Le Monde diplomatique - Novembre 2010, p. 14 15
Un camouflet pour la logique économique à courte vue
On attendait plutôt les exploitations à ciel ouvert de Mongolie-Intérieure, ou les mines profondes du bush australien. Mais c'est en plein coeur des brouillards de la mer de Chine orientale que la problématique des " terres rares ", ces métaux à haute valeur ajoutée technologique, a une fois de plus émergé dans l'actualité. Le 7 septembre 2010, un chalutier chinois, hasardant ses filets dans les eaux territoriales japonaises, est cerné par les garde-côtes. Il tente de fuir, et ce faisant éperonne un bâtiment militaire nippon. L'équipage est arrêté. L'incident se déroule non loin de l'archipel des Senkaku (Diaoyu pour les Chinois). Eparpillées à cent soixante-dix kilomètres au nord-est de Taïwan, ces huit îles presque désertes appartiennent à Tokyo, mais Pékin en revendique la souveraineté depuis les années 1970. Revendications autrefois émises recto tono, mais qui s'affirment désormais avec plus d'âpreté, reflétant l'évolution progressive du rapport de force entre une Chine en ascension, à l'étroit dans ses eaux peu profondes, et un Japon sur la défensive (1).
Par l'escalade diplomatique qu'elle a suscitée, la collision du 7 septembre révèle l'étendue du répertoire coercitif dont dispose la Chine dans la défense d'une zone hautement stratégique pour elle. La détention du capitaine du bateau chinois, prolongée par décision d'un tribunal japonais le 19 septembre, a amené le ministère des affaires étrangères à menacer : " Si le Japon continue dans cette attitude imprudente, il goûtera à son propre fruit amer. " De Pékin à Shanghaï, suscités ou spontanés, protestations " patriotiques " et autodafés de drapeaux nippons se multiplient. Jusqu'à ce que le " fruit amer " ne prenne finalement tout son sens aux alentours du 20 septembre, sous la forme d'un coup d'arrêt des exportations de terres rares chinoises vers les ports japonais. Rien d'officiel, mais de Hongkong à Tokyo en passant par Londres, les courtiers en matières premières le confirment : les chargements sont retardés, voire bloqués (2). L'effet est spectaculaire.
En portant le bras de fer sur le terrain des ressources énergétiques, Pékin met en lumière une faiblesse rédhibitoire du Japon et de bien d'autres puissances désireuses d'acquérir ces précieux minerais.
Une stratégie d'étranglement
Les terres rares sont un groupe de dix-sept métaux aux propriétés uniques (3), utilisés de plus en plus massivement dans l'industrie innovante et de haute technologie. Lasers, téléphones portables, écrans à cristaux liquides en contiennent, et les performances nouvelles des dernières générations de terminaux de " connexion de masse ", de l'iPhone aux tablettes tactiles, reposent en partie sur les propriétés de ces éléments. Les nouvelles industries " vertes " connaissent aussi cette dépendance : batteries de véhicules hybrides, panneaux solaires, ampoules basse consommation ou turbines d'éoliennes sont tributaires des métaux " dopants " que sont le néodyme, le lutécium, le dysprosium, l'europium ou le terbium, également porteurs de promesses en termes de catalyse pour le raffinage du pétrole. Enfin, l'industrie de défense utilise les terres rares pour des systèmes aussi cruciaux que les missiles de croisière, les munitions guidées, les radars ou les blindages réactifs.
