jeudi 31 mars 2011

Enquête sur la droite Zemmour - Saïd Mahrane



Le Point, no. 2011 - France, jeudi, 31 mars 2011, p. 46

Transgression. Le chroniqueur médiatique est le symbole d'une droite qui se lâche.

«C'est dans mon tempérament. Je prends des risques, j'assume. » La nuque est fière, l'oeil, perçant, et l'air, conquérant. Eric Zemmour, c'est l'histoire d'un éclaireur sur un champ de bataille idéologique qui va au-devant de l'ennemi, tandis que, dans son dos, sa division l'exhorte à aller plus vite, à charger plus fort. Casse-cou, il se laisse porter par les encouragements. Il prend des coups, tombe, se relève, ouvre des brèches dans le front adverse; ses compagnons d'armes, derrière leur bouclier rutilant, s'y engouffrent à petits pas. En récompense de sa bravoure, on célèbre l'éclaireur Zemmour, on sollicite son témoignage, on le porte en héros. Ou plutôt en héraut, celui d'une droite bien décidée à recouvrer son identité inspirée de la terre et des cathédrales.

Parmi les tenants de cette orthodoxie, on trouve Nicolas Sarkozy, avec lui Claude Guéant et Jean-François Copé - à un degré moindre -, dont le positionnement se justifie d'abord par l'obsession d'endiguer la montée du Front national. Et puis il y a les autres, les purs, les traditionalistes, légitimistes, enracinés « à droite toute » depuis leurs premières castagnes politiques, tels Gérard Longuet, Thierry Mariani, Eric Ciotti, Christian Vanneste, Lionnel Luca et d'autres, nombreux à l'UMP, qui saluent la capacité du « chroniqueur du peuple », Zemmour, à lever les tabous, à libérer la parole, à desserrer le corset idéologique. Si un jour l'UMP faisait alliance avec le FN, cette escouade d'élus de la majorité serait le mastic de cette union droitière.

Pour reprendre l'expression fétiche de Jean-François Copé : ils « mettent les pieds dans le plat », là où une grande partie de la droite a encore tendance à débattre avec des chaussons stériles. A en croire l'ancien directeur de Marianne, Jean-François Kahn, la zemmourisation des esprits est en marche, et à grande échelle : « Aujourd'hui, on n'entend plus que le discours du courant Zemmour, qui est devenu le courant dominant. Ils sont partout, sur les plateaux télé, dans les radios... En outre, ils font preuve d'un sectarisme semblable à celui reproché à la gauche. »

« Droite populaire ». Zemmour, récemment invité à la table de Nicolas Sarkozy, serait donc le nom de cette droite-là. De cette « droite populaire », anti-bling-bling - l'autre nom pour dire anti-Fouquet's et anti-Carla. De l'Europe ou de l'immigration, des Roms ou de l'islam, on ne sait trop ce qui offense le plus ces contempteurs de la bien-pensance. Il est vrai qu'avec sa puissance médiatique l'auteur de « Z comme Zemmour » soulage les frustrations des râleurs du café d'en face comme celles de ces élus qui, par peur de déraper, ont longtemps bridé leur parole. Pour Christian Vanneste, jugé infréquentable depuis ses propos controversés sur l'homosexualité,« Eric est un symbole utile, car actuellement, en France, on tue Voltaire ! L'autre jour, en Commission des lois, il était question d'un rapport sur les gens du voyage. J'ai eu le malheur de demander pourquoi ce rapport n'abordait pas la délinquance dans ce milieu... Que n'ai-je pas entendu, y compris dans mon camp ! Immédiatement, le politiquement correct s'est fait entendre. Par ailleurs, dire ce qu'on pense n'est pas évident, car il n'est jamais agréable pour les élus de se retrouver devant les tribunaux, alors ils se font prudents. En plus, un procès, j'en sais quelque chose, cela peut coûter une fortune. »

Le foyer africain du coin qui pose des problèmes d'ordre public ? Le drapeau français de la mairie qui a été remplacé par un étendard étranger ? Ces associations communautaires qui voudraient des droits d'exception ? La droite peut désormais faire confiance à ces va-t-en-guerre idéologiques pour en parler, pour « éveiller » les consciences, n'en déplaise au MRAP, à Richard Berry et aux bobos de gauche comme à tous ceux issus de cette « école du oui, avec ses cours accélérés d'amen universel » (Philippe Muray).

