lundi 6 avril 2009

« Péril jaune » à Melbourne - Sylvie Kauffmann

Le Monde - Dernière heure, samedi, 4 avril 2009, p. 26

Il ne fallait pas être grand clerc pour flairer le poisson d'avril dans le scoop du Herald Sun, citant une dénommée April Fulton, mercredi 1er avril sur le site Internet du quotidien de Melbourne, mais le sujet est si sensible que les lecteurs se sont bousculés pour mordre à l'hameçon. La nouvelle, il est vrai, concernait l'un des joyaux de la ville, le temple du sport où, depuis le XIXe siècle, des générations d'Australiens ont acclamé leurs idoles, et dont les immenses tribunes ont vibré pour les Jeux olympiques de Melbourne en 1956, puis pour ceux du Commonwealth en 2006 : le Melbourne Cricket Ground, « MCG » pour les natifs.

Le 1er avril donc, April Fulton a révélé qu'un groupe chinois, Mekong Industries, se portait acquéreur des droits nominaux du stade, mais que, par égard pour la valeur sentimentale et historique de son nom en Australie, le MCG resterait le MCG. Car, par un heureux hasard, Mekong Cricket Ground et Melbourne Cricket Ground ont les mêmes initiales.

« Vendons-leur tout le pays, pendant qu'on y est ! » Le sang bleu de plus d'un Australien n'a fait qu'un tour, si l'on en juge par la rapidité des réactions sur le site. Comment leur en vouloir ? En quelques mois, la crise a inversé la dynamique des relations sino-australiennes.

Le premier ministre travailliste, Kevin Rudd, est arrivé au pouvoir en décembre 2007 paré du titre glorieux de premier chef de gouvernement occidental à parler couramment le mandarin. A l'époque, l'Australie surfait sur la crête d'une jolie courbe de croissance, et le cours des matières premières, au plus haut, remplissait les caisses de ce pays pourvu de minerai de fer, de cuivre et autres trésors. La Chine était prête à payer le prix fort pour acheter ces ressources dont son industrie en pleine expansion était si gourmande. Bref, son sous-sol et son premier ministre sinisant assuraient à l'Australie une position privilégiée dans le sillage du grand boom chinois. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes mondialisés.

C'était sans compter sur les subprimes et leur cortège de malheurs. A la mi-2008, le cours des matières premières s'était effondré. Aujourd'hui, les grandes sociétés minières australiennes sont criblées de dettes. En Chine, la crise frappe aussi, mais, stimulée par l'énorme plan de relance de Pékin, attirée par les prix en baisse et s'appuyant sur des prêts généreux de banques chinoises aux coffres bien garnis, « Chine SA » est plus avide d'acquisitions à l'étranger que jamais. Depuis deux ans, 26 contrats miniers ont été conclus entre Chinois et Australiens, mais voilà que, soudain, les entreprises chinoises désireuses de prendre des participations dans les mines d'Australie font figure de rapaces, dans une version moderne du proverbe latin Timeo Sinenses et dona ferentes (« Je crains les Chinois même porteurs de cadeaux »). Trois offres chinoises sur la table sont ainsi devenues sulfureuses : celle de Minmetals sur Oz Minerals, celle de Hunan Valin Iron sur Fortescue Metals et, surtout, la très grosse (19,5 milliards de dollars) offre du géant de l'aluminium Chinalco, qui veut porter à 18 % sa part dans la compagnie minière Rio Tinto. Les deux premières viennent d'être conclues. Canberra examine la troisième.

L'examen ne se fait pas, cependant, dans la sérénité. Portée aux nues hier, la sinophilie du premier ministre est à présent suspecte : lorsque la presse a découvert que Kevin Rudd avait reçu dans sa résidence officielle le numéro 5 du Politburo chinois, Li Changchung, accessoirement chargé de la propagande, sans juger utile de rendre la rencontre publique, puis que le ministre de la défense avait accepté des cadeaux d'une personnalité proche du pouvoir chinois, le tollé a été immédiat. Traité d' « ambassadeur itinérant de la République populaire de Chine » par le chef de l'opposition pour sa défense d'un rôle accru de la Chine au FMI, M. Rudd s'est vu aussi gratifier des surnoms de « toutou de Pékin » et de « candidat mandchou ».

La coupe était pleine. Le gouvernement a contre-attaqué en accusant l'opposition d'agiter l'épouvantail du « péril jaune » et de jouer sur la corde xénophobe au moment où le nombre de visas accordés aux immigrants diminue de façon inversement proportionnelle à la montée du chômage. « Toutes ces insinuations visent clairement à toucher un nerf encore sensible dans la communauté australienne », a déploré le ministre des finances, Lindsay Tanner. Pour son collègue Simon Crean, ministre du commerce, en visite à... Pékin pour tenter de faire avancer les négociations sur un accord de libre-échange, « quiconque ne comprend pas que la Chine est importante pour l'avenir de l'Australie a besoin de se faire examiner la tête ». Interrogé par le magazine chinois Caijing, Tom Albanese, le directeur de Rio Tinto, a trouvé, lui, l'argument massue : si l'offre de Chinalco est rejetée, dit-il, il faudra supprimer 2 000 emplois... En Australie.

Sylvie Kauffmann

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