mercredi 29 avril 2009

ENQUÊTE - Voiture électrique : et si la Chine doublait tout le monde ? - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20415 - L'enquête, mercredi, 29 avril 2009, p. 11

Le pays multiplie les initiatives pour prendre de vitesse ses concurrents

S'imposer comme le leader mondial des véhicules électriques : c'est le rêve de Pékin, qui, admettant son retard dans les moteurs classiques, pousse ses constructeurs sur ce marché quasi vierge. Le pays réduirait ainsi sa dépendance au pétrole et aux technologies étrangères. Dès cette année, le groupe BYD doit lancer la production de masse de son modèle e6.

La visite de l'usine BYD, en banlieue de Shenzhen, touchait à sa fin lorsque Wang Chuanfu, le PDG du groupe, s'est approché des dernières créations de ses ingénieurs et a pointé, sur un présentoir, un nouveau modèle de batterie « 100 % recyclable », contenant un électrolyte non toxique. Il a soulevé le couvercle, versé le liquide de la batterie dans un verre et l'a bu d'une traite, devant les yeux ébahis de David Sokol, le président de MidAmerican Energy Holdings, qui a rapporté l'anecdote au magazine « Fortune ». « Ça n'a pas bon goût », aurait juste murmuré le responsable.

De retour aux Etats-Unis, le financier américain a conté son insolite rencontre à Warren Buffett, le président du fonds d'investissement Berkshire Hathaway, dont toutes les décisions sont lues comme autant de prophéties. Il lui a parlé des visions de Wang Chuanfu, qui a créé, en moins de quinze ans, le deuxième plus important fabricant mondial de batteries rechargeables - il équipe notamment les téléphones Motorola, Nokia ou Samsung -, puis l'un des leaders de l'industrie automobile chinoise - sa petite F3 est en tête de liste des berlines les mieux vendues dans le pays, devant la Toyota Corolla. Il lui a surtout annoncé que BYD travaillait à la synthèse de ses deux activités, et se rêvait publiquement en leader mondial des véhicules « propres » roulant à l'électricité. Le « pitch » a fonctionné. Deux mois plus tard, le gourou de la finance américaine déboursait 230 millions de dollars pour acquérir 9,8 % de l'entreprise de Wang Chuanfu, qui croit pouvoir donner corps, depuis ses bases chinoises, à un marché mondial de la voiture électrique encore dans les limbes.

Au Salon de l'automobile de Shanghai, qui a fermé ses portes hier soir, la foule et les concurrents se pressaient autour de la F3DM, le véhicule hybride raccordable au secteur commercialisé en Chine depuis fin décembre par BYD, et de la nouvelle e6, qui pourrait bientôt s'imposer comme la première voiture tout électrique mise en vente dans le monde. « Nous pensons la lancer avant la fin de 2009 », assure Paul Lin, le porte-parole du groupe.

Selon le constructeur, la e6 pourrait rouler pendant plus de 300 kilomètres, atteindre une vitesse de pointe de 160 kilomètres-heure et être rechargée à 50 % en seulement dix minutes. Des performances rendues possibles par une batterie Fe, au phosphate de fer, développée par les chercheurs de BYD. Ce produit connu, dérivé de la famille des batteries lithium-ion aujourd'hui utilisées par la plupart des autres constructeurs de véhicules hybrides ou électriques, devrait, selon le groupe chinois, permettre de résoudre les problèmes de durée de vie, de manque d'énergie ou d'instabilité qui avaient jusqu'ici limité le développement des véhicules électriques dans le monde. Mieux, la batterie Fe, couplée aux moyens industriels de BYD et à sa main-d'oeuvre bon marché, qui assemble les accumulateurs à la chaîne, permettrait de casser le coût de production des véhicules « verts », dont les prix rebutent pour l'instant les acheteurs potentiels. Une F3DM est ainsi proposée à 150.000 yuans (environ 16.500 euros) quand le prix de vente de sa future concurrente, la Chevrolet Volt, qui devrait être commercialisée fin 2010, avoisinerait les 30.000 euros.

Une énergie peu coûteuse

Avançant des arguments comparables, tous les grands constructeurs chinois ont suivi les traces de BYD et ont annoncé, lors du Salon de Shanghai, la commercialisation prochaine de leurs propres modèles électriques ou hybrides. Chery, le quatrième constructeur du pays, doit lancer avant la fin de l'année sa petite compacte Riich M1. Rechargée sur une prise 220 volts du secteur pendant six heures, elle pourrait rouler sur une distance de 120 kilomètres. « Au prix actuel de l'électricité, parcourir 100 kilomètres ne coûterait plus que 7 yuans (80 centimes d'euros) », argumente Crystal Yang, l'une des cadres de la société. Si, chez Geely, la Gleagle EK2, tout électrique, est encore en développement, Great Wall affirme que sa Kulla, disposant sur le papier d'une autonomie de 160 kilomètres, serait prête pour « la production de masse ».

« Il se passe quelque chose d'important en Chine dans le domaine des véhicules électriques », résume Steve Betz, le directeur général des ventes et du marketing de Chevrolet dans le pays. « Les Chinois, qui ont déjà massivement adopté les scooters et les vélos électriques, sont prêts pour ces véhicules », assure-t-il. « Lentement, la Chine pose les fondations pour s'imposer comme un concurrent global dans cette industrie émergente », prévenaient dans une récente étude les chercheurs de McKinsey.