Contre-discours. Jean-Marie Le Pen, qui fut condamné pour « provocation à la haine raciale », n'est pas convaincu par leur « croisade » contre le politiquement correct. Il raille ces « pickpockets » de la pensée, qu'il qualifie d'« aile UMP qui fait toujours pipi dans sa culotte », quand Sarkozy retoque leurs idées les plus radicales (tests ADN, incarcération des parents d'enfants délinquants...). Au sujet de Zemmour : « Il touche à des sujets qui suscitent la prosternation des politiques. On l'attaque et on le vénère aujourd'hui pour ça. Je lui dis bienvenue au club, c'est à son tour maintenant d'être diabolisé. »

Le journaliste du Fig Mag, qui dit encore déplorer « la pusillanimité des politiques », devrait pourtant se réjouir : les couards qu'il fustige sont de moins en moins nombreux. Chantal Brunel a parlé de remettre les réfugiés libyens dans leurs bateaux. Les si pondérés Christian Jacob et Laurent Wauquiez doutent, eux, des racines françaises de Dominique Strauss-Kahn. L'ancien garde des Sceaux Pascal Clément a prévenu ses collègues de la majorité que,« le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales en France, ça ne sera plus la France ». Gérard Longuet a considéré que le socialiste Malek Boutih n'appartenait pas au « corps traditionnel français ». Lors d'un débat sur l'identité nationale, Nadine Morano a dit attendre du « jeune musulman » qu'il ne parle plus le verlan. Interrogé sur l'opportunité d'organiser ce débat, le maire UMP de Gussainville (Meuse) le juge « indispensable », avant de déclarer : « Il est temps qu'on réagisse, parce qu'on va se faire bouffer(...)Y en a déjà 10 millions, 10 millions que l'on paie à rien foutre. » Un discours cru - encore plus, en privé - au service d'une France, disent-ils, affolée par les ghettos, l'islam, la mondialisation et ce que cela suppose de vents contraires aux traditions nationales.

Le tout frais ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, qui s'est mis lui aussi à user d'une rhétorique extrêmement droitière, ne dit pas autre chose en jugeant qu'« à force d'immigration incontrôlée les Français ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux ».« Les » Français et non « des » Français... Un feu nourri de critiques s'est abattu sur l'ancien préfet, qui, jusqu'alors, n'avait jamais été considéré comme un dur. Face à cette déferlante, qui fut l'un des premiers à le soutenir avec verve et sans aucun élément de langage fourni par l'Elysée ? Zemmour, lors d'une chronique sur RTL, qui a fustigé les « Torquemada de bac à sable » scrutant les « non-dits » et « les non-pensées ». Sans être un Torquemada, on peut penser que le non-dit de celui qui fait toujours - c'est un principe vital -« ce que le président[lui]demande », Guéant, est de contrer Marine Le Pen, dont le parti a enregistré une forte progression aux cantonales.

