samedi 26 avril 2008

INTERVIEW - "Calmer les esprits" - David Ownby

La Presse - Monde, samedi, 26 avril 2008, p. A22

Entrevue avec l'historien David Ownby

La reprise des pourparlers entre la Chine et l'entourage du dalaï-lama, annoncée hier par Pékin, a surpris même les observateurs de l'empire du Milieu les plus aguerris. Y compris le directeur du Centre d'études de l'Asie de l'Est à l'Université de Montréal, David Ownby. La Presse a demandé à cet historien de mettre en contexte la décision des autorités chinoises et d'évaluer les chances de succès de tels pourparlers.

Q Pourquoi la Chine fait-elle volte-face et relance-t-elle le dialogue avec les Tibétains en exil? S'agit-il simplement de poudre aux yeux dans le but de calmer les esprits?

R J'ai été surpris par la décision, mais à y réfléchir, ça me semble un coup assez malin de la part de la Chine. Ce geste va désamorcer les problèmes que les manifestations, à la fois au Tibet et ailleurs dans le monde, posaient pour des leaders qui n'ont pas décidé s'ils allaient boycotter la cérémonie d'ouverture des jeux. À mon avis c'est avant tout un geste pour calmer les esprits. Ils n'ont d'ailleurs pas précisé la date de la reprise du dialogue. Je ne serais pas étonné s'ils remettaient cela à plus tard et qu'ensuite, après les pourparlers, ils disent: "on a eu un échange franc, on va se revoir dans quelques semaines" Le temps que les médias passent à autre chose et que les Jeux olympiques soient terminés.

Q Dans quelle mesure le passage chaotique de la flamme olympique dans plusieurs pays a-t-il été à la source de ce revirement?

R Les manifestations et surtout l'attitude de certains leaders occidentaux - que ce soit Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown, ils sont plusieurs à envisager le boycottage des cérémonies d'ouverture - ont joué pour beaucoup dans la décision des leaders chinois.

Q Le porte-parole du dalaï-lama a dit hier qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Mais que faut-il attendre de cette reprise du dialogue?

R J'espère que ça va donner quelque chose de concret, de réel. Cela dit, je vois mal comment ça pourrait déboucher sur de réelles avancées. Les Tibétains seront contents uniquement si la Chine leur accorde une véritable autonomie. Or, la Chine n'a pas la moindre intention de faire ça. Le dialogue, c'est bien, mais j'ai du mal à croire que la Chine passera aux actes. Ce qui risque d'arriver, c'est que le monde va se dire: on a manifesté, la Chine a réagi, on peut arrêter. Mais il me semble peu probable que quoi que ce soit change au Tibet.

Q Comment cette décision sera-t-elle perçue en Chine?

R Ça permet aux leaders chinois de se faire voir comme faisant un geste magnanime par tous, mais surtout par leur peuple. Aux nationalistes chinois qui trouvent que l'Occident présente une image tendancieuse de ce qui se passe au Tibet, la Chine peut dire : le monde entier va voir que nous sommes plus dignes qu'eux.

Propos recueillis par Alexandre Sirois

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Chine, le cercle vertueux - Alexandre Adler

Le Figaro, no. 19825 - Le Figaro, samedi, 26 avril 2008, p. 17

La Chine est, nous dit-on, bien compliquée. À la vérité, son système politique tout au moins est relativement simple à comprendre. Pour commencer, un théorème : depuis sa révolution en 1949, la Chine a scrupuleusement fait en sorte de passer par toutes les étapes de l'histoire soviétique mais, chaque fois, en y trouvant une conclusion nettement plus optimiste.


La prise de pouvoir de Mao fut beaucoup moins douloureuse que la guerre civile que menèrent les bolcheviks. Si le Grand Bond de 1958 fut tout aussi tragique que la collectivisation soviétique de 1930-1931, en revanche, les retombées politiques furent meilleures.

Au lieu d'un Staline pantelant mais triomphant sur les ruines des campagnes russes, Mao fut tout un temps confiné en robe de chambre autour de sa piscine et placé sous la curatelle d'un triumvirat bien plus performant : le président Qiao Shi, le chef de l'armée Peng Dehuai et le secrétaire général du Parti, Deng Xiaoping. Si cette direction collective qui commençait à redresser le pays pour de bon fut balayée par la Révolution culturelle, tout comme Staline parvint à balayer les Kirov, Kouïbychev et autres Toukhatchev-ski, il y eut là encore une sérieuse différence : la plupart des vieux cadres furent maltraités, parfois torturés, relégués au fin fond des campagnes et bafoués dans leur honneur par de jeunes voyous ignares, mais ils restèrent pour la plupart d'entre eux vivants à la chute du maoïsme et purent contribuer considérablement à sa liquidation franche à partir de 1972. On peut ajouter à cette énumération deux phénomènes décisifs, la grande alliance de la Chine et des États-Unis fut bien plus durable que celle de Roosevelt et de Staline contre Hitler (1972 fin des années 1980), et même lorsqu'elle déclina après 1989, elle permit néanmoins de maintenir des relations économiques stables et fructueuses, lesquelles sont l'une des plus importantes structures portantes de la stabilité de notre monde.

Au lieu des pitreries d'un Khrouchtchev, la Chine fut gouvernée pendant quinze années décisives par un Deng Xiaoping, revenu de son dogmatisme de jeunesse et qui n'avait aucune complaisance pour la période antérieure. La Chine préféra donc accomplir une véritable révolution économique et sociale antimaoïste, là où la Russie s'en était tenue à un bavardage antistalinien, le plus souvent inconséquent. Lorsque Deng quitta lentement le pouvoir, l'inévitable rectification brejnévienne, qu'allait incarner son successeur Jiang Zemin, prit rapidement un tour ploutocratique et même proaméricain. Aujourd'hui, la Chine est gouvernée par un « Gorbatchev » calme - le président Hu Jintao - et un « Andropov », résigné à maintenir les services de sécurité dans un rôle plus subalterne : le numéro deux du Parti, Zeng Quinhong.

Ce processus, tout à fait original, a permis un pluralisme politique de facto qui n'aura jamais existé dans le bloc de l'Est. Les oppositions internes en Europe de l'Est faisaient chuchoter mais avec une grande prudence. Depuis la fin de la Révolution culturelle, les batailles internes, au contraire, à la direction chinoise sont un secret de Polichinelle.À l'abri de cette pluralisation effective des directions, le peuple a repris considérablement son autonomie. La révolution capitaliste prodigieuse des années 1990 aura achevé en totalité, la transformation à la mexicaine du Parti communiste de Chine en parti révolutionnaire institutionnel, déconnecté enfin des unités de production.