La demande mondiale en terres rares croît de plus de 10 % par an. Elle est passée en une décennie de quarante mille à cent vingt mille tonnes annuelles. L'industrie américaine, japonaise ou européenne ne peut déjà plus s'en passer, comme le résume l'analyste Cindy Hurst dans une récente étude pour le département américain de la défense : " Sans les terres rares, une grande partie de la technologie moderne serait profondément différente, et bien des applications ne seraient pas même possibles. Par exemple, nous ne connaîtrions pas l'avantage de la miniaturisation des téléphones et des ordinateurs portables (4). " En général, plus un modèle industriel est innovant (résistant, léger, de taille réduite, " écocompatible "), plus sa dépendance aux terres rares augmente. Le Japon est un cas d'école : les seules batteries des véhicules hybrides Prius de Toyota nécessitent dix mille tonnes de terres rares par an pour être assemblées (5). L'avènement de l'industrie " verte " pourrait plus généralement faire grimper la demande mondiale annuelle à deux cent mille tonnes : on trouve plusieurs centaines de kilos de terres rares dans une turbine d'éolienne de grande taille.
" Rares ", ces substances ne le sont pourtant pas au sens strict. Selon l'US Geological Survey (USGS), Pékin ne détiendrait qu'entre 40 et 50 % des réserves mondiales. Il en existe des concentrations avérées dans de nombreux pays, des Etats-Unis à l'Australie en passant par le Canada, le Kazakhstan ou le Vietnam. Dans ces conditions, pourquoi une telle sensibilité sur le sujet, au Japon et ailleurs ? Parce qu'en 2010, 97 % des cent vingt-cinq mille tonnes d'oxydes de terres rares extraites annuellement de la surface de la planète sont chinoises. Un monopole quasi absolu. Et plutôt récent.
Entre 1927, date de la découverte de leurs immenses gisements de terres rares de Bayan Obo, et les années 1960 environ, les Chinois ne s'étaient que médiocrement intéressés à l'avantage compétitif qu'ils détenaient. La production était alors dominée par les Etats-Unis. C'est sous Deng Xiaoping, avec le " programme 863 " (6) de 1986, que Pékin opte pour une stratégie de long terme visant à développer une maîtrise pérenne de l'exploitation des terres rares, de l'extraction à la fabrication de produits semi-finis en passant par la séparation et la transformation des matériaux de base.
L'action du professeur Xu Guangxian (7), le " père des terres rares chinoises ", sera décisive. Il met sur pied, en 1987, le premier laboratoire chinois spécifiquement consacré à la chimie appliquée des terres rares, lequel vient renforcer le vénérable institut de recherche de Baotou, fondé en 1963. Entre 1978 et 1989, la production chinoise s'accroît de 40 % par an (8), et dépasse dès lors la production américaine, qui elle-même décline progressivement. En faisant fond sur l'accessibilité et l'abondance de leurs propres réserves de Mongolie-Intérieure, qui leur permettent de vendre à bas prix leurs terres rares durant des années, les Chinois asphyxient progressivement les autres producteurs. Lesquels préféreront appliquer la loi des avantages comparatifs en abandonnant la filière, via un désinvestissement " compétitif " et des délocalisations vers la Chine.
La disparition des concurrents étrangers s'explique aussi ces vingt dernières années par la lourdeur de la filière : les opérations de séparation et de valorisation de ces composés sont gourmandes en capitaux et nocives pour l'environnement. La séparation des terres rares nécessite en effet des substances chimiques extrêmement polluantes, et laisse derrière elle des déchets radioactifs. Sacrifiant la santé des ouvriers des mines de Baotou et le milieu naturel attenant, seule la Chine a volontairement choisi de développer une production de masse malgré ces " externalités négatives ". Les rejets des mines de Baotou Steel dans le fleuve Jaune constituent désormais un problème gigantesque.Le taux de cancer chez les ouvriers se révèle totalement anormal. Economiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et spécialiste reconnu du sujet, Christian Hocquard pointe " un certain paradoxe entre l'utilisation des terres rares pour des énergies renouvelables et ces procédés d'obtention polluants (9) ".
Il en faudrait davantage pour que la Chine abandonne la filière. Grâce à ces dix-sept métaux que Deng Xiaoping avait, dès les années 1970, comparé avec prescience au futur " pétrole de la Chine ", Pékin instaure un rapport de forces avec des clients américains, japonais ou européens qui dépendent de cycles d'innovation très courts, " dopés " aux terres rares. Insensiblement, cette suprématie du fournisseur sur le consommateur se prête à l'instrumentalisation sur le terrain politique, comme le démontre l'affaire des îles Senkaku (Diaoyu).