Dire ce qu'on pense, malgré notre culture de la pondération politique, héritée des années Giscard-Mitterrand-Chirac. Malgré les lois « liberticides »(dixit Zemmour) Taubira ou Gayssot, qui encadrent les débats. Malgré les associations qui assurent la vigilance sur le terrain idéologico-ethnique. Zemmour et ses disciples réclament rien de moins que l'abrogation de ces lois et l'arrêt du versement des subventions aux associations antiracistes, qui appliqueraient à l'encontre des « mal-pensants »« un maccarthysme de gauche ». Il l'a dit, l'autre jour, lors d'un débat UMP ayant pour thème « Les normes vont-elles tuer les libertés des Français ? », devant un parterre de parlementaires en extase - les compagnons dans leur armure rutilante. Du velours pour Zemmour. Une réunion qui n'aurait pas fait une ligne dans la presse sans la présence du chroniqueur star, condamné à 2 000 euros d'amende avec sursis pour « provocation à la discrimination raciale ». Cette condamnation (il n'a pas fait appel) est peut-être sa plus belle médaille, qui donne à son combat un vernis sacrificiel.

« L'UMP, c'était une tribune originale pour exprimer un certain nombre d'idées », confie Zemmour. Si, à son tour, Marine Le Pen l'invitait à s'exprimer devant une convention du Front national, irait-il ?« Franchement, je n'en sais rien... » A l'en croire, l'UMP ne se droitise pas, elle retrouverait simplement son positionnement originel, celui qui fut le sien avant le recentrage du RPR dans les années 90. Il jure qu'il ne s'engagera pas davantage sur le terrain partisan. D'ailleurs, comme pour mieux affirmer sa liberté, cet ancien homme de gauche précise avoir déjeuné avec Jean-Pierre Chevènement le jour de sa participation à la réunion UMP. Journaliste doublé d'un footeux, amateur d'épopées napoléoniennes et de chanteurs à texte, il confie faire son métier « comme le faisaient nos ancêtres. La gloire du journalisme à la française est un mélange de commentateur, d'idéologue, d'intellectuel qui sort de sa sphère pour donner son avis sur les affaires de la cité ». Il s'étonne qu'on lui reproche ses positions : « En 2002, 80 % des journalistes ont voté Jospin. On me fait peut-être payer le fait de ne pas être de leur engeance... » Cite l'exemple de Jean-François Kahn, ex-candidat MoDem aux européennes, qui n'a pas essuyé autant de critiques que lui (« A sa différence, moi, je partage les idées du MoDem, je n'irai pas faire ça à l'UMP », rétorque JFK.) Il soutient que « depuis vingt ans les people, les artistes délivrent à la télé un discours politique, un véritable endoctrinement public », et que, de ce fait, il « propose simplement un contre-discours ». Et qu'importe si ce contre-discours est souvent monothématique ou exempt de nuances tant que la France qui souffre l'entend et l'intègre.

Décomplexés. A ce rythme, la campagne présidentielle s'annonce d'ores et déjà virile, avec un Claude Guéant en ministre Fouettard de l'Immigration et de l'Intérieur et des députés de la Droite populaire plus décomplexés que jamais.

Marine Le Pen, avec ses sondages d'intentions de vote à deux chiffres (20 % en moyenne au premier tour de la présidentielle), n'en demandait pas tant. La présidente du Front national constate avec satisfaction que « les digues tombent ». Elle salue cette parole libérée, seulement quand elle est populaire ou quand « des journalistes d'opinion[Zemmour]ou des économistes en usent », mais dénonce la « comédie » des élus de droite qui s'aventurent sur son terrain. Les divisions idéologiques à l'UMP lui donnent le sentiment d'une « panique dans la volière ». Sa conviction profonde est que Sarkozy, Longuet, Guéant, Mariani et les autres « ne connaissent rien de la France. Parce qu'ils pensent qu'en lançant des propos racistes ou critiquables ils vont me prendre des électeurs ? Parce qu'ils pensent que pour avoir le peuple il faut mettre du gros rouge qui tache ? Mais penser cela, c'est penser que les Français sont d'affreux racistes et c'est leur faire injure. Non, les Français ne sont pas racistes ! Les Français sont un peuple modéré, généreux et ouvert ». Un comble.