Mais ici, commence le tournant obscur : à l'avènement de Hu Jintao, un libéral pragmatique, le débat interne devient méconnaissable. Plus personne ne veut revenir en arrière vers le socialisme d'État, plus personne non plus ne défend une stratégie véritable de démocratisation par peur des mécontentements politiques qui accompagneraient inévitablement les actuels bouleversements sociaux d'une ampleur inouïe. Si la réconciliation des libéraux et des centralisateurs est maintenant complète, une nouvelle faille, qui correspond mieux à la nouvelle Chine, s'est en même temps ouverte. Comme partout, elle oppose des mondialistes, encore dominants à la tête de l'État et des antimondialistes, qui sont loin d'être impuissants, depuis qu'ils ont rallié à leur point de vue un gros morceau de la direction militaire et le lobby énergétique et pétrolier, associés tout comme l'étaient leurs homologues américains depuis Eisenhower ou soviétiques à l'époque de Brejnev.

Bornons-nous ici à dire que, dans cet affrontement, nous devrions miser à fond sur le parti mondialiste, car il y va de tout l'équilibre de notre monde. Ce parti mondialiste, en outre, ne pourra pas en rester au stade actuel du despotisme éclairé, car il bénéficie aussi du poids politique croissant d'une diaspora, celle d'Asie du Sud-Est et de Hongkong, mais celle aussi d'un Kuo Min-tang qui a repris le contrôle de Taïwan sur une ligne de réunification et de démocratisation en profondeur de la Chine.

Le lecteur aura compris que les uns souhaitent ardemment le succès politico-culturel des Jeux olympiques, là où les autres n'entendent collectionner que des médailles et jouer sur les fautes de nos idéologues imbéciles pour mieux avancer leur programme nationaliste et autarcique qui fut, dans les années trente, celui de la défunte armée japonaise. À nous donc de choisir.

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vendredi 25 avril 2008

Les raisons de la colère chinoise - Jean-luc Domenach

La Croix, no. 38039 - Forum et débats, vendredi, 25 avril 2008, p. 13
Le fait qu'elles aient organisé une manifestation en plein Paris confirme que la campagne contre les JO de Pékin et en particulier ses manifestations parisiennes ont provoqué la fureur des autorités chinoises. Exceptionnellement, celles-ci sont appuyées par l'immense majorité des Chinois, même d'outre-mer.

Les Français ont été souvent sujets dans le passé à des explosions nationalistes. Évitons donc moqueries et mépris. Cherchons à comprendre, et commençons par évoquer les responsabilités françaises dans cette affaire. Reconnaissons que l'aile marchante du mouvement de critique des JO a exprimé sur la Chine des propos grossièrement exagérés. Quelque graves qu'aient été les crimes des autorités chinoises au Tibet de 1951 à 1978, et quelque sérieuses que soient les brimades de toute nature qu'elles lui ont imposées ensuite, leur domination est devenue moins dure et s'accompagne actuellement d'un réel progrès économique. Aussi justifiées qu'elles fussent dans leur fond, les émeutes commencées le 10 mars à Lhassa ont été de nature raciale et ont fait des victimes du côté chinois. Rappelons aussi que l'on n'a pas ou pas encore la preuve que la police armée chinoise ait tiré à Lhassa - ce qu'elle a hélas fait par la suite dans d'autres zones tibétaines.

Enfin, on a souvent utilisé des expressions excessives ou peu représentatives pour définir la situation chinoise : ainsi, le régime de Pékin n'est plus « totalitaire », mais « autoritaire », ce qui n'est certes pas brillant, et le fait que trente journalistes y soient emprisonnés n'est guère significatif puisqu'il s'y retrouve... 550 000 titulaires de cartes de presse. La description exagérée du contrôle exercé sur la population ou sur l'information revenait à négliger non seulement l'incontestable détente des années récentes et l'extrême diversité des situations, mais aussi le courage de nombreux acteurs sociaux. Les Chinois se sont sentis insultés.

En outre, la perception de l'insulte a réveillé chez beaucoup une douleur ancienne : celle qu'a provoquée et provoque encore la supériorité de l'Occident. La très grande majorité des Chinois doutent de leur aptitude à rejoindre notre niveau technologique, et plus encore ce qu'ils perçoivent comme notre « niveau de bonheur ». C'est pourquoi ils sont si nombreux à venir vivre en Occident et plus nombreux encore à en rêver : là est le paradoxe de la manifestation des Chinois d'outre-mer à Paris. Mais nous devons, nous, comprendre que ce doute les rend d'autant plus sensibles à notre regard sur eux, et nous comporter avec politesse.

Les dirigeants chinois, de leur côté, sont certainement divisés, ce qui permet d'imaginer une manoeuvre des « durs » du régime, et aussi d'espérer qu'un changement d'attitude intervienne, comme il y a quelques années sur la question japonaise. Mais la majorité d'entre eux sont furieux que leur politique au Tibet et leurs manoeuvres olympiques soient dénoncées alors qu'ils les estimaient conformes à la légalité internationale - en négligeant les apports essentiels de Médecins sans frontières et de l'interventionnisme humanitaire, qui influent désormais sur l'attitude des opinions et de diplomaties occidentales !

Comme les neuf dixièmes des États de la planète, les dirigeants chinois s'estiment chez eux à l'intérieur de leurs frontières légales, et ils se donnent une légitimité supplémentaire qui est celle du développement économique dont ils font profiter le Tibet - mais sans demander l'avis de sa population... Ils ne comprennent pas de quel droit leur domination est remise en question par une alliance de « bling bling », de militants des droits de l'homme, de religieux et de faiseurs d'opinion qui n'ont pour eux aucune réalité institutionnelle - mais une influence sur l'opinion.

En outre, ils ont utilisé - sans vergogne certes - les moyens politiques et financiers exigés par le CIO pour recevoir les Jeux et, comme leurs prédécesseurs, ils entendent en faire une vitrine de leurs succès : quel mal à cela ? Ils n'avaient pas prévu qu'ils ne profiteraient pas du même consentement, et encore moins que leur bilan humanitaire médiocre et leurs méthodes commerciales souvent scandaleuses seraient utilisés contre leur politique olympique.

Au fond, à titre plus général, les dirigeants chinois sont furieux de ce qu'on leur refuse de plus en plus souvent une stratégie extérieure que d'autres pays avant eux, tel le Japon, avaient utilisée en toute impunité : profiter au maximum des avantages que leur vaut l'entrée dans le marché mondial mais en modulant à leur guise leurs concessions à ses règles. Cela, l'Occident l'accepte moins aisément de la Chine dès lors qu'elle prétend jouer les premiers rôles : il lui est désormais demandé d'accélérer ses mutations intérieures et d'abandonner ses pirateries commerciales.

Ainsi, derrière nos exagérations médiatiques et les explosions xénophobes chinoises, c'est un vrai et grave problème qui se pose : celui des modalités de l'atterrissage de la Chine parmi les grands de ce monde.

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Non au boycott - Jacques Attali et autres

VOIR AUSSI LE CLASH EN VIDÉO - JACQUES ATTALI QUITTE LE PLATEAU DE LAURENT RUQUIER

Le Nouvel Observateur - Jeudi, 24 avril 2008, p. 20

«Les Jeux de Pékin, ce n'est pas Berlin!» Jacques Attali trouve plutôt «ridicule» que «60 millions de personnes essaient d'imposer à 1,3 milliard d'autres une façon de vivre». Il estime qu'il faut donner le temps à la Chine pour devenir une démocratie. Rappelant qu'il a fallu huit siècles à la France pour opérer sa mue. Un pragmatisme partagé par nombre d'entrepreneurs ou de politiques.


