Les projets immobiliers de la mégapole de 32 millions d'âmes reflète la croissance à marche forcée des provinces du centre.
Imaginez un agrégat d'une trentaine de villes, chacune de la taille de Paris, Lyon ou Marseille. Groupez-les sur la carte et mettez un peu de banlieue autour. Saupoudrez par des tâches de verdure, rizières, vergers. Cette mégapole existe, elle s'appelle Chongqing, se situe au centre-ouest de la Chine et elle abrite 32 millions d'âmes, dont 22 millions se concentrent en ville, dans du béton. Puis questionnez son maire, Huang Qifan, sur le gigantisme de sa cité-province.
Va-t-elle grossir encore ? «Bien sûr, mais nous avons une limite !» rassure l'édile, répondant à une petite délégation de journalistes emmenés en Chine au début de juin par le cimentier Lafarge. Mais cette limite est loin d'être atteinte et elle donne le vertige : «12 millions d'habitants dans le coeur de la mégapole, dont deux millions de "flottants" [entendez des migrants de l'intérieur, ndlr] Et 20 à 25 millions dans les cités autour.» Soit, en moins d'une décennie, un bond de 50%.
Il y a quelques jours, Wen Jiabao, le Premier ministre, a annoncé de nouvelles mesures pour accélérer le développement à l'ouest : imposition réduite sur les bénéfices pour motiver l'initiative privée et davantage de taxes sur les ressources naturelles dont les recettes profiteront aux gouvernements locaux. Parce que Pékin et surtout Shanghai, sur la côte Est, frôlent la surchauffe immobilière.
Inabordables. Une poussée de fièvre parallèle à l'envol des millionnaires chinois, dont le nombre a encore progressé de 31% en 2009, et qui ont pris pour cible l'immobilier, «l'un des principaux moteurs de la spéculation»,Analyse, depuis Londres, Hervé Lievore, spécialiste de l'Asie chez Axa Investment managers. Pourquoi ?«A cause d'une offre trop limitée de produits d'épargne et de l'impossibilité de faire sortir l'argent de Chine»,Poursuit-il. Les chiffres donnent le tournis : «Jusqu'à 19% de hausse sur le résidentiel haut de gamme en avril», poursuit l'analyste. A Pékin ou encore Shanghai, devenus inabordables, on ne compte plus, dit-il, «les immeubles-placements, laissés en jachère par leurs propriétaires en attendant que les prix grimpent encore d'un cran». Rien de tout cela à Chongqing et dans les provinces alentours, le Sichuan, le Yunnan, Guizhou.
Le long de l'avenue bordant le Yangtze, à Chongqing, des tours en grappes prennent en sandwich des immeubles décatis. De l'autre côté du fleuve, des barres se profilent dans un grand désordre, à perte de vue. Là, des trous béants en attente de grues et de bétonnières, prélude à de nouvelles constructions. Instruite des excès de la côte Est, la municipalité de Chonqing dit redoubler de vigilance pour réguler le marché des appartements hors de prix. Des taxes, prévient le maire, Huang Qifan, vont s'ajouter aux mesures déjà adoptées, comme «l'obligation pour ceux qui sont déjà propriétaires de verser un apport personnel jusqu'à 50 % ou le relèvement des taux d'intérêt jusqu'à 10 ou 20 %». Vigilance, aussi, sur le prix des terrains : «Nous allons en fournir beaucoup», ceci pour calmer les prix, assure encore le maire, inquiet de l'emballement du foncier. «On trouve, dans la Chine du centre-ouest, les mêmes lignes de force que sur la côte Est au début de sa croissance : un habitat existant dégradé, des logements jugés trop exigus et le besoin de loger les nouveaux arrivants», Analyse Hervé Lievore.
Tours géantes. Faut-il croire Huang Qifan quand il professe que «toute famille dont le revenu se situe dans la moyenne, soit 70 000 yuans par an [7 000 euros, ndlr], et qui épargne six ou sept ans, doit pouvoir emprunter pour s'offrir sa maison» ? A Chongqing, le mètre carré débute à 5 000 yuans, mais peut grimper jusqu'à 25 000 yuans, soit plus très loin de la moitié du mètre carré parisien. Dans le centre de Chongqing, au confluent du Yangtzé et de la rivière Jialing, émerge un programme immobilier ambitieux. Sur cette langue de terre, le maire rêve d'un centre financier à l'image de Pudong, le quartier d'affaires de Shanghai. La maquette, clinquante, trône au centre d'expo-vente, tout près du site. Trois tours géantes d'un bleu miroir surplombent une dizaine d'autres, plus discrètes. La plus haute culminera à 468 mètres. Elle se veut l'égale du «décapsuleur», la star de Shanghai avec son sommet en forme d'ouvre-bouteilles. «Ce sera le plus haut gratte-ciel du centre de la Chine, et le coeur de la cité financière», Affirme Tang Ka Wah, manager général du département de la construction de Shui On, une firme chinoise. Trois immeubles ont été déjà livrés et «80% des surfaces ont trouvé preneur», dit-il.
Les infrastructures sont l'autre pilier du développement-bétonnage de Chongqing. En 2009, prétend son maire, Chongqing a dépassé Shanghai pour les investissements. La suite promet, avec 10 000 kilomètres de voies express, d'autoroutes et de lignes de chemin de fer dans les cartons. Dans une Chine qui produit et consomme 50% du ciment mondial, les grands cimentiers, dont Lafarge, ne voient pas spécialement l'avenir en gris.
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