Louis Aliot, l'homme de l'ombre du FN
Hervé Denyons

Il ne sera pas de la poignée de conseillers généraux espérés par le Front national. Mais, avec 46 % des voix, Louis Aliot hisse son parti à un score historique dans le canton de Perpignan, une ville qu'il aimerait conquérir. La priorité de l'ancien rugbyman, désormais, c'est le rendez-vous présidentiel de Marine Le Pen, sa compagne. Avec presque vingt ans de militantisme, ce quadra à l'accent marqué de son Ariège natale est devenu un des plus fins connaisseurs du FN et son meilleur stratège. Il y a tout vécu, du collage d'affiches des premières années à l'adoubement de Marine au congrès de Tours, jusqu'à devenir le numéro deux du FN. De ce parcours il a tiré une conviction : le FN n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'il parle aux Français de leurs préoccupations avec des mots simples. Exit, donc, la diabolisation ou les grands débats sur l'Histoire, place à la préférence nationale rebaptisée citoyenneté, ou à la polémique sur les prières musulmanes dans la rue. Docteur en droit, Aliot va maintenant s'atteler au programme de 2012. Il va opérer dans l'ombre, stylo en main, pour peaufiner l'image d'un FN modernisé et prêt à gouverner. Louis Aliot avouait d'ailleurs récemment préférer devenir secrétaire général de l'Elysée plutôt que ministre si Marine Le Pen accédait à l'Elysée...

La droite qui se lâche...

Lionel Luca - Député des Alpes-Maritimes : « Ceux qui, aux Antilles, font toutes sortes d'amalgames avec l'esclavage ne crachent pas sur le RMI des anciens colonisateurs ! »

Gérard Longuet - Ministre de la Défense : A propos de Malek Boutih pour la Halde : « Il vaut mieux que ce soit le corps français traditionnel qui soit responsable de l'accueil de nos compatriotes. »

Claude Guéant - Ministre de l'Intérieur : « Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux. »

Thierry Mariani - Secrétaire d'Etat chargé des Transports : « Je propose d'instaurer des tests ADN facultatifs pour tous les candidats aux regroupements familiaux. »

Chantal Brunel - Députée UMP de Seine-et-Marne : « Il faut rassurer les Français sur toutes les migrations de populations qui viendraient de la Méditerranée. Après tout, remettons-les dans les bateaux ! »

Prophétique

C'est la réédition que s'arrachent les tenants d'une France menacée dans son identitépar un « raz de marée » de migrants. Pour une partie de la droite et de l'extrême droite, « Le camp des saints », de Jean Raspail (photo), publié en 1973, est un livre prophétique, qui s'avère terriblement d'actualité. Le livre décrit en effet l'arrivée de 1 million d'immigrants, venant d'Inde, sur les côtes françaises. Ce qui annonce, selon l'auteur,« la fin du monde blanc ».

Chroniques

Mais pourquoi Eric Zemmour est-il si méchant ? Dans la préface de son prochain livre (1) - un recueil de ses chroniques de RTL -, le journaliste multicarte explique les raisons qui le poussent à dire tout haut ce que tout le monde penserait tout bas.« Tirer parti d'une actualité protéiforme, à la fois répétitive et imprévisible, pour tenter de voir derrière le rideau, de déconstruire les idéologies dominantes, d'éclairer les rapports de forces derrière le lénifiant des discours convenus », tel est son credo, ou la clé de sa survie médiatique.


Le feu couve dans la maison Sarkozy
Sylvie Pierre-Brossolette

Zizanie. Quand Fillon, Copé, Baroin et les autres s'entre-déchirent. Récit.