JEAN-LUC MELENCHON Le jacobin laïque

Très remonté contre cette «théocratie indéfendable» et l'«enthousiasme béat» de ses partisans, «qui ont trop lu «Tintin au Tibet»», Mélenchon estime que le Tibet est chinois, un point c'est tout. Le soulèvement des Tibétains? Il le rapproche de l'insurrection des «royalistes vendéens» matée par «les forces de notre République». Sur Dailymotion, sa diatribe anti-Tibet a été renommée «Mélenchon déchire le Tibet et le dalaïlama!» et elle fait un carton. Preuve que ses positions anti-«politiquement correct» trouvent un écho certain.

GEORGES FRECHE L'ex-mao

«Que Sarkozy vienne ou pas aux JO?

Les Chinois s'en carrent!

Ils ne savent même pas où est la France.» Ce grand nostalgique de Mao - il veut ériger une statue du Grand Timonier à Montpellier - se devait d'afficher sa solidarité avec Pékin. Avec sa délicatesse habituelle, le président de la région Languedoc-Roussillon a sorti sa kalachnikov contre «Sarkozy, qui dit beaucoup de conneries sur la Chine», et «Ségo, qui veut libérer le Tibet avec son mousqueton». L'indépendance du Tibet? «Et pourquoi pas les Bretons, les Basques et les Ch'tis?»


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vendredi 18 avril 2008

N'ayons pas peur ! - Erik Izraelewicz

La Tribune - Éditorial, 17 avril 2008

La Chine menace : elle va faire payer à la France son indiscipline dans le parcours de la flamme olympique. Elle se vengera en s'attaquant à ses intérêts économiques. Les Carrefour, LVMH, Alstom et autre Areva n'ont qu'à bien se tenir. Mardi, les autorités chinoises ont jeté le voile, apportant dans la presse officielle leur soutien aux appels à boycott des produits français qui circulent sur le Net. Faut-il avoir peur de cette agitation ?

Dans un pays aussi autoritaire et contrôlé que la Chine, le pouvoir politique central dispose, certes, d'une grande influence sur les affaires comme sur le comportement des consommateurs. Il a une évidente responsabilité dans ces appels " anonymes ". Il a les moyens de sanctionner les pays qui lui déplaisent, en refusant par exemple de leur confier quelques grands contrats - dans l'aéronautique, l'énergie ou les transports. Mais la Chine d'aujourd'hui n'est plus totalement la dictature d'autrefois. L'économie a pris de l'autonomie. Les grands contrats ne se décident plus sur des critères exclusivement politiques. Si l'Empire a besoin de centrales nucléaires de qualité, elle les achètera aux fournisseurs les mieux-disants sur les plans technologiques, industriels et financiers, voire écologiques, plutôt qu'à partir de considérations politiques. Quant aux consommateurs chinois, si le nationalisme y reste un ciment très fort, ils ont, eux aussi, des comportements de plus en plus rationnels. Ils achètent en fonction de leurs besoins, de leurs goûts et de leurs moyens, pas des drapeaux de leurs fournisseurs. Quand ils se rendent dans l'un des 112 hypermarchés Carrefour du pays, peu d'entre eux savent qu'ils sont dans un magasin " français ". Le risque d'un boycott efficace est en définitive extrêmement faible. Il l'est d'autant plus que la France n'est, malheureusement, qu'un tout petit fournisseur de la Chine. L'indulgence politique de Paris, voire sa complaisance à l'égard du régime chinois tout au long de ces dernières années, n'a en réalité jamais été payée en retour. La preuve qu'il n'y a pas de lien, ou très peu, pour nos amis chinois, entre la politique et les affaires. Alors, n'ayons pas peur !

jeudi 17 avril 2008

Et le Darfour ? -Bernard-Henri Lévy

Le Point, no. 1857 - Tribune, jeudi, 17 avril 2008, p. 142

Amis du Tibet et de la cause tibétaine, je veux vous dire, une fois de plus, qu'il y a un autre désastre où le pouvoir totalitaire chinois porte une responsabilité écrasante : celui du Darfour. Non que, bien entendu, l'Etat et l'armée chinois y soient directement impliqués.

Et non que, comme au Tibet, ils soient seuls responsables d'une crise qui n'a pu durer si longtemps que parce qu'elle avait l'assentiment, plus ou moins silencieux, de l'ensemble des nations (les Etats-Unis, par exemple, parlent beaucoup mais agissent peu ; la France, avant les élections, promettait encore plus et tient encore moins ; et ce n'est malheureusement pas la faute des Chinois si nul ne se décide à livrer les dix-huit hélicoptères nécessaires au déploiement de la force d'interposition et que réclame à cor et à cri le patron des opérations de maintien de la paix des Nations unies, Jean-Marie Guéhenno).

Mais la Chine, cela étant dit, reste le principal soutien diplomatique du régime assassin de Khartoum.

C'est elle qui, depuis cinq ans, fait obstacle à sa condamnation formelle par le Conseil de sécurité de l'Onu.

C'est elle qui le fait vivre en achetant son pétrole et en se servant de ses ports comme accès aux matières premières dont elle a un besoin vital et croissant.

C'est elle qui l'arme.

C'est elle qui fournit à Omar el-Béchir, son président, les avions, les camions, les armes lourdes et légères qui appuient ou équipent les milices de Janjawids qui sèment la terreur dans le djebel Marra et ailleurs.

C'est sur elle, autrement dit, qu'il fallait faire pression depuis cinq ans-et c'est sur elle qu'il faudrait, plus que jamais, agir et peser-pour que s'arrête la plus effroyable destruction de populations civiles à laquelle il nous soit donné d'assister depuis la fin, il y a trois ans, de la guerre menée par le même El-Béchir contre les animistes et les chrétiens du sud du Soudan.

Car je veux dire aussi aux amis du Tibet et de la cause tibétaine que l'on a affaire, ici, à une sorte de carnage sans commune mesure, grâce au ciel, avec ce que connaît le Tibet d'aujourd'hui.

On tue au Tibet, naturellement.

Et le blocus de l'information y est tel que nul n'est capable de dire combien de dizaines de bonzes, d'étudiants, de jeunes, sont déjà tombés sous les balles de la soldatesque chinoise.

Mais au Darfour, hélas, on ne compte les morts ni par dizaines, ni par centaines, ni même par milliers ou par dizaines de milliers.

Mais au Darfour, hélas, c'est en masse que l'on périt, j'allais dire en vrac, sur une échelle qui ne peut se comparer, si l'on tient absolument à comparer, qu'à ce que connut le Tibet, il y a presque cinquante ans, lors de ces fameuses émeutes de 1959 où l'on dénombra, selon les statistiques officielles, jusqu'à 80 000 morts.

