le pied sur la poursuite des cibles au sommet de la hiérarchie. Si elle a servi à asseoir le pouvoir de Xi, grâce à un brutal « remaniement » instillant la peur au sein du régime, la multiplication des disgrâces parmi les plus hauts gradés de l'armée, les hauts dirigeants des entreprises d'État et les chefs du PCC au niveau des provinces, a aussi fini par peser sur le pouvoir. En allant plus loin, il risque de tomber dans un engrenage suicidaire, se discréditant totalement auprès du peuple en créant un sentiment de « tous pourris » .

L'an dernier, 232 000 communistes chinois ont été sanctionnés et 12 000 remis à la justice, selon les chiffres officiels, tandis que « valsaient » nombre de chefs du Parti de provinces, de gouverneurs ou de maires, sans compter une cinquantaine de dirigeants de rang vice-ministériel ou au-dessus. Les 86 millions de membres du PCC forment l'ossature politico-administrative de la Chine et l'encadrement des entreprises étatiques de la deuxième puissance économique mondiale. Et les sanctions et limogeages en rafales qui pleuvent depuis deux ans avec la campagne anticorruption contre les « tigres » et les « mouches » - grands et petits corrompus - l'ont amené au bord de la paralysie.Le ralentissement de la croissance incite aussi le pouvoir à lever le pied. La campagne a eu pour effet pervers de bouleverser la hiérarchie au sein de nombre d'entreprises mastodontes, créant une sorte de paralysie administrative, ralentissant les prises de décision. Par ailleurs, « la campagne anticorruption de Xi Jinping lui a créé beaucoup d'ennemis » , souligne Willy Lam, de l'Université de Chine de Hongkong. Wang Qishan, le patron de la Commission de discipline, est son seul allié de poids au sommet du système. S'il veut se faire désigner, pour un second mandat fin 2017, Xi devra rassembler.

Les sanctions et limogeages en rafales qui pleuvent depuis deux ans avec la campagne anticorruption contre les « tigres » et les « mouches » ont amené la Chine au bord de la paralysie




Le Figaro, no. 22036 - Le Figaro, lundi 15 juin 2015, p. 21

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