C'est du jamais-vu sous la Ve République. Pas une semaine ne se passe sans que la majorité, au plus haut niveau, ne montre la zizanie qui règne en son sein. Entre les deux tours des cantonales, c'est le Premier ministre, François Fillon lui-même, qui prend ses distances avec la position officielle sur l'attitude à tenir vis-à-vis du Front national. Au lendemain du second tour, c'est François Baroin, porte-parole du gouvernement, qui fait sensation en affirmant, contrairement à la ligne de l'Elysée : « Il faut certainement mettre un terme à tous ces débats comme sur la laïcité et l'islam et s'écarter de tout ce qui peut donner l'impression de stigmatiser. » En fin de journée, sur le plateau de Canal +, c'est Jean-François Copé qui laisse exploser sa colère contre le Premier ministre. Le secrétaire général de l'UMP l'accuse carrément de « ne pas jouer collectif ». Il faisait autant allusion au débat sur l'islam qu'à celui sur les consignes de vote. Au Château, on en est réduit à compter les coups et à lancer des appels presque pathétiques, tant ils ne sont pas entendus, à la solidarité de la majorité. Un trouble gigantesque s'est emparé des esprits face à la stratégie pratiquée par Nicolas Sarkozy. Pour une partie des responsables UMP, la droitisation a été trop loin. Il n'y a pas que les centristes, Jean-Louis Borloo en tête, qui le pensent. Des gaullistes, y compris au gouvernement et jusqu'à Matignon, souhaitent que l'on ne se concentre pas sur l'islam ou l'immigration. Les choix thématiques de Nicolas Sarkozy, relayés abondamment par Claude Guéant ces derniers temps, sont considérés contre-productifs. Le résultat des élections serait là pour le prouver : jamais le FN n'a réuni autant d'électeurs dans les cantons où il était présent; et les sympathisants UMP ont souvent bravé la consigne du « ni-ni » en se reportant sur les candidats de la vague « bleu Marine ».

Doutes

En privé, Alain Juppé, inquiet des chapelles qui renaissent au sein de l'UMP qu'il a créée, confie que l'on devrait changer de sujet : « Il faut déplacer le curseur des thèmes sécurité-immigration vers le social et l'économie. » Bruno Le Maire est sur la même longueur d'onde. Il a appelé son ami François Baroin pour lui dire qu'ils étaient en phase. Le ministre de l'Agriculture juge que la meilleure réponse à apporter à la colère des citoyens n'est pas d'en rajouter dans la division : « Je suis sur la même ligne que François[Baroin].On a besoin de paroles de paix et de rassemblement. Plus les sujets sont difficiles, plus les républicains doivent pacifier et établir des priorités. Pour moi, c'est l'emploi, le chômage des jeunes, la violence aux personnes. Il faut à tout prix éviter de stigmatiser. »

Face à ces doutes stratégiques, Nicolas Sarkozy est resté de marbre. Il conserve sa ligne. Devant les dirigeants de l'UMP, qu'il recevait lundi matin à l'Elysée, il a réaffirmé la nécessité du débat sur la laïcité : « Il faut qu'il ait lieu. » Il y aurait un « malentendu » au sujet des propos tenus par le ministre du Budget (qui n'en a pas retiré un mot). Dans une ambiance très électrique, selon un des participants, le président a donné la parole à François Fillon et Jean-François Copé pour faire le point sur un scrutin où l'UMP n'a guère brillé, sauf dans le Val-d'Oise,« département de Dominique Strauss-Kahn », repris par la droite. Le chef de l'Etat s'est ensuite chargé lui-même de donner son opinion : « Si on calcule le solde des cantons gagnés et perdus, le différentiel négatif est seulement de 22. Mais la presse avait écrit l'histoire par avance. Vous n'y pouvez rien. Alors que l'on subit la crise, que l'on a tordu les Français dans tous les sens avec nos réformes et que l'on avait les médias contre nous, on aurait dû avoir un résultat bien pire, ce qui n'a pas été le cas. » Puis Nicolas Sarkozy a redit son attachement au rôle de lanceur de débats confié à l'UMP : « Qu'est-ce que vous feriez si vous ne débattiez pas ? » Jean-François Copé suggère - en visant Fillon sans le dire encore, ce sera pour le soir - qu'il pourrait y avoir « une meilleure coordination entre le gouvernement et le parti ». Sarkozy en rajoute en lançant : « La meilleure coordination pourrait se faire non seulement entre gouvernement et parti, mais entre le président, le gouvernement et le parti. » Il n'a toujours pas digéré l'incartade de François Fillon.