Certains estiment que la Chine pourrait réorienter progressivement sa politique des terres rares et passer d'une stratégie de la dépendance à celle de l'étranglement. Dans cette hypothèse, Pékin réduirait progressivement le volume de ses exportations. Avec deux objectifs : d'une part, faire monter les prix et ainsi rentabiliser son monopole de fait (le néodyme a atteint 32 000 dollars la tonne en août 2010, une augmentation de 60 % en un an) ; d'autre part, réserver ses terres rares à la montée en gamme de la production industrielle autochtone. Car après avoir produit des terres rares " brutes " ou des produits semi-finis, et s'en être assuré le monopole, la Chine ambitionne désormais de fabriquer des produits finis à plus haute valeur ajoutée, avec pour objectif une filière totalement intégrée. Appuyée sur un quasi-arrêt des exportations de ces minerais, la combinaison lui donnerait un atout stratégique considérable. Les sacrifices environnementaux, que la Chine ne prend pas à la légère, contrairement à certaines idées reçues, trouveraient ainsi leur justification de long terme, si tant est qu'un tel désastre puisse se justifier par des raisons économiques.
A rebours de certains rapports insistant sur le machiavélisme industriel de Pékin, ce mouvement n'est pas piloté au millimètre près par les hiérarques du comité central. Car la stratégie de " montée en gamme " se conjugue avec une explosion de la croissance et de la consommation chinoises qui " emballe " le processus et oblige la Chine, plus rapidement et plus brutalement sans doute qu'elle ne l'aurait voulu, à approvisionner préférentiellement ses propres industriels pour répondre à leur demande. C'est donc pour un ensemble de raisons complémentaires, à la fois voulues (stratégie d'influence politique, ambitions industrielles) et subies (montée du marché intérieur de consommation) que la Chine a effectivement réduit de 40 % ses exportations de terres rares ces sept dernières années et qu'elle a annoncé, en juillet 2010, que ces dernières décroîtraient à nouveau de plus de 70 % au deuxième semestre 2010, à huit mille tonnes contre vingt-huit mille tonnes environ pour la même période l'an passé (10). Même s'ils le désiraient, il serait difficile aux Chinois d'accroître la production au rythme de la demande globale. D'où un blocage des approvisionnements de ses clients étrangers, qui met Pékin en délicatesse possible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et suscite protestations officielles et théories du complot dans le reste du monde.
Mais l'inquiétude des industriels japonais, européens et américains repose aussi sur des éléments objectifs. Depuis août 2010, la filière chinoise se réorganise autour de quelques grandes sociétés d'Etat. Baotou Steel, qui représente déjà 75 % de la production nationale, a ainsi pris le contrôle des sociétés mineures du sud de la Chine, comme Xinfeng Xinli Rare Earths. Objectif : mieux gérer les problèmes environnementaux, mais surtout juguler un trafic illégal de terres rares qui compterait, selon certaines estimations, pour près d'un tiers du volume sortant de Chine tous les ans. Avantage connexe : le couvercle monopolistique éliminerait une brèche de taille, pour peser enfin de tout son poids sur le marché. Les fabricants étrangers de produits haut de gamme, sans autre solution, devraient délocaliser en Chine pour s'assurer un accès pérenne aux composants de base. Beaucoup l'ont déjà fait. Selon certains analystes, il y aurait pire. Afin de prolonger à tout prix son monopole, Pékin encouragerait ses industriels à prendre le contrôle capitalistique des quelques compagnies étrangères touchant de près (extracteurs australiens, métallurgistes canadiens) ou de loin (transformateurs européens) à la filière des terres rares.