Mais au Darfour, donc, les Chinois couvrent, ou inspirent, une situation dont j'ai eu l'occasion de témoigner, il y a un an, dans un reportage publié par Le Monde puis par la presse anglo-saxonne : des zones entières du pays transformées en terre brûlée ; des centaines de kilomètres où l'on peut rouler sans croiser âme ou corps qui vive ; des réserves de rescapés traités comme du bétail ; le viol des femmes et des fillettes érigé en stratégie ; et, aujourd'hui même, à l'heure où j'écris ces lignes, les attaques aériennes qui reprennent, dans la partie ouest de la province, tandis qu'au moins 20 000 nouveaux déplacés sont coupés de toute aide humanitaire dans la seule région du djebel Moon.

Alors loin de moi, évidemment, l'idée d'opposer ceci et cela.

Et rien ne m'est plus odieux, je l'ai maintes fois dit et le répète, que cette manie moderne que sont la concurrence des victimes et la compétition des agonies.

Mais tentons de pratiquer, au moins, la solidarité des ébranlés.

Etendons à la guerre du Darfour la vague de compassion et de colère qui enfle jour après jour.

Et cet élan de solidarité qu'ont su faire naître, à force d'obstination et de foi, les amis du Tibet et de la cause tibétaine, cette belle fureur qui s'ensuit et qu'avaient sous-estimée les bureaucrates obtus et sans mémoire qui règnent sur la Chine, la prise de conscience, en un mot, du scandale que sera, si rien ne change, le fait même des Jeux olympiques à Pékin, faisons au moins en sorte que tout cela concerne aussi les martyrs oubliés du Darfour.

Il y a deux conditions, deux, qu'un démocrate digne de ce nom se doit absolument de poser avant d'accepter l'idée que se tiennent, comme si de rien n'était, ces nouveaux Jeux de la honte : l'arrêt de la répression à Lhassa et l'arrêt du bain de sang dans la province darfourie du Soudan.

Vive le Tibet libre, soit ; mais, s'il vous plaît, n'oubliez pas le Darfour.

Bernard-Henri Lévy

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mardi 15 avril 2008

Robert Ménard, marchand de bien - Philippe Cohen

Marianne, no. 573 - Repères France, samedi, 12 avril 2008, p. 46
En théorie, Robert Ménard est un journaliste. D'ailleurs, il a la carte. En pratique, il est un activiste des droits de l'homme et du journalisme. Du coup, ça fait déjà vingt-trois ans qu'il n'en fait plus, du journalisme, depuis qu'il a fondé avec le journaliste-éditeur Jean-Claude Guillebaud et Emmanuelle Duverger, sa compagne, Reporters sans frontières.


Sur le modèle, bien sûr, de Médecins sans frontières. Rony Brauman figurait d'ailleurs parmi les parrains de l'association. A l'origine, RSF marchait sur deux jambes : la défense des journalistes réprimés dans le monde et la réflexion critique sur le métier de journaliste. Un second volet auquel tenait beaucoup Guillebaud. "Quand on interpelle les leaders des pays du tiers-monde sur les atteintes aux libertés de la presse chez eux, a-t-il expliqué à marianne2.fr, la question qui se pose automatiquement à nous est de savoir quel usage nous faisons de notre liberté." Or, au bout de sept ans, Robert Ménard a arrêté la critique des médias au prétexte que l'on ne pouvait à la fois tendre la sébile aux médias d'une main et leur donner des coups de bâton de l'autre. RSF a donc remisé son bâton, et Jean-Claude Guillebaud a poursuivi ailleurs son travail de critique des médias. RSF est devenu une PME de l'humanitaire, et Ménard a repris, vingt ans plus tard, la revue Médias, un trimestriel de réflexion sur les médias, financé notamment par Stéphane Courbit. Avec le double coup d'éclat de Ménard à Athènes puis à Paris, la PME RSF prend des allures de multinationale du bien : 50 000 T-shirts noirs vendus en une journée, par ici la monnaie ! En tout bien tout honneur, rétorquera Ménard en ex-trotskiste roué. Et il aura raison. Car ce n'est pas un garçon intéressé. Critiqué par les "alters" pour son "antichavisme primaire", Ménard développe une conception absolue de la liberté de penser. Sauf que la transparence s'arrête là où commence le sponsoring : à leur demande, il ne cite pas le nom des entreprises qui le subventionnent pour ne pas gêner leur business en Chine....

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lundi 14 avril 2008

EN VIDÉO - Le fiasco de la flamme olympique et Jacques Rogge - Alain Duhamel

Alain Duhamel sur RTL
L'édito d'Alain Duhamel

dimanche 13 avril 2008

ENQUÊTE - L'aéroport de Honkong - Sylvie Kauffmann

Le Monde - Horizons, lundi, 13 août 2007, p. 14

EMBARQUEMENT IMMÉDIAT Aéroports 6 - Hongkong

A l'image de l'Asie du XXIe siècle, l'aéroport de Chek Lap Kok, toujours sur le qui-vive, ne se repose jamais. Inauguré il y a neuf ans, juste après la rétrocession, il profite du formidable boom chinois

Le cauchemar de Kwok Tze-yin, c'est d'arriver le matin pour prendre son service et de voir un carrousel de bagages tournoyer, encombré de ses guirlandes de valises, et personne autour. « Je sais tout de suite ce que cela veut dire, dit-il, mi-contrarié mi-malicieux. Ça veut dire que les passagers sont bloqués à l'immigration ! Et là, je suis vraiment en colère. Je me mets à appeler dans tous les sens sur mon portable avant même d'arriver à mon bureau. »

Kwok Tze-yin est responsable des services de l'immigration à l'aéroport international de Hongkong. Pas tout à fait l'homme que vous imaginez. Kwok Tze-yin est extrêmement avenant, ouvert, et se paie même le luxe d'être drôle d'une façon très subtile, comme s'il ne le faisait pas exprès. Dans son petit bureau peuplé d'écrans et de dossiers, il vous accueille avec une jolie théière fumante et deux tasses, qu'il remplit dès la dernière gorgée avalée. Non pas qu'il passe la journée enfermé dans son bureau : il circule tellement dans les immenses espaces de l'aéroport de Chek Lap Kok qu'il a calculé que, avec 10 000 pas en une journée dans le terminal 1, il arrive à perdre un kilo.

Il suffit d'ailleurs de se promener avec lui dans la zone d'immigration du terminal 1 pour constater que M. Kwok est un homme de terrain : il gratifie tout le monde d'un petit salut familier, et tout le monde lui répond. M. Kwok aime son métier et il aime l'endroit où il le fait. Il lui arrive même de rêver d'un monde idéal, un monde divisé en lumières vertes et lumières rouges. Les vertes seraient réservées aux passagers qui n'ont pas besoin d'être contrôlés par les services de l'immigration, les rouges à ceux dont le passeport doit être visé. Un peu comme la douane dans les pays « civilisés ». Un monde fluide, sans goulots d'étranglement. Même dans un endroit comme Hongkong, où se croisent non seulement toutes sortes de nationalités et de statuts («travailleurs importés », « aides de maison »), mais aussi toutes sortes de Chinois à régime différent - ceux de la « Région administrative spéciale de Hongkong », ceux de Chine, ceux de Macao, ceux de Taïwan, ceux « d'outremer »... - c'est possible, il en est convaincu : les compagnies aériennes ont déjà toutes ces données lorsqu'elles enregistrent les passagers. En attendant ce jour béni, Kwok Tze-yin a un défi quotidien à relever : que 92 % des quelque 100 000 personnes qui passent devant ses agents chaque jour le fassent en moins de quinze minutes. Si la queue qui serpente le long des barrières aménagées devant les guichets de l'immigration dépasse six rangs de profondeur, cela veut dire qu'il leur faudra plus de quinze minutes pour passer - adieu, défi. Alors, dès qu'il voit la file s'épaissir au-delà de six rangées, M. Kwok sonne le rappel et fait rappliquer les agents disponibles. Il appelle cela « la technique du déploiement flexible ».