« Indestructible »

Il est surtout déterminé à ne plus céder aux sirènes humanistes : « Je me suis fait avoir avec le retrait de la mesure sur la déchéance de la nationalité. On ne m'y reprendra plus. J'ai perdu à droite sans gagner au centre. » Tout le problème est là. Nicolas Sarkozy veut se qualifier pour le second tour de 2012, alors que l'on glose déjà sur sa capacité à être le meilleur candidat de la droite. Il espère toujours reconquérir les UMP égarés au FN. Pour l'instant, cela ne marche pas. La dernière intention de vote Ipsos l'élimine du match. Mais il n'y croit pas. En 2006, au creux de la vague, il disait déjà à un proche : « Je suis indestructible. » Il en est toujours persuadé.


Voyage au pays des nouveaux islamophobes
Emilie Trevert

Brun-rouge. Le nouveau front va de l'extrême droite à la gauche. Enquête.

« O uh là ! Y a du monde ! » Quelques chibanis (anciens, en arabe) papotent sur un banc à l'ombre de l'église Notre-Dame. Un groupe de jeunes Maghrébins profite des premiers rayons du soleil azuréen sur le trottoir d'en face. Philippe Vardon, un grand gaillard de 120 kilos, adepte de boxe thaïe, n'a pas l'air rassuré. Engoncé dans sa Barbour, lunettes Ray-Ban sur son crâne rasé, il accélère la cadence en passant, rue de Suisse, devant une salle de prières musulmane et sa librairie coranique. Le président de Nissa Rebela - un mouvement autonomiste niçois affilié au Bloc identitaire - n'a pas pour habitude de se promener dans le coin. Ce trentenaire, issu d'un milieu modeste, y a pourtant passé son enfance. C'était il y a longtemps. Avant que ce quartier de Nice ne se transforme, selon lui, en « ghetto communautaire ».

« Redevenir maîtres chez nous ». Les tracts de Nissa Rebela annoncent la couleur. Ce samedi matin, sur la place de la Libération, Philippe Vardon et ses acolytes font la tournée des popotes avant les cantonales.« Contre la construction de la mosquée d'Estrosi ! » clame l'ex-mégrétiste en distribuant ses prospectus traduits en nissart, la langue niçoise. Des femmes voilées lui jettent un regard noir, quelques badauds déclinent l'offre. Mais l'accueil est plutôt chaleureux. Une vieille dame tirant son chariot les encourage : « Continuez ! » Un commerçant leur lance un « Bravo ! », le pouce en l'air. Ici, les identitaires, qui ont signé un accord avec l'ancien édile Jacques Peyrat (ex-FN, ex-UMP), font partie du paysage. Leur créneau : lutter contre l'« islamisation », et plus seulement contre l'immigration. Quand ils ne dénoncent pas les vendeurs de kebabs qui supplantent la « socca » (une spécialité locale), ils manifestent contre un projet de collège islamique en déclenchant l'« opération appel du muezzin ».« On débarque avec deux voitures vers 5 heures du mat' au pied des immeubles et on branche la sono à fond, détaille fièrement Vardon.Evidemment, on se fait souvent insulter. Les gens ne sont pas très contents de se faire réveiller à cette heure-là par des chants arabes ! » Des méthodes d'agit-prop inspirées des mouvances d'extrême gauche qui séduisent les plus jeunes.