En 2009, China Investment Corp a acquis 17 % de Teck Resources Ltd, un acteur minier très important au Canada. En Australie, l'agressivité chinoise, avec la tentative de prise de contrôle de Lynas Corporation, a fait se cabrer Canberra fin 2009, ce qui n'a pas empêché la même année une autre entreprise chinoise d'acquérir 25 % d'un producteur local de terres rares, Arafura Resources Ltd (11).
Même Mountain Pass, le principal gisement " dormant " de terres rares américain, a bien failli passer sous contrôle chinois : en 2005, peu après la fermeture de la mine californienne, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) déposait une offre pour acquérir le pétrolier américain Unocal. Pas de liens directs a priori ? A l'exception du fait qu'Unocal, via Molycorp acquis en 1978, était en fait et en droit le propriétaire de Mountain Pass. Unocal est finalement resté américain suite à une bronca du Congrès et de l'opinion publique sur la question de l'autonomie pétrolière des Etats-Unis, mais peu d'observateurs noteront alors que la Chine était passée bien près de faire " coup double " (pétrole et terres rares) sur cette offre.
Plus généralement, depuis quelques années, Pékin démontre sa propension - et son aptitude - à structurer finement une stratégie d'ensemble, fondée sur son action de levier sur les marchés, ses richesses minières, sa force de frappe capitalistique et l'unicité de décision de son exécutif. Mais son principal atout, en sus de ces cartes maîtresses, pourrait être, tout simplement, l'absence de coordination des politiques d'autonomie énergétique des acteurs occidentaux.
Le réveil des " pays industrialisés " (expression désuète s'il en est) est d'autant plus amer qu'il s'apparente à une parabole ironique illustrant l'antithèse absolue entre logique capitaliste à courte vue et stratégie de long terme. L'exemple américain est saisissant : entre 1965 et 1985, les Etats-Unis maîtrisent l'intégralité de la chaîne des terres rares. Le " bas " (le site californien de Mountain Pass) approvisionne le " haut " (par exemple la firme Magnequench dans l'Indiana, une filiale de General Motors productrice d'aimants permanents à base de néodyme-fer-bore, aujourd'hui indispensables à toute l'automobile moderne). Viennent les années de l'ascension chinoise, et leur pression sur les prix.
En 1995, alors que ce dumping achève de fragiliser la rentabilité de Mountain Pass, par ailleurs confrontée à des problèmes environnementaux, deux firmes chinoises, alliées pour l'occasion à un investisseur américain, font une offre sur Magnequench. Le gouvernement des Etats-Unis finit par donner son accord, à condition que les Chinois acceptent de conserver la firme sur le sol américain durant cinq ans. A l'expiration du délai, les employés sont licenciés, et l'entreprise est littéralement démontée et déménagée à Tianjin, en Chine (12). D'autres producteurs, allemands et japonais entre autres, closent alors leurs usines américaines, pour la même destination. Aujourd'hui, il ne reste pratiquement rien de ce secteur sur le sol américain.
En 2010, l'histoire de Magnequench figure en bonne place dans les rapports alarmistes des " cercles de réflexion " américains sur les terres rares, où l'on rappelle opportunément que cette entreprise avait été financée en partie sur fonds publics et qu'elle fournissait les aimants permettant à la bombe guidée Joint Direct Attack Munition (JDAM) de Boeing de fonctionner. Pourtant, en dehors de quelques syndicalistes et élus, bien peu se posèrent à l'époque la question de la " logique " de marché qui rendit possible cette erreur stratégique.
A présent, on ne parle plus que de terres rares aux Etats-Unis. Car, à compter de 1995, une autre dimension entre dans l'équation : la montée en puissance militaire de la Chine. Une série d'études et d'analyses consacrées aux rare earths a donc fleuri à Washington, avec une accélération nette de la fréquence et du sérieux des alertes depuis un an environ, avant même l'incident des Senkaku. Le Pentagone, particulièrement concerné, s'investit dans des exercices de prospective destinés à sensibiliser les parlementaires et l'exécutif américains. Dans le domaine de la défense, le National Defense Authorization Act pour l'année fiscale 2010, dans sa section 843, enjoint ainsi au Government Accountability Office (GAO), l'équivalent de la Cour des comptes, d'étudier précisément la place des terres rares dans la chaîne de fourniture du ministère de la défense.