On se prend à rêver de déploiement tout court, flexible ou non, aux petits matins blêmes de l'arrivée à Roissy après treize heures d'avion, mais l'humiliation ne s'arrêtera pas là : déjà, M. Kwok vous entraîne vers une autre de ses merveilles, le « e-channel », borne électronique réservée pour l'instant à certaines catégories de résidents de Hongkong. Elle se franchit sans file d'attente ni agent de l'immigration. Le monde fluide de Kwok Tze-yin n'est donc pas une utopie.

Il n'est pas encore une réalité non plus, admet Howard Eng, le directeur de l'aéroport. La durée du passage au contrôle des passeports reste un point faible de cet aéroport spectaculaire et fonctionnel, d'une beauté lumineuse, oeuvre de Sir Norman Foster, inauguré il y a à peine neuf ans. Il le sait, les passagers se sont plaints. On y travaille : « Un plan, en quatre ans, d'amélioration du passage de l'immigration a été élaboré. » Car l'aéroport international de Hongkong (HKIA, dans le jargon aéroportuaire) ne se repose jamais. A l'image de l'Asie du XXIe siècle : toujours sur le qui-vive, sans cesse à l'affût de la compétition, inexorablement attiré par la croissance.

Les choses n'avaient pas été prévues comme cela. Lorsque, en 1990, la décision est prise de construire un nouvel aéroport pour la colonie britannique, le message est politique. Un an après le massacre de la place Tiananmen, il faut rassurer, montrer que l'on a confiance dans l'avenir économique de cet îlot de prospérité capitaliste, qui doit être replacé sous souveraineté chinoise en 1997. Le projet est ambitieux : le coût des travaux, qui incluent l'extension artificielle de l'île de Lantau et la construction de plusieurs ponts pour la relier à d'autres îles de Hongkong, est estimé à près de 40 milliards d'euros. L'aéroport doit être inauguré en 1997, année de la rétrocession. Il ne le sera qu'en 1998, après de laborieuses négociations avec Pékin, qui refusait d'hériter des dettes. Le déménagement se fait en une nuit. Situé en pleine ville, l'ancien aéroport, Kai Tak, respectait un couvre-feu à 1 heure du matin. « Le dernier vol parti, on a déménagé tout l'équipement qui ne pouvait pas l'être à l'avance, essentiellement des véhicules, se souvient Howard Eng. A 6 h 30 le matin, le premier vol, en provenance d'Amérique du Nord, s'est posé à Chek Lap Kok. »

Ceux qui ont connu les charmes de l'atterrissage ou du décollage entre les immeubles, si près, jurent-ils, que du hublot on pouvait détailler le linge qui séchait aux fenêtres, le menu du dîner du soir mijotant dans les cuisines ou l'émission regardée en famille, sont inconsolables. Hôtesse de l'air depuis douze ans à Cathay Pacific, la compagnie dont Hongkong est le hub, Jenny - qui restera anonyme car elle parle sans le feu vert de sa direction - a encore des bouffées de tendresse pour cet aéroport si central qu'il lui permettait d'être chez elle en dix minutes. « Pour les pilotes, cet atterrissage était un peu une prouesse et pour le reste de l'équipage, c'était très excitant. Ça plus les typhons, il fallait recruter de très bons pilotes, à l'époque ! »

Le frisson a disparu, mais quel luxe ! Le nouvel aéroport n'est que lumière, espace, modernité. Pas un bruit de moteur. Même Jenny le reconnaît : c'est grand, pratique, on peut y faire des tas de choses, aller à la banque, vérifier son e-mail.

Entre-temps, l'hôtesse a eu d'autres émotions. La crise financière asiatique, qui a vu les dragons économiques de la région plonger au moment où l'ex-colonie britannique redevenait chinoise. Les attentats du 11-Septembre. Et surtout, en 2003, le SRAS, le syndrome respiratoire qui a frappé Hongkong de plein fouet.

« Notre pire crise, juge, avec le recul, Tony Tyler, PDG de Cathay Pacific. A cette époque, dans une journée normale, nous transportions 35 000 à 40 000 personnes. Avec le SRAS, ce chiffre est tombé à 5 000. Sur certains vols, il y avait plus de membres d'équipage que de passagers. » Pour éviter de licencier - « On s'est dit : on sera plus forts si on traverse ça ensemble » - la compagnie demande des volontaires pour un congé sans solde; 99 % des employés acceptent de prendre quatre semaines. Finalement, le personnel est rappelé au bout de trois semaines... et les affaires reprennent si bien qu'à la fin de l'année, les trois semaines seront payées.

Le docteur Rose Ong ne risque pas d'oublier. Volubile et élégante, Rose Ong est le médecin chef de Cathay Pacific. Le SRAS, elle a adoré : « Dans une compagnie aérienne, l'équipe médicale n'a pas si souvent l'occasion d'être au coeur de l'action ! » Elle en a retenu des leçons qu'elle applique dans les exercices de préparation à la prochaine crise, grippe aviaire ou autre calamité insoupçonnée : l'importance, entre autres, d'une coopération étroite avec l'aéroport, le gouvernement, l'Organisation mondiale de la santé, et aussi les autorités sanitaires chinoises - « ça se passe bien, mais la communication pourrait être un peu plus rapide... nous avons une frontière tellement ouverte et poreuse ! ».

Aujourd'hui, il reste du SRAS une vigilance accrue pour tout ce qui est contagieux et, dans l'aéroport de Hongkong, au niveau des arrivées, juste avant l'immigration, un guichet avec un petit panneau : Temperature Check (vérification de la température). Un dispositif électronique géré par deux agents en gants blancs déclenche une alerte au passage de tout voyageur dont la température dépasse 38°.

Mais l'heure n'est pas à l'inquiétude. Elle est à la fascination pour ce monde auquel Hongkong, non sans appréhension, a été rattachée il y a dix ans, et qui, économiquement, est aujourd'hui comme une nouvelle source de vie : la Chine. En anglais ici, on ne dit pas « China », mais « the mainland » - la Chine continentale, en quelque sorte, puisque Hongkong est aussi la Chine. Kai Tak, le vieil aéroport, n'avait qu'une piste, ce qui autorisait 36 mouvements par heure; le nouveau en a deux, grâce auxquelles 56 avions décollent ou atterrissent par heure. « Vous vous imaginez, aujourd'hui, si on n'avait qu'une piste ? », s'alarme Howard Eng derrière ses lunettes de directeur, comme s'il parlait de l'époque où l'on s'éclairait à la bougie. « Rétrospectivement, c'était une sacrément bonne décision, cet aéroport ! » C'est que, depuis, la Chine a basculé dans la croissance.

