Un modeste camionneur de Shenzhen a donné le coup d'envoi d'une nouvelle révolution bancaire en Chine, aux ramifications mondiales. En janvier, ce chauffeur de poids lourd a bénéficié d'un premier prêt délivré par la nouvelle banque en ligne WeBank, après une séance de reconnaissance faciale, via son smartphone.
Le premier ministre Li Keqiang en personne a poussé le bouton de cette transaction historique très médiatisée de 35 000 yuans (5 007 euros), délivrée par la nouvelle branche du mastodonte de l'Internet chinois Tencent. « Un petit pas pour WeBank, mais un pas de géant pour la réforme financière » , avait déclaré, enthousiaste Li, champion de l'ouverture, dans l'appareil du Parti.
Le groupe de Shenzhen est le premier à s'engouffrer dans la brèche ouverte par les autorités qui ont délivré, en 2014, six licences bancaires à de nouveaux acteurs, faisant trembler le secteur. « Après la distribution, la révolution digitale s'apprête à bouleverser le secteur financier, ce qui effraie les grandes banques d'État. La technologie permet de réduire drastiquement le coût de la transaction » , rapporte Wu Yangru, professeur à l'Université centrale de finances et économie, à Pékin.
Grâce à la puissance de feu de sa messagerie WeChat, forte de 570 millions d'utilisateurs, Tencent a des atouts hors norme pour défier les poids lourds traditionnels. Cette plateforme est devenue au quotidien la porte d'entrée digitale de près de la moitié de la population chinoise, combinant réseau social, système de paiement et désormais de prêt. Elle offre à WeBank un outil de communication direct et instantané avec des centaines de millions de clients, sur lesquels elle a accumulé des masses de données précieuses. Un rêve de banquier ! Adepte du secret, l'entreprise de Shenzhen reste discrète sur ses ambitions bancaires, mais elle est déjà passée à l'action.
Depuis le 15 mai, WeBank propose des financements en ligne à un échantillon de 50 000 utilisateurs de QQ, l'autre messagerie de Tencent. Ces utilisateurs, triés sur le volet à partir des données personnelles, peuvent obtenir en dix secondes des prêts allant jusqu'à 200 000 yuans (28 600 euros). Un test grandeur nature, avant d'offrir des prêts au grand public, en pleine course-poursuite avec son grand rival Alibaba, pour capter ce nouveau marché.
Ce dernier, géant du e-commerce fondé par Jack Ma, lance lui aussi ce mois-ci sa banque en ligne, « Mybank » , fort d'une expérience financière déjà solide. Son système Alipay contrôle près de la moitié du marché des paiements en ligne et Alibaba est déjà présent dans l'assurance. Surtout, Ma cherche à monétiser sa base de données sans équivalent accumulée depuis des années sur le plus grand marché en ligne du monde. Une bataille de titans, avec pour enjeu la maîtrise des flux financiers irriguant la future première économie mondiale.
Un demi-milliard d'utilisateurs
Le pouvoir encourage l'arrivée de ces poids lourds privés du high-tech, afin de bousculer les banques d'État, dans le cadre de son agenda de réformes du secteur financier. Ces nouveaux acteurs doivent également favoriser le financement des PME, autre priorité des autorités, qui cherchent des nouveaux moteurs alors que la croissance s'essouffle. « Tout ce qui est basé sur le marché est meilleur pour l'économie » , juge Wu. Néanmoins, Pékin avance pas à pas, de peur de déstabiliser un secteur critique et devrait maintenir un cadre réglementaire strict, selon les experts. D'autant que la banque 4.0 pose des défis en matière de sécurité, à l'image de la technologie de reconnaissance faciale jugée encore peu fiable. Mais les grandes banques chinoises s'adaptent et surfent à leur tour sur la révolution digitale pour garder le contact avec leurs clients et développer également des nouveaux produits innovants. À l'image de la China Merchants Bank et la Nanjing Bank, qui offrent des prêts aux vendeurs de ticket de spectacle grâce à un partenariat avec le site Tuniu, l'un des leaders de la vente de loisirs en ligne.
La Chine fait figure de laboratoire aux yeux des grandes banques européennes et américaines, bousculées elles aussi par les nouvelles technologies. « C'est la puissance du flux : un demi-milliard d'utilisateurs dans une même langue, c'est sans équivalent, même aux États-Unis. Cela permet de savoir très vite si une application fonctionne » , indique Renaud Édouard-Barreau, qui dirige l'Atelier BNP Paribas à Shanghaï. Avec l'espoir de transposer à l'avenir certaines des fonctionnalités à succès de Wechat dans les pays occidentaux, via par exemple une version améliorée de la messagerie WhatsApp, rachetée par Facebook, l'an dernier.
Le Figaro, no. 22036 - Le Figaro Économie, lundi 15 juin 2015, p. 30
Falletti, Sébastien
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