La liste est longue (13) - munitions guidées de précision, lasers, systèmes de communication, systèmes de radar, avionique, équipements de vision nocturne ou encore satellites - et ne peut que s'étoffer : les procédés ou matériaux en développement dans les laboratoires industriels de défense (14) comportent presque toujours des terres rares. Le ministère de la défense a révélé que certains composants à base de terres rares (en particulier le lanthane, le cérium, l'europium et le gadolinium) avaient manqué ces dernières années, déclenchant des retards dans certains programmes militaires américains. L'armée de l'air, très impliquée dans les programmes secrets et les technologies de rupture (15) (communication, furtivité), s'est inquiétée dès 2003, dans un rapport interne, de sa dépendance aux aimants de forte puissance à base de néodyme. Le collège industriel des forces armées a exploré dans son " Industry Study " de 2009 les mentions des terres rares dans les domaines de la construction navale, de la production d'armes (16) et dans le secteur aéronautique. Le Centre de recherches de l'armée de terre sur l'armement et le Centre naval de guerre de surface ont conduit quant à eux des études sur cette dépendance et les moyens d'y parer. Un temps, la marine américaine aurait même songé à financer un redémarrage des installations de la mine de Mountain Pass.
Un savoir-faire évaporé
Pilotée par le ministère de la défense, une " grande revue " des dépendances américaines aux terres rares - portant sur vingt-quatre systèmes d'armes majeurs pour le Pentagone - était censée être achevée fin septembre ou début octobre 2010. L'effort est tardif. Et l'on peut parfaitement imaginer que la Chine ait pu lancer l'équivalent de cette " revue " de son côté, pour évaluer quels pourraient être les moyens de pression discrets aujourd'hui à sa disposition pour gêner l'approvisionnement de tel ou tel élément fondamental pour les technologies de rupture sur lesquelles repose l'avance militaire américaine. Ce qui serait de bonne guerre, si l'on s'en tient aux principes de Sun Tzu.
Pour les décideurs du Capitole, " la volonté chinoise de limiter ses exportations va poser un problème de compétitivité aux Etats-Unis, et nous devons d'une part assurer notre approvisionnement et d'autre part permettre le développement des mines de terres rares sur notre sol. Les Etats-Unis ne peuvent plus dépendre à 100 % des importations chinoises ". En mars, le représentant républicain du Colorado Michael Coffman a présenté un projet de loi demandant la remise en état de toute la filière américaine d'exploitation des terres rares, ainsi que la constitution de stocks stratégiques.
L'initiative s'est transformée en un projet de loi, le Rare Earths and Critical Materials Revitalization Act, actuellement en cours d'examen au Congrès. Mais, malgré la récente frénésie d'analyses aux Etats-Unis sur ce thème et les discussions sur les stocks stratégiques ou le recyclage, la dépendance restera la norme pour les années à venir. On estime ainsi que la reconstruction d'une filière américaine des terres rares prendrait quinze ans, tout en dépendant d'investissements lourds et continus.
Un savoir-faire et une culture industriels se perdent en quelques années, mais il faut plusieurs décennies pour les faire renaître, souvent parce que l'expertise humaine correspondante s'est évaporée. Certes, l'Amérique va finalement rouvrir Mountain Pass, en 2011. Certes, Toyota achète à présent ses terres rares au Vietnam et ailleurs, via des partenariats de long terme, tandis que le ministère japonais de l'industrie investit dans les mines du Kazakhstan ou du Canada. Certes, le français Rhodia développe ses liens avec l'Australie, qui fait de plus en plus figure de fournisseur de rechange face au monopole chinois. Mais il faudra que la crise économique laisse à ces pays ou acteurs privés la possibilité de soutenir des investissements de long terme. Rien n'est moins sûr. La réalité, à moins d'un volontarisme stratégique fort et déconnecté des lois du marché, c'est que les industriels américains, européens et japonais dépendront de plus en plus de ces substances, et donc des composants de base chinois qui en constituent le flux ultramajoritaire.