Le ciel chinois se libéralise progressivement. Et l'aéroport de Hongkong, conçu pour être... l'aéroport de Hongkong, est devenu, avec ceux de Pékin, Shanghaï et Guangzhou, l'un des quatre hubs d'entrée en Chine (1,3 milliard d'habitants). « A l'époque, personne n'imaginait ce que seraient le rythme et l'envergure de la croissance chinoise, poursuit M. Eng. Nous avons construit cet aéroport avec un objectif de 45 millions de passagers par an. On se prépare à en gérer 55 dans cinq ans. »

Cathay Pacific a racheté la compagnie chinoise Dragonair, grâce à laquelle elle dessert à présent 21 destinations en Chine, avec 417 vols hebdomadaires. Au total, HKIA dessert déjà 40 villes de Chine. « La moitié des destinations affichées sur les panneaux de départs, je n'en ai jamais entendu parler », observe, incrédule, une touriste française en transit entre Paris et Sydney, Nathalie Giner. Un autre sigle qui ne dirait rien aux Français, PRD, a ici valeur de sésame dans les milieux d'affaires. PRD désigne le Pearl River Delta, le Delta de la Rivière des Perles. Autour de ce delta, outre Hongkong, il y a quelques « petites » villes, Shenzen, Guangzhou (ex-Canton), Zhuhai, Macao, soit plus de 50 millions d'habitants. Décrétée zone économique spéciale dès le début de la réforme économique chinoise de 1979, la région est devenue l'arrière-cour industrielle de Hongkong, qui profite formidablement, aujourd'hui, de son dynamisme.

HKIA surveille de très près la concurrence de ces jeunes aéroports du delta. Son objectif : conserver son avance en fret et en passagers et ratisser le plus largement possible au-delà de Hongkong. Le hub est donc aérien, mais aussi maritime et terrestre. A proximité des deux terminaux de passagers, un service de ferries rapides relie l'île de Lantau à cinq ports du delta. Dans deux de ces ports, les voyageurs peuvent enregistrer leurs bagages directement, avant de monter sur le ferry. Le Terminal 2 abrite une véritable gare routière, d'où des autocars partent pour 75 villes de Chine. Shenzen, par exemple, est à 45 minutes d'autocar de l'aéroport de Hongkong.

Des centaines de millions de Chinois, fraîchement promus au rang de classes moyennes, sont prêts à embarquer, alors que l'on parle déjà de congestion de l'espace aérien du delta. Flairant le marché, Andy Fung, Chinois de Hongkong émigré au Canada puis revenu, a obtenu de Pékin le droit de distribuer son magazine, Airport Magazine, en anglais et en chinois, dans les principaux aéroports de Chine. Le siège est à Hongkong pour la publicité, la rédaction et la fabrication se font à Shenzen, beaucoup moins chère. Au-delà de l'objectif commercial, il s'attribue une mission « civilisatrice » : « On essaie, dit-il, d'habituer les Chinois à se comporter mieux à l'étranger, à ne pas cracher, à ne pas crier au téléphone... On s'est dit que les gens qui voyagent, ceux qui fréquentent les aéroports, pourraient avoir une influence positive. »

Cathay Pacific recrute des équipages chinois, encourage ses employés à apprendre le mandarin. A bord, Jenny, qui est coréenne, découvre une nouvelle race de passagers. « C'est un peu difficile parfois, ils n'ont pas encore l'habitude », dit-elle. Non, ce ne sont pas de gros buveurs. « Ce sont de gros mangeurs, qui réclament un second plateau repas. On leur donne du pain ! Mais, bon, là ils commencent juste à voyager, ça va s'arranger. » Il faut l'espérer : l'aviation civile chinoise prévoit un marché d'1,4 milliard de passagers par an en 2020. Et Jenny ne sera même pas à la retraite.

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jeudi 10 avril 2008

La Cina è vicina - Claude Imbert

Le Point, no. 1856 - L'éditorial de Claude Imbert, jeudi, 10 avril 2008, p. 5

La mondialisation ne fait pas de notre monde une arène sans cloisons
où seule l'économie imposerait ses capricieuses lois. Désormais, chaque nation, aussi fermée soit-elle, s'y trouve exposée, surexposée. Et dans chaque nation libre, les opinions disputent aux Etats la conduite à tenir. Un peu du Tibet échappe à la muraille de Chine. Et un peu d'Occident échappe aux mains des diplomates : le droit-de-l'hommisme y joue à cache-cache avec la raison d'Etat.

Les Jeux olympiques-le plus médiatisé des événements planétaires-excitent, chez nous, un nouveau dilemme. L'Occident doit-il saisir ce rendez-vous mondialisé pour promouvoir son idéal ? Ou doit-il respecter-avec la trêve olympique-la différence des peuples avec lesquels il entretient une coexistence marchande et pacifique ?

Sur notre planète, l'Occident rayonne encore par ses niveaux de vie, par l'expansion de ses techniques et les progrès lents mais constants du régime démocratique dont il est le champion. Mais, en même temps, il constate que le rapport de puissance démographique et l'émergence de nouveaux mastodontes réduisent son poids relatif. L'universalisme de l'idéal occidental-celui de la liberté-conquiert de nouveaux territoires. Mais il recule devant des nations, voire des civilisations, qui tantôt lui dénient toute ingérence dans le processus de leur évolution (Russie, Chine) et tantôt refusent carrément (l'islamisme) le modèle démocratique occidental. Conclusion optimiste : l'Occident, avec le temps, verra le monde converti à ses idéaux. Conclusion pessimiste : l'Occident sera submergé par l'avènement de superpuissances hostiles à son modèle...

Les optimistes devraient, sans s'impatienter, prendre en considération la diversité des rythmes historiques. Pourquoi voudrait-on que des peuples pliés par une longue Histoire à la servitude dépouillent en un siècle plusieurs siècles d'asservissement ? Il y a quarante ans, chez nous, un maoïsme à la parisienne enfiévrait des écervelés au moment même où la Révolution culturelle chinoise... engloutissait 6 millions de morts. La « Cina vicina », la Chine soit-disant proche de cette simagrée révolutionnaire, voici qu'elle commence seulement d'investir notre proximité. Convertie à l'économie de marché, elle laisse certes perdurer un régime policier, elle opprime sans faiblesse ses peuples indociles (le Tibet, les Ouïgours), mais elle a fait d'indéniables progrès. Face à la Chine, premier atelier du monde mais cruelle à ses minorités, nos belles âmes brandissent un droit-de-l'hommisme incandescent. Ces postures de nos « résistants » sont-elles de bon aloi ou dévaluées par la jactance ? C'est selon...

Ajoutez que nos indignations divaguent au gré d'une actualité aléatoire et de ses relais médiatiques. Lorsque l'absence de caméras ne noie pas dans le silence les cris des opprimés.