Premières exportations programmées

Depuis Pékin, les autorités chinoises encouragent pleinement l'enthousiasme de leurs constructeurs. « Pour le gouvernement, le soutien à ces technologies et à leurs développeurs est un enjeu stratégique majeur », pointe Patrick Blain, l'un des directeurs du marketing de PSA Peugeot Citroën en Chine. Le pays, qui veut casser sa dépendance aux technologies étrangères, reconnaît implicitement son retard sur les Occidentaux et les Japonais dans le développement des moteurs thermiques, et considère qu'il peut, en revanche, s'imposer comme le leader mondial du véhicule électrique. « Sur ce segment, nous sommes presque sur une page blanche dans le monde entier. Tout le monde part à égalité », remarque l'analyste Li Chunbo, de Citic Securities. En prenant de l'avance sur les grandes marques étrangères moins convaincues par la « révolution électrique », les groupes du pays pourraient emporter une large part d'un marché évalué par McKinsey à plus de 700 milliards de yuans (78 milliards d'euros) sur le seul territoire chinois. Avant de se lancer à l'assaut des marchés occidentaux. Les premières exportations sont d'ailleurs déjà programmées par les plus ambitieux.

Au-delà du prestige et des arguments financiers, Pékin espère également réduire la croissance de ses importations de pétrole, en grande partie alimentée par l'explosion du parc automobile. « Si 30 % de toutes les voitures circulant dans le pays en 2030 étaient électriques, la Chine pourrait économiser 700 millions de barils par an, soit plus de 10 % de ses besoins », ont calculé les experts de McKinsey.

Ayant décrété qu'au moins 10 % des voitures du pays devront utiliser des énergies alternatives d'ici à 2012, Pékin multiplie les initiatives. Le ministère des Sciences et des Technologies, dirigé depuis deux ans par Wang Gang, un ancien ingénieur d'Audi ayant précédemment dirigé les travaux du gouvernement sur... les voitures électriques, vient d'augmenter ses offres de crédits de recherche aux entreprises et aux laboratoires universitaires. De nouvelles subventions ont été mises en place pour les collectivités locales acceptant de s'équiper en hybride ou en tout électrique. Pour chaque voiture électrique commandée, une prime de 60.000 yuans (6.600 euros) est ainsi offerte dans les 13 municipalités participant au programme.

Créer des centres de recharge

Les primes ont déjà appâté les autorités de Shenzhen, où est justement basé BYD. Ce sont elles qui lui ont commandé les premières F3DM. « Au total, on en a vendu quelques centaines pour des flottes dans plusieurs villes. Vous pourrez en voir rouler cet été », assure Paul Lin. « C'est plutôt 80 », souffle un concurrent, qui soupçonne BYD et les autres constructeurs du pays de vouloir copier la stratégie de communication réussie par Toyota avec sa Prius hybride. « Ils mettent en avant la dimension high-tech de leurs véhicules «propres» pour vendre des voitures essence classiques », explique-t-il. « A chaque fois, ce sont des projets longs qui demandent beaucoup de coopération avec les villes », reconnaît lui-même le responsable de BYD. Qui souligne la nécessité de mettre en place un réseau de stations électriques où les véhicules pourront être rechargés rapidement. « Pour installer des centres de recharge dans le pays, il va falloir dépenser entre 5 et 10 milliards de yuans d'ici à 2020 », ont calculé les chercheurs de McKinsey, qui s'inquiètent toujours de la longueur du temps de recharge et suggèrent à la Chine de réfléchir à un modèle économique où les batteries pourraient être louées pleines et échangées une fois vides dans des stations-service. « C'est un modèle ambitieux mais qui dépasse les seuls constructeurs. Il faut un travail concerté avec tous les acteurs. Le rôle des autorités publiques va être déterminant », insiste Patrick Blain. « Mais si une solution permettant de résoudre tous ces défis technologiques et économiques existe, il est très probable que c'est en Chine qu'elle sera trouvée », sourit-il.

ENCADRÉ : Hybride ou électrique ?

Les constructeurs développent actuellement trois types de technologie différents :- Dans les véhicules hybrides, tels que la Prius, l'électricité, emmagasinée lorsque le véhicule roule, est seulement utilisée au démarrage et pour l'arrêt, ainsi que dans les phases d'accélération. La voiture ne parcourt pas de distance en mode tout électrique.- Dans les véhicules hybrides « plug in » ou « raccordables », l'électricité est également utilisée pour parcourir de courtes distances. La voiture peut ainsi fonctionner en mode hybride sur l'autoroute, où le moteur essence assure l'essentiel de l'énergie, avant de basculer en mode électrique lors des phases de circulation lente en ville. La batterie est rechargée à la maison ou dans des stations adaptées.- Les véhicules tout électrique ne disposent pas de moteur thermique et ne fonctionnent qu'à l'électricité. Ils peuvent être rechargés sur le secteur ou dans des stations spéciales. Le défi est de fournir des batteries bon marché permettant de parcourir d'importants trajets, tout en assurant un minimum de puissance.

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