L'Europe ? Le 17 juin 2010, un rapport de la Commission tirait le signal d'alarme sur l'état, critique pour son économie, des approvisionnements de quatorze matières premières. Les terres rares y figuraient en bonne place. Comment éviter les erreurs du passé, assurer une relative autonomie d'approvisionnement à l'Europe et éviter de perdre des compétences dans ces secteurs stratégiques ? Loin des Senkaku (Diaoyu), les anciens ouvriers de feu Magnequench, au fond de l'Indiana, ont sans doute un avis intéressant sur la question.
Note(s) :
(1) Cf. Barthélémy Courmont, Géopolitique du Japon, Artège, Perpignan, 2010. Lire également " La Chine affirme ses ambitions navales ", Le Monde diplomatique, septembre 2008.
(2) Keith Bradsher, " Amid tensions, China blocks vital exports for Japan ", The New York Times, 23 septembre 2010.
(3) Le groupe des terres rares inclut les quinze éléments appelés lanthanides, du lanthane (La, 57) au lutécium (Lu, 71), auxquels on associe l'yttrium et le scandium.
(4) Cindy Hurst, " China's rare Earth Elements Industry : What can the West learn ? ", Institute for the Analysis of Global Security (IAGS) mars 2010.
(5) Makiko Kitamura et Jason Scott, " Toyota forms task force on rare earth metals amid China export ban reports ", 29 septembre 2010.
(6) Dit " Programme de recherche-développement de la haute technologie nationale ".
(7) Formé à l'université américaine de Columbia entre 1946 et 1951, Xu est considéré comme un héros national. Il a reçu en janvier 2009 le Prix suprême d'Etat pour la science et la technologie des mains du président Hu Jintao.
(8) Cindy Hurst, op. cit.
(9) Entretien avec Christian Hocquard paru sur Actu-Environnement.com, 2 juin 2010.
(10) Ministère du commerce chinois et Bloomberg News, " China cuts rare earth export quota 72 %, may spark trade dispute with US ", 9 juillet 2010.
(11) Pour Lynas, l'acteur chinois était la China Non-Ferrous Metal Mining Company. Dans le cas d'Arafura, il s'agit de Jiangsu Eastern China Non-Ferrous Metals Investment Co. Voir le site d'information australianrareearths.com.
(12) Jeffrey St. Clair, " The saga of Magnequench ", The Bloomington Alternative, 23 avril 2006. Voir également le site de Magnequench pour le discours et les produits actuels de la firme.
(13) " Rare earth materials in the defense supply chain " (PDF), gao.gov, 14 avril 2010.
(14) Rapport du National Defense Stockpile de 2009, mentionné dans l'étude du GAO déjà citée.
(15) Innovations qui, plutôt que d'améliorer les technologies existantes, introduisent des ruptures suffisantes pour les remplacer.
(16) Site du collège industriel des forces armées.
Olivier Zajec
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1 commentaires:
Bel article, complet et fouillé, qui laisse le lecteur incrédule devant la "légèreté" de l'Occident : suite à la fin de la guerre froide, force a été donnée aux sociétés privées, aux profits donc au court terme. Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres, c'est l'application patiente d'une volonté (politique) et d'une philosophie millénariste de construire à long terme, appuyée par une vision stratégique basée sur la profondeur (innovation / captation / production). Résultat : perte d'emplois, de savoirs et de savoirs-faire mais surtout d'un avantage stratégique certain. Le soleil se lève de plus en plus à l'Est...
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