Mais, surtout, le surplomb prédicateur de l'Occident sur les voies et moyens d'accéder au nirvana démocratique débecte les régimes les mieux disposés. En Asie, en Afrique, le prêche occidental, aussi épuré soit-il de toute visée impériale, ressuscite par son arrogance, par son ignorance des cultures exotiques, l'outrecuidance du prêche colonial. C'est au seul étiage démocratique que nous mesurons la valeur d'une civilisation. Et notre injonction morale, quasi religieuse, de la démocratie renforce l'aversion de nationalismes écorchés vifs. Combien de « damnés de la Terre » rejettent aujourd'hui les sermons et recettes des vieux riches que nous sommes !

Loin de moi l'idée que l'Occident doive mettre ses valeurs dans sa poche, sous un mouchoir plein de larmes ! Le nationalisme chinois, lui, n'a, ces temps-ci, que trop tendance à jouer les gros bras : avec le Darfour, par exemple. Et il apparaît assez naturel, voire heureux, que les Jeux olympiques, où il s'est jeté pour afficher sa gloire, réveillent chez nous les paladins du monde occidental.

Encore faut-il que nos princes élus au service de la raison d'Etat se gardent d'enfourcher chaque foucade de la démocratie d'opinion. Le monde regorge désormais de minorités opprimées (Tchétchénie, Tibet). On regardera à deux fois avant de jeter notre idéal de liberté dans ces chaudrons où l'« effet pervers » devient vite liberticide. Déjà, le dalaï-lama, soucieux de l'autonomie culturelle et religieuse de son peuple, se trouve débordé par une revendication indépendantiste qu'il refuse.

Sarkozy prendra donc son temps avant d'arrêter son attitude et de l'harmoniser, j'imagine, avec ses pairs européens. Laissons aux athlètes le panache des Jeux ; aux peuples d'Occident le message de leur idéal. Et aux hommes d'Etat, la froide sagesse de leur mission ! Tous ne visent pas les mêmes médailles !

Claude Imbert

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lundi 7 avril 2008

EN VIDÉO - Frozen Time in Beijing

Euronews - No Comment, 1 avril 2008

Comme un poisson d'avril, un groupe de Pékinois se sont figés en plein milieu de passants ahuris. Des mises en scène qui font écho aux mêmes canulars de New York ou de Londres. Copie dans le pays de la contrefaçon ou simple phénomène du web ? pengyou

jeudi 3 avril 2008

Boycott, oui. Islam et islam. le « Don Juan » de scarpitta. - Bernard-Henri Lévy

Le Point, no. 1855 - Tribune, jeudi, 3 avril 2008, p. 206

C'est bien, cette mobilisation en faveur des Tibétains. C'est même très bien. Mais quid de la Birmanie où le même genre de soldatesque, appuyée par le même pouvoir chinois, n'a, que je sache, pas désarmé et dont nul ne parle plus ? Quid des droits de l'homme à l'intérieur de la Chine elle-même, ce pays-monde sous la botte, cet empire de la misère et de la violence dont on nous racontait que les JO auraient le mérite de l'ouvrir à la démocratie alors que c'est le contraire...

... l'exact contraire, qui se produit (chasse aux derniers pauvres, clochards, irréguliers en tout genre et rares dissidents qui seraient bien capables, les salauds, de gâcher à Hu Jintao sa grande parade mondiale) ? Et quid, enfin, du Darfour qui semble, lui, carrément sorti de nos écrans mentaux alors que, à l'heure où j'écris, les mêmes Janjawids, appuyés par la même aviation soudanaise, elle-même équipée et bénie par le même Hu Jintao, sont en train de finir le sale travail de purification ethnique et de terre brûlée commencé il y a quatre ans ? Pour ces trois raisons-quatre avec le Tibet-c'était une mauvaise idée d'organiser ces Jeux dans l'un des pays du monde où les valeurs de l'olympisme, ses idéaux d'humanisme et de fraternité, sont le plus systématiquement bafoués. Pour ces trois raisons-quatre avec le Tibet-nous aurons à rougir, un jour, d'avoir fait ce cadeau immense au dernier grand Etat totalitaire de la planète. Et pour ces trois raisons-quatre avec le Tibet-il faut, quoi qu'en disent les pleutres, tout faire pour que d'un mal sorte un bien et que la menace, je dis bien la menace, du boycott oblige les Chinois, sur ces quatre théâtres, à composer. Boycott pur ? Boycott des cérémonies ? Boycott, par les sportifs, de la part de comédie attendue ? Peu importe. Tout est bon. A condition, naturellement, que l'intention soit ferme et la menace crédible.

Vu, sur le Net, le fameux « Fitna », ce petit film anti-islam réalisé par le député d'extrême droite néerlandais Geert Wilders et dont on redoutait qu'il ne suscite la colère de la communauté musulmane aux Pays-Bas. La vérité, c'est que ce film est nul. Vulgaire et nul. Et que ladite communauté musulmane a eu la sagesse, et le sang-froid, de le traiter comme tel-c'est-à-dire par le mépris. Au passage, pourtant, il rend un vrai service. Car il permet de distinguer, dans le débat actuel autour de l'islam, ce qui est nul et ce qui ne l'est pas ; ce qui est vulgaire et ce qui ne l'est point ; ce qui aide à avancer et ce qui, au contraire, ne fait que figer les haines et jeter le feu dans les esprits. Le principe, au fond, est simple. Si ce film est haïssable c'est parce que, ne serait-ce que dans le principe de son montage faisant alterner des sourates et des images gore, il dit que le Coran est, en tant que tel, source de barbarie-thèse proprement idiote et qui, de surcroît, ne laisse d'autre choix que celui de l'affrontement. Un bon film sur l'islam serait un film qui, à l'inverse, ferait le tri, au sens propre la critique, entre ce qui, à l'intérieur du texte ou des pratiques qui se sont instituées d'après lui, est, en effet, source de violence et ce qui, au contraire, va dans le sens de la paix et de l'élévation des âmes-le type de travail, ni plus ni moins, dont se sont acquittés, dans le passé, avec leur propre texte saint, les juifs et les chrétiens. Islam modéré contre islam radical ? Islam des Lumières contre cette caricature d'islam qu'est l'islam intégriste ? C'est cela. La grande question de ce temps. Le seul choc de civilisations qui vaille.