Au Bastioun, le QG de Nissa Rebela, on retrouve une bande de post-ados, crâne rasé et sweat à capuche, qui traînent leurs baskets entre le bar et le baby-foot. A la gloire du célèbre casseur niçois Spaggiari, le local a plus l'allure d'une MJC de quartier que d'un repaire de néofascistes. Vardon, l'ex-skinhead, chanteur du groupe punk-rock Fraction Hexagone, y campe le rôle du « grand frère » au milieu de ses ouailles.« De jeunes Gaulois de souche qui recherchent leurs racines », dit-il. Un vivier de gamins paumés qui servent aussi à remplir les listes aux élections locales, à coller des affiches ou encore à filmer les prières de rue avec leur téléphone portable. C'est leur nouveau cheval de bataille : interdire les prières musulmanes qui débordent sur la rue de Suisse,« une petite Goutte-d'Or locale », dixit leur porte-parole. Adeptes de la provocation, les identitaires ont réussi leur coup, début mars, en menaçant d'organiser un apéro « porchetta-rosé » dans le quartier. Un vendredi, bien sûr...

Alcool et porc. Voilà les ingrédients qui servent le combat de ces nouveaux militants, classés à droite de l'extrême droite. Eux préfèrent se nommer « résistants » ou encore « populistes ». Le 18 juin, le Bloc identitaire avait fait parler de lui en lançant ce jour symbolique un « apéro saucisson-pinard » - finalement interdit - à la Goutte-d'Or, dans le 18e arrondissement de Paris, où se déroulent des prières de rue. Bien avant Marine Le Pen, les identitaires dénonçaient l'« occupation » de la voie publique par les musulmans à grands coups de propagande sur Internet, leur média favori. Ils n'ont qu'une poignée d'adhérents (3 000, selon leurs sources), mais des moyens d'action bien rodés. Près de Grenoble, depuis son ordinateur, Fabrice Robert pilote les opérations. A travers une dizaine de sites Web (une agence de presse, Novopress, un site éducatif, un autre vantant les produits du terroir...), les réseaux sociaux Twitter et Facebook, les vidéos en ligne, ce consultant médias investit la Toile pour mieux diffuser la parole identitaire. Quand on le rencontre dans un café germanopratin, rien ne laisse deviner que ce jeune homme de 39 ans, marié, en veste et chemise ciel, fut membre d'une bande de Rebelles blancs, puis d'Unité radicale, ce groupuscule d'extrême droite auquel appartenait Maxime Brunerie, auteur de l'attentat contre Jacques Chirac en 2002. S'il ne renie rien de son passé radical et nationaliste, le président du Bloc identitaire tient à polir son image et celle de son mouvement, qui s'est mué en parti politique en 2009. Alors, en tête de cortège lors des manifestations, derrière les banderoles « Anti-racaille » et devant les anciens du Groupe union défense (GUD), on place de jolies blondes pour adoucir le message.« On est là pour séduire, pas pour faire peur », concède-t-il entre deux tics nerveux. Depuis peu, Robert fréquente même... des « gauchistes ».« Face à un danger commun, on met de côté nos divergences. »

Le front anti-islam ne connaît pas de frontières. Depuis l'« apéro saucisson-pinard », les identitaires flirtent avec Riposte laïque, un journal en ligne réputé de gauche et obsédé par l'« invasion » islamique. En décembre, ils ont scellé leur pacte en organisant conjointement les Assises contre l'islamisation de l'Europe, avec en invité d'honneur l'Helvète Oskar Freysinger, pourfendeur des minarets. L'alliance « rouge-brun » fonctionne. Un millier de personnes de tous bords ont fait le déplacement. « Ce n'était pas un rassemblement de néonazis, et c'est bien le problème ! note le sociologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite.Il y a incontestablement quelque chose qui est en train de se passer dans le paysage politique. »