Au registre des bonheurs de la semaine-car il y en eut, heureusement !-les premières représentations, à Montpellier, du « Don Giovanni » mis en scène par Jean-Paul Scarpitta. On doit à Scarpitta une « Carmen » sans castagnettes. Des lectures, avec Depardieu, de la correspondance de Bonaparte et Joséphine. Une « Jeanne au bûcher » d'Honegger qui vient d'obtenir une victoire de la musique. Une « Médée ». Un « Perséphone » et « _dipus » de Stravinski-avec, notamment, Isabella Rossellini-qui fit l'ouverture, en 2001, du Théâtre San Carlo de Naples. J'en passe. Et maintenant, donc, cette relecture du mythe de Don Juan. D'autres ont souligné la sobriété de la mise en scène. Son côté strehlérien, noir et blanc, ciels gris irisés de nacre, silhouettes dématérialisées, gestes réduits à des battements d'ailes de papillons de nuit, reflets de reflets, voix et échos, tombes et outre-tombes, Al di là delle nuvole-effets papillon, vraiment, comme seul le théâtre peut en produire et comme il s'en produit, là, en effet, à chaque changement de tableau. Ce qui m'a le plus intéressé, moi, pourtant, c'est l'interprétation donnée du personnage et de ses mobiles. Romantique. Sentimental. Plus tout à fait, ou plus seulement, le grand seigneur méchant homme que, de Tirso de Molina à Montherlant en passant par Baudelaire, Byron, Musset, Pouchkine et, naturellement, Mozart lui-même, l'ensemble de la tradition s'accorde à décrire et maudire. Ce Don Juan-ci est sentimental, oui. Attentif à autrui et à ses émois. Etonné du trouble qu'il suscite et l'éprouvant en retour. Moins prédateur que curieux. Moins cynique que prodigue. Bouleversé, non du mal, mais du bien qu'il fait aussi. Libre, évidemment. Immensément, désespérément, libre-jusqu'au « vive la liberté » final, entonné aux portes de l'enfer

Bernard-Henri Lévy

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mercredi 2 avril 2008

JO, hypocrisies et postures - Alain Duhamel

Libération, no. 8369 - Rebonds, mercredi, 2 avril 2008, p. 37

La Chine communiste est une dictature depuis l'instant de sa fondation et n'a jamais cessé de l'être. Elle l'était lorsqu'elle a purement et simplement annexé et englouti le Tibet. Elle l'était lorsque le général de Gaulle l'a officiellement reconnue, la France étant alors le premier pays occidental à prendre pareille initiative. Elle l'était toujours quand, en mai 1968, une fraction des militants étudiants français se réclamait de la Révolution culturelle, cette terreur maoïste.

Elle l'est toujours aujourd'hui, alors que les Jeux olympiques vont se dérouler à Pékin. Personne ne l'ignorait quand la capitale de la Chine a été choisie pour organiser la plus prestigieuse manifestation sportive, pacifique et (théoriquement) fraternelle au monde. Ce qui se passe aujourd'hui au Tibet - la répression implacable, la tentative de normalisation culturelle et religieuse, l'oppression absolue - était donc prévisible et même inéluctable. De toute sa longue histoire, la Chine n'a jamais connu la moindre expérience démocratique. Les droits de l'Homme, les libertés individuelles n'existent simplement pas dans sa culture politique. Tout le monde le sait. Devant les persécutions dont sont victimes les Tibétains, c'est donc, chez les Occidentaux, à un festival d'hypocrisies et de postures auquel nous assistons.

A tout seigneur, tout honneur : c'est au Comité international olympique (CIO) que revient, haut la main, la médaille d'or de l'hypocrisie. Dans cette discipline, il n'a pas de rival. C'est lui qui porte entièrement la responsabilité du choix de Pékin pour la plus belle récompense dont puisse rêver une ville. C'est à lui que les autorités communistes chinoises ont publiquement offert la garantie que l'organisation des Jeux olympiques permettrait de desserrer les contraintes qui menacent tout individu au sein de la nation la plus peuplée du monde. C'est donc vis-à-vis de lui que la Chine communiste manque cruellement à sa parole. C'est lui dont on attend en vain la moindre protestation, la moindre condamnation publique, le moindre regret. Le CIO se comporte comme l'auxiliaire, comme le vassal des autorités chinoises.

Médaille d'argent, les pays occidentaux en général, les européens en particulier : sans les votes de leurs représentants, sans l'autorité du président européen du CIO, l'Espagnol Samaranch, Pékin n'aurait jamais été choisi. Devant la répression chinoise au Tibet, c'est ostensiblement de leur côté confusion, lâcheté et débandade. Protestations gênées, interpellations prudentes, discorde générale. La Chine est un sujet trop sérieux pour le confier aux normes démocratiques. On ne sanctionne pas une puissance telle que la Chine. On commerce avec elle, on investit joyeusement sur son territoire, on négocie avidement des contrats, on tisse des alliances fructueuses. Quand la Chine s'éveille et frappe ses citoyens, tue des Tibétains, condamne toute minorité culturelle ou religieuse, on ferme pieusement les yeux. Un regret ici, un appel téléphonique courtois là, et c'est tout. La Grande-Bretagne, attentive aux JO de Londres, participera à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Pékin, c'est officiel. Les Vingt-Sept, toujours héroïques, recevront le dalaï-lama mais sont bien résolus à ne pas opposer de front uni à l'arrogance chinoise. Pas de boycottage collectif des cérémonies d'ouverture.

Médaille de bronze, les bons apôtres qui appellent éloquemment au boycottage pur et simple des JO de Pékin, qui demandent donc à nos athlètes de renoncer à toute participation. C'est ce qui se nomme une posture : on sait très bien que les Jeux olympiques de Pékin auront lieu. L'énorme machine olympique, au budget faramineux, tourne déjà à plein régime avec ses sponsors, ses apparatchiks et la plus grande concentration de médias et de journalistes jamais rassemblée. Appeler les athlètes français au boycottage, cela revient à les sacrifier inutilement, comme l'ont été dans le passé tous ceux qui ont tenté pareille manoeuvre contre les JO de Berlin (des Jeux dont les démocraties voulaient faire cadeau à la République de Weimar, ce qui a bénéficié à Hitler), de Moscou et d'ailleurs. L'Europe n'est même pas capable de faire plier le Liechtenstein, comment pourrait-elle émouvoir la Chine ?

En fait, il ne reste que deux armes possibles, très symboliques, devant la répression chinoise. La première est nationale, franco-française. Si le président du pays des droits de l'homme refuse de se rendre à Pékin pour l'ouverture des Jeux, alors même qu'il présidera à ce moment-là le Conseil européen, cela s'appellera un camouflet pour la Chine. Quant aux athlètes, un simple geste de leur part devant les caméras, au moment de la remise des médailles, fera plus pour la cause tibétaine que tous les discours de ceux qui, comme les vieillards de La guerre de Troie n'aura pas lieu, prêchent l'héroïsme et le sacrifice aux autres.

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mardi 1 avril 2008

VIDÉO - Des racines et des ailes - Chine - no 7 et +

EN IMAGES - Rétrospective Mars 2008 - 20 minutes

EN IMAGES - Rétrospective Mars 2008 - Le Figaro

EN IMAGES - Rétrospective Mars 2008 - Le Monde

Le Monde - Les images du mois de mars 2008
En Inde, 10 mars 2008 - À cinq mois des Jeux Olympiques de Pékin, des moines bouddhistes tibétains défilent dans les rues de Dharamsala, où vit en exil le dalaï-lama, pour dénoncer la répression chinoise. L'Inde a lancé un appel au dialogue au Tibet, où des manifestations en faveur de l'indépendance risquent de dégénérer.


PHOTO : AFP/Manan Vatsyana