Aujourd'hui, c'est autour d'Eric Zemmour, leur nouveau gourou, qu'ils se retrouvent. Dans un pub de Saint-Germain, où le journaliste reçoit le premier prix de la Liberté d'expression du site Enquête et Débat, Fabrice Robert rejoint Christine Tasin. Présidente de l'association Résistance républicaine, cette femme « ataviquement de gauche »(sic) a droit, elle, au troisième prix. De sa petite voix sucrée, elle distille son fiel. Répétant avec le sourire : « Je suis islamophobe et fière de l'être ! » Pour cette ex-prof de lettres, la religion de Mahomet évoque tout de go « la haine, la mort, la fin de nos valeurs ». Celle qui se dit la cible d'une fatwa va encore plus loin, comparant l'islam au « nazisme ».« L'islam n'est pas compatible avec la République. Ce n'est pas une religion, c'est un système totalitaire ! Un jour, il faudra l'interdire. »

Ancienne chevènementiste, Tasin a abandonné les partis traditionnels pour militer à sa façon avec son complice Pierre Cassen. Le fondateur de Riposte laïque, ex-ouvrier du Livre et syndicaliste CGT, a lui aussi viré sa cuti depuis l'affaire du voile à l'école. Alors, quand, début 2010, l'ex-chef skin Serge Ayoub l'invite à débattre au Local, fief de l'extrême droite parisienne, dans le 15e, il finit par accepter.« J'en avais marre du politiquement correct ! soupire-t-il.On s'est retrouvés sur l'amour de la République. » C'est le début d'un mariage de raison. Pragmatique, Cassen explique : « Le Bloc identitaire avait besoin de nous pour sortir de son image sulfureuse, et nous de lui pour sa force d'organisation... et son service d'ordre ! »

De « faux laïques » associés à de vrais « racistes » : voilà ce que pense d'eux l'essayiste Caroline Fourest, qui a étudié le phénomène dans sa revue ProChoix.« Pour l'instant, c'est une petite minorité d'excités qui se battent à coups de saucisson. Mais il faut les prendre au sérieux, avertit-elle.Plus que l'intégrisme, la montée de ces alliances contre l'islam peut nous emmener vers un renouveau du racisme très dur. »

Quant à eux, ils comptent bien remettre le couvert le 18 juin. Au menu, bien sûr, charcuterie et vin rouge.


Le banquet des Gaulois

Ce n'est pas une soupe populaire comme les autres.« Ici, c'est français ! » prévient Alain, la bedaine moulée dans son pull marin. Ce soir glacial de janvier, sur le parvis de Montparnasse, un groupe de sans-abri attend son repas avec impatience. Solidarité des Français (SDF !) a fait de la « soupe au cochon » sa spécialité. Le porc comme emblème de l'identité nationale, excluant de fait les musulmans (et les juifs). Interdite à plusieurs reprises depuis 2007, cette distribution jugée discriminatoire et susceptible de troubler l'ordre public avait cessé un temps. Mais la préfecture de police de Paris a dû à nouveau sévir en novembre. Depuis, la présidente de SDF, Odile Bonnivard, fait « le dos rond ». Ce soir, pas de cochon ni de vin. L'ex-responsable du Bloc identitaire et son mari ont trouvé la parade : des soupes régionales (toulousaine, garbure, lorraine...) et du jus de raisin. Mais les habitués, des « souchiens »- Français de souche -, sont toujours là.

« Les musulmans, ils ont d'autres endroits pour aller manger, qu'ils nous foutent la paix ! » lance Philippe, un sans-abri « nationaliste ».« C'est les Gaulois qu'on exclut ! » rectifie un bénévole, qui s'interpose dans notre conversation. Ici, les journalistes ne sont pas vraiment les bienvenus. Plusieurs fois, on nous demandera notre identité avant qu'un homme en doudoune noire, casque de moto sur la tête, nous mette en garde. Plus loin, des policiers en civil surveillent la manifestation, qui se déroule sans autorisation.« On est sages maintenant ! plaide Odile Bonnivard.On réclame juste de pouvoir perpétuer nos traditions à nous. On est encore en terre d'Europe, pas en terre d'islam, que je sache ! »

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